Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

256 le long du Dniepr, dans la région de Kiev, ensuite au nord-est. A partir du xvie siècle commence la colonisation du sud ; la frontière de l'Etat moscovite avance de plus en plus au sud, englobant la steppe, et au XVIIIesiècle s'accomplit la colonisation de Novgorod et du nord de Moscou, puis de la Sibérie, la population russe avance vers l'Est jusqu'à l'océan Pacifique. Là nous avons aussi une colonisation intérieure dans les limites du pays. Elle se poursuit encore à la fin du XIXesiècle et au début du xxe ; des paysans mal pourvus de terres dans les provinces centrales s'installent en Sibérie sur les terres libres. » Ailleurs (à l'article : Guerres coloniales) le même ouvrage de référence admet sans fard : « Les campagnes de l'armée russe au Caucase, en Asie centrale et en ExtrêmeOrient appartiennent au type des guerres coloniales. » Les euphémismes et les sophismes comll?-e: « la population russe avance vers l'Est » ou : les paysans s'installent « sur les terres libres » ont été réfutés a priori par Lénine dans son article de 1901_ intitulé : Les esclavagistes à l' œuvre, à propos d'une loi sur l'attribution des terres de la Couronne : « Comment ne pas traiter de féodale une pareille politique agraire, quand on la compare à celle des pays avancés de notre temps, l'Amérique par exemple ? » Suit un vif éloge des conditions américaines où « chaque citoyen a le droit d'aller vivre où bon lui semble ». En Amérique, écrit-il, « tout homme qui veut s'adonner à l'agriculture a, de par la loi, le droit d'occuper les terres libres de la périphérie. Il se crée là-bas non pas une classe de satrapes asiatiques, mais une classe de fermiers énergiques qui ont développé toutes les forces productives du pays. Là-bas, la classe ouvrière, grâce à l'abondance des terres libres, est au premier rang pour le niveau de vie. » Héritiers des « satrapes asiatiques», les communistes ont aboli de vive force le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» et mis en œuvre une politique coloniale plus rigoureuse que celle des tsars, mené de véritables « guerres coloniales » pour soviétiser les minorités ethniques récalcitrantes. G. Safarov, proche collaborateur de Lénine pour les « affaires des nationalités », a reconnu que le pouvoir soviétique au Turkestan, en 1917 et 1918, était en grande partie aux mains « d'aventuriers, de profiteurs et d'éléments criminels » dont il définit le régime comme une « exploitation féodale des larges masses de la population indigène par le soldat russe de l'armée rouge, le colon et le fonctionnaire ». Les peuples du Caucase n'ont guère été mieux traités que ceux des steppes de l'Asie centrale ; leur hjstoire dans l'ère soviétique est une triste suite de rébellions provoquées par l'arbitraire et les exaétions du colonialisme, alternant avec des répressions implacables et des « purges » sanglantes. Dans son ouvrage sur L' Impérialisme, dernière étape du capitalisme, Lénine rendait justice à ces « milieux dirigeants bourgeois » qui, au XIXesiècle, en Angleterre, « se prononçaient contre la poliBiblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tique coloniale » et pour l'émancipation des colonies. Il citait Disraeli qui, impérialiste impénitent, avait pourtant déclaré en 1852 : « Les colonies sont des meules pendues à notre cou. » On sait comment au cours d'un siècle l'Angleterre a résolu le problème que contenait la métaphore. Et pas seulement l'Angleterre : la plupart des ancienn~s colonies européennes sont actuellement émancipées ou en voie de l'être, partout le colonialisme s'efface dans les souvenirs historiques. Il ne subsiste au monde· que deux grandes puissances coloniales : la Russie s_oviétiqueet la Chine communiste. Parmi les text~s de Marx reproduits dans le recueil d'où· sont exclus ceux qui traitent de la Russie, il en est qui préconisent une libre coµfédération de l'Angleterre et de l'Irlande substituée à l'oppression de l'une par l'autre. Cela donne une idée de ce que pourrait être le régime futur des nationalités, y compris la russe, actuellement opprimées par un parti qui ose se réclamer du marxisme. Mais l'expurgation des commentaires de Marx et Engels sur l'impérialisme et sur la colonisation est parfaitement significative : elle prouve que les communistes n'entendent nullement se désolidariser du tsarisme ni en renier l'héritage colonial, pas même en recourant au camouflage de la dictature du prolétariat. Aussi est-il indiqué de leur appliquer la remarquable prévision d'Engels qui figure à la p. 358 du recueil : « Une chose est sûre : le prolétariat victorieux ne peut imposer le bonheur à aucun peuple étranger sans compromettre sa propre victoire. » Dans le même esprit, Marx a écrit : « Le peuple qui subjugue un autre peuple se forge ses propres chaînes» (p. 322 des Textes sur le colonialisme). Les communistes qui reproduisent de telles pensées n'ont pas une haute idée du niveau intellectuel de leurs suiveurs. B. SOUVARINE. Un livre vivant DIDEROT: Œuvres politiques. Textes établis avec introductions, bibliographies, notes et relevé de variantes par Paul Vernière. Paris 1963, Ed. Garnier frères, 523 pp. ON DOITsavoir gré aux éditeurs d'avoir ajouté à la précieuse collection de leurs « Classiques » ce volume consacré aux idées politiques du penseur ,qui est peut-être le plus représentatif de tout le XVIIIesiècle français. Pourquoi cet aspect de l'œuvre de Diderot a-t-il été relativement négligé par tant de critiques qui ont vu en cet auteur avant tout le romancier, l'homme de théâtre ou le créateur de la chronique des Salons? Sans doute parce que, toute proportion gardée, la pensée politique de Diderot fait piètre

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