B. SOUVARINE toire, car dans une société sans contradictions de classes, l'Etat est inutile et impossible » ? Khrouchtchev ayant annoncé avec certitude : « Nous construirons la société communiste pour l'essentiel en vingt ans » ( en plus des quarante-cinq ans écoulés depuis Octobre), Mao réplique par scribes interposés : « C'est pure tromperie», car « la société socialiste couvre une longue, très longue période », insiste-t-il, lui, Mao, qui naguère prétendait instaurer non pas seulement le socialisme, mais le communisme, en un tournemain, par un impétueux et stupide « bond en avant». Tout en se réclamant de Staline dont la déclaration de 1936 sur « la victoire totale du système socialiste » a été assez souvent citée, il a le front d'avancer à présent : « La victoire complète du socialisme n'est pas l'affaire d'une ou de deux générations ; pour être définitive elle exige cinq à dix générations, voire davantage. » Dix générations, voire davantage ? On se demande si l'on a bien lu, mais plus loin le maître nageur du Yang-Tsé dissipe toute espèce de doute : « Quelques dizaines d'années n'y suffiront pas; partout cent ans, voire des centaines d'années, sont nécessaires à la victoire. » Voilà qui éveille une réminiscence. Au fait, cela remémore le millénaire national-socialiste d'Hitler. Mais le paranoïaque de Nüremberg se trouve largement « rattrapé et dépassé », comme disent les Soviétiques, quand le factum chinois prévoit que la question de durée, « dans la bonne voie tracée par le marxisme-léninisme», celle de la dictature de Mao et de ses descendants adoptifs, « reste d'une importance fondamentale pour la cause révolutionnaire du prolétariat pour une période de cent, mille ou dix mille ans». Ce discours s'adresse expressément aux philosophes politiques américains et britanniques qui supputent une « évolution pacifique» et l'assagissement du communisme en Chine quand une génération poststalinienne connaîtra des jours meilleurs. ON AVAIT NOTÉ ici (notre dernier numéro) que l'insolence chinoise exigeant, le 7 mai dernier, quatre ou cinq ans « ou même davantage» pour préparer une conférence de rabâchage communiste avouait l'intention bien arrêtée de persévérer dans l'entreprise visant à déboulonner Khrouchtchev. Les allusions délirantes aux siècles à venir « ou même davantage » et aux millénaires veulent couper court aux spéculations bonasses de politiciens et diplomates, interprètes de la veulerie occidentale, qui escomptent encore des compromis « idéologiques » entre gens dont l'idéologie caricaturale sert de masque à l'esprit de conquête et de domination. Tout indique que l'invitation lancée aux Chinois pour qu'ils prennent part à l'éventuelle conférence de Moscou n'est qu'un simulacre, cependant que la riposte chinoise Biblioteca Gino Bianco 195 enjolivée de proverbes n'est que phrases creuses, comme : « L'ouverture de votre prétendue conférence sera le jour où vous mettrez le pied dans la tombe. » Le seul intérêt de ces disputes épistolaires réside dans l'échange des vérités qui tiennent lieu de projectiles aux belligérants, surtout aux assaillants chinois qui gardent l'initiative et ne relâchent pas leur offensive tandis que la défense soviétique balbutie et temporise. Aussi vaut-il la peine de revenir au « neuvième article », malgré son fatras rebutant, pour y relever des passages qui ont trait à la « nouvelle classe » issue du régime prétendu communiste, et où Mao, grand contempteur de Tito, emboîte le pas à Milovan Djilas. Non seulement à Djilas, mais à notre modeste . revue, en citant L'Etat et la Révolution de Lénine comme nous l'avons fait à diverses reprises. Lénine, écrivent les Chinois, « insista tout particulièrement sur la nécessité de maintenir le principe de la Commune de Paris en matière de salaires, à savoir que tous les fonctionnaires doivent toucher des salaires correspondant à ceux des ouvriers ... » Or, remarquent-ils, une « couche privilégiée » en U.R.S.S. « a des revenus qui sont des dizaines de fois, voire plus de cent fois supérieurs à ceux des ouvriers et des paysans ordinaires ». Plus loin : « Une couche privilégiée de la bourgeoisie opposée au peuple soviétique occupe maintenant la place dominante au sein du Parti et du gouvernement et dans les domaines économique, culturel et autres. Y a-t-il là aussi quoi que ce soit de communiste ? » A l'appui, les Chinois signalent quantité de faits puisés dans la presse soviétique: phénomènes multiples d'intéressement personnel, spéculations illégales, fraudes, malversations, détournements de fonds au préjudice de l'Etat et autres signes illustrant leur thèse. Ils n'oublient que d'expliquer pourquoi ils ont attendu l'année 1964 pour s'en apercevoir et de s'expliquer sur la situation chez eux sous ce rapport : pas plus que la Russie et la Yougoslavie, la Chine n'est exempte d'une « nouvelle classe ». Pour ceux qui n'ont pas attendu, leur indignation tardive dont le cri ne suscite qu'arguties dans le camp adverse atteste le peu de cas que les uns et les autres font de l'idéologie, quitte à la mettre au service de leur ambition hégémonique. Aussi ne doit-on pas se laisser prendre à des parodies de controverses entre pseudo-théoriciens, cependant que la guerre froide sino-soviétique prend de plus en plus d'importance sur le plan des Etats en compétition d'influence. dans le monde. Sur la scène politique internationale, les rivalités de puissance et d'impuissance ne cessent heureusement de percer à jour les mythes et les fictions du communisme qui égarent le public, en l'absence calamiteuse de tout leadership occidental. B. Souv ARINE.
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