QUELQUES LIVRES Les Mameluks, pour la plupart Circassiens et Turcs, étaient des « esclaves d'Etat » d'un genre particulier : ils farmaient une caste militaire et dirigeante. Ce régime étrange survécut à la conquête de l'Egypte par le sultan Sélim, au début du xv1e siècle. Sous la férule des Mameluks, d'abord indépendants puis vassaux de l'Empire ottoman, l'Egypte subit une décadence qui s'aggrava à partir du xv1e siècle, les grandes voies du commerce international ne passant plus par la mer Rouge et le Levant mais bien plutôt par les océans, dominés par les puissances occidentales. La population de l'Egypte, y compris les Coptes, déclina alors d'une façon catastrophique. Bonaparte ne trouva dans le pays que deux à trois millions d'habitants, parmi lesquels quelques centaines de milliers de Coptes. Ces derniers n'avaient jamais été si peu nombreux, au cours de leur longue histoire. Mais la multiplication des Egyptiens devait être extrêmement rapide à partir du x1xe siècle, et la minorité copte participa pleinement à cette croissance numérique. Aujourd'hui les Coptes se comptent par millions (quoique le chiffre exact soit fort discuté), et atteignent un pourcentage considérable de la population totale, au moins I 5 %. La sécession de l'Egypte - qui n'était plus qu'une vassale nominale de la Porte - se fit au profit d'un aventurier albanais, Méhémet-Ali. Ce dernier mit fin, par un bain de sang, au régime mameluk, ou plutôt il le confisqua à son profit. Désormais l'Egypte entrait dans la zone d'influence occidentale, d'abord française, puis anglaise. La dynastie de Méhémet-Ali construisait un édifice politique nouveau, à son propre profit, mais aussi au profit de l'Egypte. Les «khédives » ne s'intéressaient nullement, bien entendu, au nationalisme arabe - alors inexistant - et ne faisaient guère preuve de fanatisme musulman. Ils tendaient plutôt vers une société laïque, non point par principe, mais pour des raisons pratiques d'efficacité. De nouveau les Coptes purent se distinguer ; après tout, ils étaient moins retardataires que la plupart des musulmans, mieux doués pour les langues, les techniques modernes, les rapports internationaux. Le protectorat britannique, à la fin du x1xe siècle et au début du xxe, ne favorisa pas les Coptes. Ceux-ci, au contraire, se plaignaient amèrement d'une discrimination en faveur de la majorité musulmane. Néanmoins, l'occidentalisation accélérée de l'Egypte permettait aux Coptes d'occuper une fois de plus des positions-clés dans la société, l'administration, l'économie. Dans la lutte de l'Egypte moderne contre l'impérialisme britannique, les Coptes furent parmi les pionniers d'un nationalisme égyptien. Celui-ci ne se colorait d'aucune nuance <<arabe». Dailleurs le mouvement national sous la conduite de Zaghloul Pacha revendiquait l'égalité civile et reconnaissait les Coptes comme partie intégrante de la nation égyptienne. Biblioteca Gino Bianco 253 Derechef - comme 1.250 ans auparavant - ce fut le désenchantement. A la suite de la deuxième guerre mondiale, le gouvernement égyptien devint membre de la « Ligue arabe », dont ses inspirateurs anglais espéraient se faire un instrument docile. L'Egypte du roi Farouk entrait ainsi dans l'imbroglio du panarabisme, et devenait l'une des victimes de la désastreuse campagne contre Israël. L'élément « arabe » - c'est-à-dire, en fait, musulman - prenait le dessus dans les affaires du pays. Les « Frères musulmans» extrémistes tenaient le haut du pavé et s'en prenaient aux minorités. Il y eut quelques pogromes de Coptes. Bien entendu, les Coptes ne pouvaient que s'indigner de cette nouvelle politique « arabe». Si elle plaisait à certains musulmans, aucun infidèle ne pouvait se faire d'illusion à son sujet. Après tout, les Coptes, en tant que «véritables Egyptiens » et « chrétiens authentiques », ne se sentaient arabes en aucune façon. Jusqu'en 1951, ils n'hésitaient pas à exprimer leurs sentiments en public, notamment dans leur quotidien Misr et leur hebdomadaire Al-Manâra, en réclamant plus que jamais l'égalité de droits dans un Etat laïque purement égyptien. Lorsqu'en 1952 survint le coup d'Etat des « officiers libres », lesquels mirent fin au royaume de Farouk avec une désinvolture toute « mameluke », la plupart des Coptes accueillirent la «révolution>> avec indifférence, voire avec sympathie. Mais ces officiers, sous la conduite de Nasser, appartenaient tous aux classes moyennes musulmanes et ne comprenaient nullement le problème copte. En fait, ces révolutionnaires improvisés n'avaient guère de programme. D'une part, ils n'étaient pas tellement éloignés des « Frères musulmans » ( dont l'organisation restait légale, alors que les autres partis avaient été supprimés en 1953) ; mais d'autre part, les «officiers libres » affichaient d'assez vagues aspirations au modernisme et au progrès social (qui n'était pas encore affublé du titre de socialisme arabe). Cette ambiguïté de la « révolution » persista jusqu'en 1954 ; les « Frères musulmans » ayant alors tenté d'assassiner Nasser, ils furent dissous et persécutés en conséquence. Ce ne fut d'ailleurs, à leur point de vue, qu'un demi-échec, puisque le régime nassérien hérita de quelques-unes de leurs tendances. En effet, se sentant isolée, la caste des officiers révolutionnaires - ces nouveaux Mameluks - s'appuya de plus en plus sur le fanatisme musulman de la masse, en dépit du modernisme et du « progressisme » verbaux de ses déclarations et « Constitutions » successives. Un des résultats de la campagne de Suez en 1956 fut de transformer le pouvoir des officiers en un régime de police quasi totruitaire, fondé sur un principe « arabe » déguisant à peine un exclusivisme en réalité musulman. Toutes les minorités, tous les éléments considérés comme étrangers et infidèles, furent opprimés, supprimés, expulsés. Les Coptes seuls, plus isolés que jamais,
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