Le Contrat Social - anno VIII - n. 5 - set.-ott. 1964

BOLCHÉVIKS ET MENCHÉVIKS par Grégoire Aronson LE PROCESSUS de constitution et de formulation idéologique et politique de la social-démo-· cratie russe s'est développé lentement, par une marche en zigzag, circonspecte et intermittente. Aujourd'hui, il est convenu de parler de la grande scission, qualifiée à l'occasion d'historique, intervenue au II° Congrès du P.O.S.D.R. (parti ouvrier social-démocrate de Russie) à l'automne de 1903. Or, à ce congrès, il n'y a pas eu de véritable scission, mais seulement la naissance de fractions non encore entièrement caractérisées : les bolchéviks et les menchéviks. Certes, l'existence des fractions sapait l'unité et engendrait par moments une atmosphère empoisonnée qui semblait rendre impossible un langage commun, allant jusqu'à mettre en question l'existence même du parti. Néanmoins, le bolchévisme et encore plus le menchévisme s'efforcèrent fiévreusement, pendant plusieurs années, de préserver l'unité du parti. A partir de la révolution de 1905, il · était naturel que les tendances unificatrices se renforcent derechef: en 1906 se réunit un congrès général à Stockholm, en 1907 un congrès à Londres, en fait le premier et unique congrès du P.O.S.D.R. pour toutes les Russies, avec une large participation des partis social-démocrates des diverses nationalités : Polonais, Juifs (du Bund), Lettons et Géorgiens (ces derniers ne formant pas un parti distinct). Cependant, l'inimitié des fractions se prolongeait, les différends ne faisaient que s'accentuer. Les cadres du parti semblaient être définitivement brisés. Malgré les sempiternelles chamailleries, en 1908 et 1910 se tinrent les « plénums » des organisations centrales du parti : les menchéviks aussi bien que les bolchéviks tantôt entraient au Comité central et à la rédaction de l'organe central, tantôt en sortaient, jusqu'à ce qu'enfin vienne, en 1912, le moment décisif. Les menchéviks constituèrent alors face au bolchévisme un front uni, le « bloc d'Ao!it », où se rejoignaient divers courants de la pensée menchéBiblioteca Gino Bianco vique représentée par Martov, Axelrod et Potressov, Trotski (hors fraction), Abramovitch et Liber (du Bund), Garvi, représentant des << liquidateurs ». Entrèrent au bloc tous ceux qui constituaient alors l'aile menchévique, antibolchévique de la social-démocratie russe. Auparavant, pendant cette même année 1912, les bolchéviks s'étaient constitués en un parti distinct et, ainsi qu'on peut le lire dans leur histoire officielle afin de se donner le beau rôle, « les menchéviks furent chassés du P.O.S.D.R. » 1, ces mêmes menchéviks qui en avaient par-dessus la tête, qui n'avaient plus la force de vivre sous le même toit que Lénine et Cie et qui, pour rien au monde, ne voulaient continuer à demeurer dans un même parti avec les bolchéviks. C'est à ce moment qu'en réalité eut lieu la scission formelle du P.O.S.D.R. : les fractions devinrent alors des partis. A dater de là, il n'y eut ni congrès communs, ni comités centraux communs, ni rédactions communes du journal. Les ouvriers russes eurent désormais à choisir entre deux partis social-démocrates ouvriers ouvertement concurrents. En 1913, Lénine, par l'intermédiaire de Malinovski (lequel devait être bientôt démasqué comme provocateur et qui agissait à la Douma d'Empire à la fois pour le compte de Lénine et de l'Okhrana) scinda même la fraction social-démocrate de la 4 e Douma ; en conséquence, la rupture devint un fait accompli vue de l'extérieur également. Cependant, la scission formelle ne dénoua pas immédiatement l'écheveau embrouillé des relations à l'intérieur du P.O.S.D.R. Au cours de la première guerre mondiale, on pouvait encore observer une certaine osmose entre menchévisme et bolchévisme : maints dirigeants bolchéviques, de plus en plus désenchantés, se rapprochèrent de Martov, n'étant plus d'humeur à supporter davantage la lourde dictature de Lénine. I. Prüis d'histoire du P.C. de l'Union soviitique, p. 139.

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