BOUKHARINE, DAN ET STALINE par Lydia Dan En I935, Boukharine vint à Paris dans une délégation envoyée par Staline pour négocier avec les socialistes allemands et russes l'achat éventuel des archives de Marx et d'Engels évacuées de Berlin après l'avènement d'Hitler au pouvoir. En cette circonstance, Boukharine accomplit un acte véritablement insolite et très significatif : il fit proprio motu une visite à Théodore Dan, le leader menchévik, ami de Léon Blum, pour s'épancher à cœur ouvert auprès d'un honnête homme odieusement calomnié par les communistes et implicitement condamné à mort par le régime soviétique. Cette entrevue demeura secrète, au point que Th. Dan n'en parla jamais à sesplus proches camarades. Après sa mort, Lydia Dan, sa femme, sœur de J. Martov, en fit une relation dans un chapitre de ses Mémoires dont elle n'envisageait la publication qu'à une date postérieure à la disparition des personnes mises en cause. Séjournant à Paris en I959, elle confia une copie de ce chapitre sur Boukharine à B. Souvarine, mais à titre confidentiel. Mais il faut croire qu'elle changea d'avis quant à l'opportunité de révéler la visite de Boukharine et les propos tenus en cette occasion, car après son décèsen mars I963 ( cf. notre n° 3 de mai-juin I963, p. I89), on sut qu'elle avait communiqué le chapitre « Rencontre à Paris » à deux de ses amis en Amén-♦que, Raphaël Abramovitch et David Shub. Ce dernier le fit paraître dans Novy Journal ( n° 75, mars I964), l'excellente revue de /'intelligentsia russe en exil. Dans ces conditions, il n'y a plus de raison pour que ce récit d'un intérêt exceptionnel ne paraisse pas dans une revue française. Lydia Dan n'était pas informée dans le détail des conditions dans lesquelles s'opéra le sauvetage des archives social-démocratesde Berlin (allemandes, russes et celles du Bund). Elle croyait que Léon Blum en avait pris l'initiative et d'autres socialistes pensaient de même : une lettre du Bund, parue daus le New Leader de New York, en faisait BibliotecaGino Bianco mention. En I959, lors de son entretien avec Lydia Dan, B. Souvarine fut amené à mettre Léon Blum hors de cause, sans exclure son intervention ultérieure quand, après le sauvetage, il fallut certaines démarches administratives en France. Mais le mérite de l'opération revenait à Anatole de Monzie, pressenti à cet effet par B. Souvarine. Intéressée par cette mise au point, Lydia Dan pria B. Souvarine de l'écrire à son intention, ce qui fut fait brièvement sous forme d'une notice que nous donnons en annexe. Un peu plus tard, B. Nicolaïevski à son tour demanda à B. Souvarine de lui rafraîchir la mémoire sur cette affaire, d'où résulta une lettre du 27 décembre I959 que nous ne publions pas puisqu'elle répète à peu près la notice précédente. L'histoire des archives n'a d'intérêt, ici, que comme entrée en matière avant la « rencontre à Paris» de Boukharine chez Dan. Que Boukharine ait pris une telle initiative, cela prouve une fois de plus que les dirigeants communistes ne pensent pas un mot de ce qu'ils disent en public, surtout quand ils couvrent d'injures ordurières leurs adversaires politiques. Que Boukharine se soit livré à des confidencessur le compte de Staline auprès du leader menchévik comme interlocuteur incrédule, cela en dit long sur sa détressed'alors, sur les tourments de son âme trois ans avant la hideuse mise en scène du « procès en sorcellerie » où il devait confesser des torts imaginaires entrecoupés de velléités défensives sans espoir d'échapper à un ignominieux supplice. Il savait certainement en I935 que Staline avait assassiné sa femme et sans doute fait assassinerKirov, prélude à la plus longue sén'e d'assassinats qu'ait connue l'histoire; il dit lui-même que Staline ne laissera pas vivre quiconque le 'dépasse d'une manière ou d'une autre, ce qui implique des tueries cauchemardesques en perspective, et pourtant il ne démord pas des idées fausses qu'il a en partage avec Staline. Ce chapitre de Lydia Dan sera donc une contribution précieuse à l'intelligence de l'irrémédiable déchéance morale et politique du _bolchévisme.
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