270 de propagande. Ce que les démocraties occidentales timorées, inconscientes, avachies, n'osent pas entreprendre, les Chinois ne craignent pas de le faire en usant d'arguments empruntés au fonds commun du « marxisme-léninisme ». Alors que Staline, puis Khrouchtchev, ont pu mener impunément leur guerre froide contre les nations atlantiques et méditerranéennes, Mao a déjà su prendre et conduire, au mépris de toute idéologie, une offensive sans merci dans la guerre froide sinosoviétique. A la conférence de Bandung, le 21 avril 1955, sir John Kotelawala, premier ministre de Ceylan, avait évoqué « un type nouveau de colonialisme en Europe orientale : le colonialisme soviétique », et proposé d'étudier les moyens de l'abolir au même titre que toute autre forme de colonialisme. Seuls les représentants de la Turquie et du Liban l'approuvèrent, tandis que Nehru et Tchou En-lai, présents, trahissaient un embarras extrême. L'affaire resta sans lendemain, mais cette fois, reprise par Mao et son équipe, il faut s'attendre à une campagne énergique, efficace et de grande envergure. Jusqu'à présent, la réplique de Moscou a été plutôt faiblarde et ce n'est pas Khrouchtchev, avec son engin capable « d'anéantir l'humanité dans l'espace d'un éclair», qui en impose au Fils du Ciel, personnage aussi dépourvu d'illusions que de scrupules. A présent la Pravda révèle, après dix ans de silence sur ce point, que Mao a mis la Mongolie sur le tapis en 1954, lors d'un entretien avec Khrouchtchev (et avec Boulganine, que la Pravda s'abstient de nommer). Elle accuse Mao de s'apparenter à Hitler avec sa théorie de « l'espace vital». En effet Mao juge nécessaire de mettre un terme à la situation où « l'Union soviétique occupe 22 millions de km 2 pour une population de 200 millions d'âmes, alors que le Japon n'a que 370.000 km2 pour 100 millions d'habitants»; et il précise qu'au siècle dernier, « à l'est du Baïkal le territoire est devenu russe, qu'ensuite Vladivostok, Khabarovsk, le Kamtchatka et d'autres lieux sont devenus soviétiques ». A quoi il ajoute une menace : «Nous n'avons pas encore présenté nos comptes sur cette liste. » Voilà qui promet un bel avenir aux relations entre Etats communistes, quels que soient les arguments de Moscou pour se défendre (sur le papier). Inutile de se demander pourquoi les Chinois ont attendu 1964 pour s'aviser de remanier la carte d'Asie (et celle d'Europe). Quant à l'idéologie, au marxisme, au léninisme, à l'orthodoxie, au révisionnisme, il faudra beaucoup d'ingéniosité aux soviétologues pour les découvrir dans cette concurrence factice d'impérialismes. . Les dirigeants soviétiques en sont encore à épeler la riposte, sans même la systématiser à grande échelle comme ils en seraient capables. Ils dénoncent les visées chinoises sur la Mongolie Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL extérieure (sans faire allusion à la mainmise sur le Tibet), les complaisances de Mao envers de Gaulle, les persécutions qu'endurent certaines minorités nationales en Chine, et ils invoquent les « processus historiques » desquels résulte le tracé des frontières actuelles. Ils ont mobilisé des érudits pour établir l'antériorité des peuplades sibériennes sur les hordes chinoises conquérantes. La Pravda du 13 septembre accuse le gouvernement de Pékin de se livrer au trafic de l'opium pour payer sa propagande antisoviétique. Mais ce n'est pas là une de ces campagnes virulentes comme les communistes savent les orchestrer à travers le monde quand rien ne leur résiste. Visiblement, du côté soviétique, les hostilités piétinent. Il est question cependant de mouvements de troupes, d'incidents, d'empiétements aux frontières où les pseudo-marxistes-léninistes se tâtent et s'observent, engagés dans une énorme partie de chantage. La suite dépend de Mao, qui garde ~ toute l'initiative. «Laguerre froide sino-soviétique prend de plus en plus d'importance sur le plan des Etats en compétition d'influence dans le monde. Sur la scène politique internationale, les rivalités de puissance ne cessent heureusement de percer à jour les mythes et les fictions du communisme », concluait notre dernier article du Contrat sodal sur cc le désarroi communiste». Cette allusion aux échecs essuyés par Moscou à chaque immixtion dans les organisations dites « afro-asiatiques » où manœuvrent les Chinois précédait de peu la défaite retentissante avouée par le gouvernement soviétique le 14 août, sous forme d'une déclaration renonçant implicitement à participer l'an prochain à la deuxième conférence de Bandung. Cela signifie que sous la pression de Mao, les Africains et les Asiatiques comblés de bienfaits dispendieux par les Russes ont classé ces piteux bienfaiteurs parmi les colonialistes. Que la presse occidentale n'a-t-elle pas raconté, en mai dernier, sur le voyage «triomphal » de Khrouchtchev en Egypte ? Ce prétendu triomphe coûtait des sommes fabuleuses aux peuples de !'U.R.S.S., le financement du barrage d'Assouan (1 milliard et demi de roubles), d'abondantes livraisons d'armes et de machines. Nasser était proclamé « héros de l'Union soviétique », déèoré de l'ordre de Lénine. Cela n'a même pas rapporté, pour autant, l'admission au deuxième Bandung. Les missions de Mikoïan en Indonésie et au Japon ont abouti à un fiasco analogue. Leçon mémorable pour les doctes commentateurs d'Europe et d' Amérique acharnés à déceler du marxisme dans le débordement hideux de nationalisme, de chauvinisme et de raci~me qui doit réjouir, aux bords du Styx, les ombres errantes d'Hitler et de Staline. B. S.
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