194 et discours passés de Khrouchtchev, imité le travail méritoire du socialiste russe Lazare Pistrak dont notre revue fut seule en France à louer le livre The Great Tactician et dont (numéro de mars-avril 1962) elle a reproduit un chapitre. Le même intérêt strictement critique et documentaire que l'on doive reconnaître à ce genre de publications apparaît en bribes dispersées dans les interminables proses pékinoises que Mao dicte ou inspire, seule raison de leur consentir un regard en diagonale malgré l'ennui mortel qui en émane. Cela n'a rien à voir avec la considération distinguée que d'aucuns, en Europe et en Amérique, accordent à une caricature d'idéologie et à de vaines menaces. Depuis plusieurs années, des « brigades » de scribes traduisent en chinois et dissèquent les œuvres de Marx et de Lénine pour mettre en fiches les formules et sentences, composant un arsenal de citations indexées où puisent les grands penseurs du communisme chinois dans leur polémique avec les détenteurs patentés de la doctrine. Mao et son équipe n'ont pas eu besoin jusqu'à présent de moins de neuf articles-fleuves, dont les spécialistes comptent par _centaines de milliers les idéogrammes, pour répondre à la lettre ouverte du Comité central du P.C. soviétique datée du 14 juillet 1963. Le neuvième et dernier en date, imputé comme les précédents aux rédactions du Renmin Ribao et du Hongqi, paru en juillet 1964, dénonce laborieu- ·sement la « clique révisionniste de Khrouchtchev » dans le style typiquement pédagogique pour komsomols arriérés qui caractérise toute la série. •Même lue en zigzags et par « bonds en avant» à la chinoise, cette diatribe décèle bien des inconséquences et des absurdités qui soulignent les contradictions insolubles dans lesquelles se sont empêtrés les successeurs de Staline, grands pourfendeurs de « contradictions capitalistes », quelle que soit leur couleur politique ou autre. * • • POUR TAXER de trahison la « clique rév1s1onniste de Khrouchtchev », leitmotiv ressassé cent fois dans cet article, Mao et Cie s'en -prennent violemment à la notion du Parti et de l'Etat « du peuple tout entier » substituée à celle de la dictature du prolétariat par le P.C. soviétique depuis l'adoption d'un nouveau programme: -« ••• Son abolition [de la dictature du prolétariat] par la clique révisionniste de Khrouchtchev est une trahison du socialisme et du communisme. » En fait, Khrouchtchev et consorts n'ont rien aboli du tout, ils ont simplement remplacé un cliché par un autre sans toucher à la dictature du Parti exercée par une « oligarchie », comme disait Lénine. Ayant proclamé depuis un quart de siècle l'instauration du socialismeen U.R.S.S., et puisque le socialisme implique nécessairement la suppression des classes, ils ne pouvaient indéfiniment maintenir en paroles la fiction de la dictature du prolétariat impliquant l'existence des classes, et ils ont changé les mots sans changer la chose. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Selon les Chinois, qui font mine de prendre au sérieux une tricherie de vocabulaire, ni Marx ni Lénine n'ont prévu un « Etat du peuple tout entier » comme transition entre la dictature du prolétariat et le dépérissement de l'Etat (le fichier des citations ne contient rien sur ce point). Le socialisme est établi en U.R.S.S., Staline l'a dit, Mao ne peut le contredire, mais « la bourgeoisie et les autres classes réactionnaires, quoique renversées (sic), conservent encore pendant assez longtemps leurs forces en société socialiste et sont même assezpuissantes dans certains domaines (sic). Mille liens les rattachent à la bourgeoisie internationale. » Et ces multiples classes d'une société sans classes « sont prêtes à tout instant . (sic) à renverser la dictature du prolétariat ». Après ces affirmations aussi ahurissantes que catégoriques, les Chinois remarquent en bonne logique, comme nous l'avons fait ici longtemps avant eux, que là où il n'y a pas de classes, et si le Parti est l'organe d'une classe, « le Parti n'a donc plus de raison d'être », vérité aussi quant à l'Etat si l'on admet l'idée fausse de Lénine que l'Etat est exclusivement l'instrument de domination d'une classe. De cet invraisemblable pancrace « idéologique », il appert qu'en Russie soviétique le socialisme a triomphé, Staline dixit, Khrouchtchev et Mao en tombent d'accord, et donc que les classes antagoniques ont disparu, selon les Ecritures ; il n'y a donc plus de prolétariat, partant, de dictature du prolétariat, selon Khrouchtchev ; mais il ne reste donc ni Parti ni Etat, produits de la lutte des classes, selon les Ecritures et selon Mao ; cependant le Parti et l'Etat sont plus nécessaires que jamais, selon Staline et selon Khrouchtchev et selon Mao ; il faut donc qu'ils soient ceux « du peuple tout entier », selon Khrouchtchev ; mais, sous le socialisme, société sans classes, la lutte des classes bat son plein, « cette société soviétique connaît une lutte de classes acharnée », découvre Mao; donc la dictature du prolétariat s'impose jusqu'aux calendes grecques (voir plus loin) là où n'existent plus ni classes ni prolétariat, définition intangible du socialisme, et voilà pourquoi Khrouchtchev est un traître. Or, « la bourgeoisie et les autres classes réactionnaires (...) sont p;êtes à tout instant à renverser la dictature du prolétariat» que la « clique révisionniste de Khrouchtchev » a déjà « abolie » au préalable. On y perd son latin, et même son russe et son chinois. Jamais les savants docteurs en marxisme-léninisme ne se dépêtreront de leur embrouillamini pseudo-idéologique, pas même en mobilisant _péniblement leurs adeptes en solennelles conférences internationales. · Une question se pose, inévitable, à laquelle les Chinois ne craignent pas de répondre: jusques à quand va durer la dictature du prolétariat, c'e~t-àdire celle du Parti, plus précisément encore celle ·deMao et de son équipe, si elle se prolonge parallèlement au socialisme en dépit de Lénine qui, toujours génial, a prophétisé : « L'Etat prolétarien commence à dépérir aussitôt après sa vie-
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