272 En sens inverse, des menchéviks passèrent assez n?mbreux aux bolchéviks après octobre 1917. La dictature des bolchéviks attira comme un aimant plusieurs leaders menchéviks, tentés par la perspective d'une activité politique et d'une carrière personnelle. Auparavant, lors de la révolution de Février, Trotski, Larine, Tchitchérine, AntonovOvséenko, Ouritski, puis, après la consolidation du pouvoir soviétique, Gorev, Maïski, Semkovski, Martynov et d'autres s'étaient détachés, chacun à son heure, du menchévisme. Ce retour en arrière ne permet-il pas de conclure, d'une manière qui peut paraître paradoxale, que la scission définitive du P.O.S.D.R. en bolchéviks et menchéviks a eu lieu non pas en 1903, ni A • meme en 1912, mais, en gros, au commencement des années 20 ? Un certain nombre de bolchéviks camouflés,potentiels,« latents », qui jusque-là passaient pour menchéviks, révélèrent alors leur vraie nature et rompirent à jamais le cordon ombilical qui les reliait au menchévisme. Cette conclusion paraît d'autant plus convaincante quand on sait avec quel mal le menchévisme se libéra, dans son idé?logie, sa politique et sa tactique, de ce qu'il avru.tde commun avec le bolchévisme. Et Dieu sait si menchévisme et bolchévisme avaient des choses en commun... POUR COMPRENDRE les milieux social-démocrates qui donnèrent naissance en 1900 à la tendance de 1'/skra, qui joua un si grand rôle dans l'histoire de la Russie, la façon dont les iskristes firent leurs premiers pas politiques, la netteté avec laquelle ils se désolidarisèrent du populisme, du révisionnisme et de l' économisme, pour comprendre l'autocratisme et l'arrogance dont ils firent preuve dans leur lutte avec le Bund, le soin avec lequel ils éliminèrent toute possibilité de contact même avec les marxistes légaux, et comment ils se donnèrent comme l'aile orthodoxeconséquente dans le mouvement international, presque comme le socialisme le plus extrémiste, le plus à gauche, - pour cela, il est indispensable de connaître quelques positions de départ ou, plus précisément, certains aspects psychologiques de la question. Il ne s'agit pas là de la tendance, qui animera le menchévisme par la suite, à mettre l'accent sur l' «européanisation » du mouvement ouvrier russe, et à rompre, dans le socialisme russe, avec les éléments spécifiquement originaux, il ne s'agit pas de l'imitation des modèles socialistes occidentaux, avant tout allemands. Dans un certain sens, c'est le contraire qui est vrai, car précisément dans la social-démocratie allemande des premières années du siècle l'emportèrent, dans la pratique et en partie dans l'idéologie, les tendances réformistes et révisionnistes auxquelles s'attachent les noms de Bernstein, Vollmar, Auer et, jusqu'à un certain point, Bebel, ~equel s'efforçait de tenir le juste milieu dans la querelle. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Cette intransigeance qui caractérisait les conceptions de l' lskra, cette rigidité de la tendance, cette méfiance envers tout ce qui était, à ses yeux, de l'opportunisme, est une forme de réaction à la mue idéologique subie par la majorité des représentants les plus éminents du marxisme légal, une réaction contre une évolution que l'on peut qualifier, en termes politiques, de passage au libéralisme bourgeois. Et en effet quels noms, quelle stature intellectuelle et culturelle chez ces hommes, et quel prestige, quelle gloire et quel succès ils procurèrent à la doctrine de Marx en Russie... : Struve, Tougan-Baranovski, Boulgakov, Berdiaïev, S. Frank, Prokopovicz, Bogoutcharski, Kouskova et d'autres de moindre envergure. Leur évolution «du marxisme à l'idéalisme » faisait échouer en 1900-1901 la possibilité d'une entente autour de l' lskra, et de plus elle provoquait une profonde amertume et une non moins profonde réaction chez tous ceux qui participaient aux négociations, ,. chez Plékhanov, Lénine, Martov, voire Potressov et Zassoulitch. La fleur du marxisme légal s'est retirée, a trahi, a changé d'orientation, est passée aux positions de l'opportunisme, s'est rangée aux côtés de Bernstein, s'est jointe à la cohorte des «critiques » de Marx - eh bien, répondons par une plus grande orthodoxie, en faisant soigneusement bande à part, en menant un combat acharné, un combat à mort; répondons-leur par notre propre conception du monde, militante et combative, par une offensive vraiment marxiste, serrons les rangs et formons le hérisson. Dans les organisations social-démocrates d'alors, les idées sur l'activité politique étaient étroitement liées à une certaine Weltanschauung. Bien des anl1:é~splus tard, ~t~t déjà constitué en parti polittque, le menchev1sme fonda son activité sur le principe d'une certaine conception du monde. Certes, depuis longtemps dans le mouvement socialisteune problématique de caractère historicophilos?P?Ïque avait le pas sur la pratique politique, le socialisme ne se proposant pas de réformer le monde, mais de le transformer. Mais plus encore dans le socialismerusse, il était impossible d'entreprendre la moindre démarche importante sans teD:îrcompte de la conception du monde, de la p~losophie. Cette particn!arité ne faisait que compliquer les choses et representait un obstacle dans 1~ vie pratiq~e. Marx lui-11:1êmene disait-il pas à 1 occasion qu un pas effectif sur le plan pratique valait une bonne douzaine de programmes ? Pour comprendre l'état d'esprit dans lequel se sont formées les deux fractions de la social-démocratie russe, il faut tenir compte du caractère purement idéologique et non pas empirique du mouvement à l'époque de l' Iskra. , ~~ fais,ant~bstraction des motifs philosophiques 9w 1mpregnru.entfortement l'Iskra et leP.O.S.D.R. Jusqu'au IIe Congrès, c'est-à-dire entre 1900 et 1903, et en restant sur un plan strictement politique, on distingue un trait qui est sans doute le plus caractéristique de la tendance politique de la ligne iskriste : les iskristes étaient avant tout des
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