L'ANNONCE FAITE A MAO LE 15 SEPTEMBRE, au Kremlin, Khrouchtchev disait à des parlementaires japonais en visite : cc On m'a montré [dans un centre soviétique de recherches militaires] un engin de destruction terrible. Je n'en ai jamais vu de semblable (sic). C'est un moyen de destruction et d'extermination de l'humanité, le plus puissant, le plus fort des engins existants. Sa puissance est sans limites. » Paroles comminatoires manifestement prononcées à l'adresse de Mao et que toute la presse a reproduites à travers le monde, mais qui, en définitive, sont tombées à plat : trop, c'est trop. Le public, saturé d'informations terrifiantes, est mithridatisé. Et, cette fois, Khrouchtchev avait passé toute mesure dans le genre matamore irresponsable. Pourquoi choisir des Japonais comme interlocuteurs en une telle circonstance? Apparemment parce que Mao, le 10 juillet, parlant à des Japonais, avait mis en cause et remis en question les conquêtes coloniales de la Russie, conservées et élargies par l'Union soviétique : les deux« géants » pseudo-communistes rivalisent maintenant de prévenances envers le petit Japon «impérialiste » et lui multiplient leurs avances. Pourquoi dire, à propos d'un engin sans précédent, «je n'en ai jamais vu de semblable » ? Cette sorte d'objets ne se trouvent pas dans les magasins à prix unique ni dans aucun des lieux sélectionnés que l'on montre à un touriste étranger, si éminent soit-il. Et enfin, à quoi bon construire un «moyen de destruction et d'extermination [pléonasme] de l'humanité» alors qu'on se vante d'avoir déjà de quoi anéantir n'importe quel ennemi à n'importe quelle distance, outre qu'exterminer l'humanité serait s'exterminer soi-même ? Cela ne rime à rien et n'en impose à personne. Il va de soi que Mao se moque autant du nouvel engin soviétique, if any, que du« tigre en papier» de erovenance américaine, pour l'excellente raison qu'il n'a nulle intention de se prêter à l'expérimentation de l'un ni de l'autre, quelles qu'aient été ses savantes considérations démographiques de naguère. Après deux jours de réflexion, Khrouchtchev a dü l'admettre, sans doute sermonné par ses collègues, car dans la soirée du 17 septembre, il rectifiait ses radotages de l'avant-veille, prétenBiblioteca Gino Bianco dant effrontément avoir été mal traduit, n'avoir pas parlé de «puissance sans limites ». Or il avait bel et bien tenu ce langage, comme l'a confirmé le leader de la délégation japonaise à son retour, citant les termes de Khrouchtchev : «Savants, ingénieurs et militaires m'ont dit qu'ils ont fabriqué des engins capables d'anéantir l'humanité dans l'espace d'un éclair» (dépêche A.F.P. de Tokyo, 18 septembre). Preuve supplémentaire que Khrouchtchev mentait en démentant : au lieu de préciser sa pensée, il promet «une version officielle », mais en ajoutant que «cela prendra quelque temps »,donc que la nouvelle version sera concertée en petit comité. En effet la version édulcorée, en style habituel de propagande, a paru le I 9 septembre, dénuée d'intérêt : il avait fallu quatre jours pour une correction facile à faire en moins de quatre minutes, ce qui signifie que la direction collective a dû en délibérer. L'épisode est en soi moins important que la cause qui l'a provoqué, à savoir l'initiative chinoise de juillet dernier sur le plan des relations internationales entre Etats intéressés dans la guerre froide sino-soviétique. L'annonce faite à Mao répondait aux déclarations de celui-ci rapportées par les socialistes japonais revenus de Pékin, confirmées par Tchou En-lai dans l'Asakhi du 1er août, commentées enfin par la Pravda du 2 septembre. Mao ne s'est pas borné à revendiquer un million et demi de kilomètres carrés du territoire actuellement soviétique, il se porte champion du démembrement de !'U.R.S.S. au nom de tous les Etats qui ont fait les frais de l'expansion russosoviétique depuis la dernière guerre. Il dénonce les spoliations territoriales dont furent victimes la Finlande et la Roumanie, l'Allemagne et la Pologne, il préconise la libération de la Mongolie tombée sous la domination soviétique et la restitution des îles Kouriles au Japon. Défi sans précédent, provocation inouïe de la part d'un pouvoir relativement faible en armement moderne, mais qui a des raisons de se croire invulnérable. Désormais, l'impérialisme et le colonialisme soviétiques sont mis en accusation devant l' «opinion publique universelle », comme on dit, par des gens qui ne reculeront devant rien, hormis la force, et qui disposent d'un appareil formidable
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