QUELQUES LIVRES prement dite et les abus abominables auxquels ont donné lieu des expéditions ou entreprises coloniales injustifiables. Les textes de Marx et d'Engels rassemblés dans le présent recueil ont trait principalement aux phénomènes économiques de leur temps, à l'expansion britannique et, dans une moindre mesure, aux guerres coloniales dénoncées avec le talent et la vigueur, l'intelligence et l'érudition que l'on admire chez les deux auteurs. L'histoire de la colonisation comme celle des religions se confond avec l'histoire universelle. La civilisation méditerranéenne tant vantée résulte de colonisations successives par les Hébreux, les Hellènes, les Romains dans l'Antiquité, les Byzantins au Moyen Age. L'Europe est le produit de plusieurs colonisations. La France ne s'appelait pas autrefois la Gaule et ses habitants n'étaient pas en majorité des Gaulois : c'est un conquérant colonisateur, Jules César, qui la dénomme assez tard Gallia en trois parties, dans un raccourci célèbre. Comme l'a écrit Charles Andler dans son Pangermanisme colonial: « La vérité est que les Hanses colonisaient le long de la Baltique ; que le Brandebourg colonisait en Prusse et en pays wende ; que l'Autriche colonisait en Hongrie et essayait de conquérir les pays slaves soumis aux Turcs. » Wilhelm Liebknecht, dans un discours de 1899 au Reichstag cité par le même historien, s'écriait : « De vraies colonies, des colonies agricoles et autres, ont été, à de certaines époques, d'une utilité extraordinaire. La civilisation humaine n'est pas séparable de la colonisation : les colonies grecques, les colonies fondées après la découverte de l'Amérique, le peuplement de l'Australie, tout cela ce sont de grandioses travaux de civilisation. » Il disait encore : « Une politique coloniale qui a peuplé et conquis pour le progrès de la civilisation des continents entiers, l'Amérique et l'Australie, voilà une politique coloniale que chacun approuvera. » August Bebel était du même avis, pour qui « il n'était pas en soi criminel de faire de la politique coloniale». Cela n'empêchait pas les partis socialistes de la 2e Internationale, notamment au Congrès de Stuttgart en 1907, de dénoncer vigoureusement « la politique coloniale capitaliste », autrement dit le colonialisme, différencié de la colonisation. Il y a colonies et colonies, entre autres les colonies d'exploitation, les colonies de peuplement, les colonies agricoles. Marx et Engels étaient trop avisés pour mettre tout dans le même sac, ce que tend à faire croire le recueil compilé à Moscou. Ils n'ignoraient rien de leur histoire socialiste et, comme l'observe encore Ch. Andler : « Quelle ~~arence qu'une doctrine et un parti qui ont s leurs antécédents la fondation owenite de New Harmony ou l'entreprise de Cabet au Texas se soient désintéressés des efforts de colonisation contemporaine ? » D'ailleurs le Manifestedu parti communiste cité p. 12 du recueil ne fait aucune difficulté pour reconnaître : « ••• Par le rapide Biblioteca Gino Bianco 255 perfectionnement des instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. » On ne s'ennuie jamais et l'on s'instruit presque toujours à lire ou relire Marx et Engels. Les textes réunis dans le recueil en question, très connus pour la plupart, sont d'un intérêt inégal, car bien des pages traitent de faits épisodiques ou de situations dépassées qu'il n'importe plus de savoir dans le détail. On y lit aussi des prévisions de Marx que les événements ont démenties, à côté d'idées très lucides et toujours vivantes. Mais ce qu'il y a de plus frappant dans le choix des textes ainsi présentés, c'est le soin avec lequel les éditeurs ont écarté l'essentiel, à savoir ce qui concerne l'impérialisme russe dont le colonialisme soviétique a recueilli et élargi l'héritage. En effet, si la guerre anglo-persane, les débarquements en Chine, la révolte des Cipayes, les tortures en Inde, la traite des esclaves, la guerre de l'opium, les insurrections en Irlande, etc., appartiennent à l'histoire, la domination russe sur cent millions d'allogènes demeure toujours actuelle, même si l'on regarde certains faits accomplis de longue date comme irréversibles. Les éditeurs moscovites se sont donc permis de censurer Marx et Engels sur l'un des thèmes qui leur tenait le plus à cœur, l'expansion démesurée de l'Empire de Russie et les menaces virtuelles qui en découlent pour l'Europe et pour le monde *. Censure d'autant plus impudente, de la part des prétendus marxistes-léninistes, que nul plus que Lénine n'a renchéri sur Marx pour condamner les conquêtes de la Russie impériale et impérialiste, quitte à en soumettre la majeure partie au joug soviétique après la révolution d'Octobre. Constatant avant de prendre le pouvoir que les Russes « ne forment que 43 % de la population (...). Sur 170 millions d'habitants, il y en a donc près de 100 millions sous le joug», Lénine dénonçait « le partage du monde par les grandes puissances » et plaçait la Russie au deuxième rang de celles « qui ont pratiqué le pillage avec le plus de succès », car ses colonies s'étendaient sur 17 millions de kilomètres carrés. « Nous, Russes, qui opprimons un plus grand nombre de nations que n'importe quel autre peuple », disait-il, devons reconnaître le droit des pays conquis à disposer d'eux-mêmes. Telle était sa doctrine constante et l'on n'en finirait pas de le citer sur ce chapitre. La Petite Encyclopédie Soviétique de 1931, non encore épurée par Staline, résume comme suit (à l'article : Colonisation) l'histoire de la colonisation par les Russes : « Au cours de plusieurs siècles, la colonisation en Russie eut lieu d'abord • A titre de complément aux Textes lacunaires en question, signalons au moins l'édition récente de: Karl Marx, La Russi, et l'Europe, avec une introduction : Marx et la puissance russe, par Benoît P. Hepner, Paris, Gallimard, 1954.
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