Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

240 contenu de la représentation des Etats-Unis : le peuple de la liberté est devenu celui du despotisme populaire, la terre de sagesse se muant en terre de violence et de désordre (...). L'opinion qui, sous la Restauration, était certainement dans sa grande majorité favorablement disposée à l'endroit des Etats-Unis, leur devient presque unanimement hostile. (...) Au lieu que les divergences d'appréciation nous éclairent, comme avant 1830, sur les divergences d'opinion, le divorce qui se manifeste entre· l'expérience américaine et une part croissante de 1 'opinion française révèle en pleine lumière le désaccord entre deux philosophies politiques, deux sociétés, deux civilisations (pp. 863-864). Les Français, donc, sont d'abord victimes d'un mirage, mais lorsqu'ils connaissent mieux l'Amérique, une opposition se manifeste, qui « repose sur la_différence de deux mentalités, de d~ux moralités». Cela correspond à ce que l'auteur a précédemment mainte fois répété : « Sous la Restauration un vaste secteur de l'opinion croit l'avoir trouvée .[la formule idéale en matière de constitution] dans l'expérience américaine » (p. 543) ; « des plus modérés aux plus avancés l'exemple des Etats-Unis réconcilie toutes les nuances de l'opinion et fait l'unanimité du libéralisme » (p. 642); « dans une des chambres de la Restauration, la gauche eût serré les rangs comme un seul homme autour de l'exemple américain » (p. 841) ; « sous la Restauration, les thèmes américains faisaient l'accord de tous les opposants » (p. 851). Plus tard, « sans gagner d'amis à droite, les Etats-Unis perdent leurs amis à gauche» (p. 825), et cette formule aussi est quelque peu ressassée par l'auteur, bien qu'avec moins d'accent que celle qui concerne la Restauration. La réalité nous apparaît assez différente. Sous la Restauration, l'opposition républicaine est quasi inexistante, et La Fayette le démontrera lors des journées de Juillet en donnant sa caution à celui dont l'opinion libérale a de longue main prévu l'avènement. Les libéraux, qui prennent de plus en plus d'importance dans le pays légal, fondent leur adhésion à la monarchie constitutionnelle sur la distinction de la liberté des anciens et de la liberté des modernes suggérée par Montesquieu et développée, dès avant la Restauration, par Benjamin Constant. Très tôt, ils sont tentés de penser que la liberté américaine est plus proche de la liberté antique que de la liberté moderne, et malgré leur sympathie pour les Etats-Unis, pays de liberté, ils ne s'intéressent guère à la structure générale des institutions de ce pays. Après la révolution de 1830, le mouvement républicain se constitue, et prend vite de l'importance. C'est à ce moment qu'on commence à s'occuper en France des institutions américaines. On s'y intéresse, on les exatJUileet, naturellement, on cherche à discerner ce qu'elles ont de bon et ce qu'elles ont de mauvais. M. Rémond a choisi de relever les critiques. Il aurait vu plus juste en considérant que toute · analyse est une marque d'intérêt. Si d'ailleurs on scrute ces critiques, on s'aperçoit qu'elles sont en général en relation avec Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES le problème de l'esclavage. Que le gouvernement fédéral, que le Congrès fédéral soient impuissants à imposer aux Etats du Sud et même aux Etats du Nord le respect des principes posés par la Constitution fédérale, voilà qui choque profondément les démocrates français, accoutumés à l'idée que la pensée la plus haute et la plus générale doit s'imposer aux pensées locales et aux intérêts par-1 ticuliers. C'est au nom des lumières que les républicains français s'opposent au fédéralisme, et il va de soi que le problème de l'esclavage joue un rôle capital dans le jugement qu'ils portent sur le fédéralisme américain. Mais ils n'en ont pas moins des sentiments de vive sympathie pour les Etats-Unis, et c'est pourquoi ils souhaitent explicitement un renforcement du pouvoir fédéral. La crise de 1832-1835, que M. Rémond juge essentielle nous semble à peu près dépourvue de conséquences en ce qui concerne l'opinion publique. Les autres faits qu'il note pour cette période n'ont pas toujours l'importance qu'il leur accorde. Et il ·ignore le fait capital qui amènera, non pas le silence total dont il parle, mais une grande prudence chez ceux ·qui publient leurs opinions sur les Etats-Unis : en 1835, les lois de septembre viennent museler les écrivains républicains. Que si l'on se demande ce qui a conduit M. Rémond à voir les choses à peu près à l'inverse de ce qu'elles ont été, on remarquera aussitôt plusieurs défauts de méthode. Le premier est d'avoir classé ses fiches par questions, alors que l'historien, quel que soit l'objet de son étude, devrait adopter l'ordre chronologique, ne jamais le perdre de vue, s'attacher à lui avec obstination du commencement à la fin de son travail. Seul l'ordre chronologique assure le contrôle des hypothèses et des synthèses que l'historien ne cesse de construire. Ensuite l'auteur, qui sait que « les Français pensent à eux-mêmes, à leur pays, à leur régime quand ils pensent aux Etats-Unis» (p. 862), aurait dû ne jamais perdre de vue que les idées politiques sur les Etats-Unis s'inscrivent dans une réalité politique française toujours mouvante. Mais le plus grand vice de méthode de l'auteur, son err'eur fondamentale, c'est d'avoir traité les idées comme des sentiments. On peut par sondage s'efforcer de connaître les sentiments qui dominent dans un groupe de gens. Un sondage sur les idées n'a pas grand sens, et se ramène habituellement à un bref dialogue entre une personne qui ne comprend pas une question et une autrç qui ne comprend pas la réponse. C'est ce qui est arrivé à M. Rémond. Il a posé des questions, et il est allé chercher des réponses dans des textes dééoupés en phrases, voire en groupes de mots. Il n'était pas possible qu'il comprît autre chose que ce qu'il avait déjà imaginé. Pour comprendre les idées, il ne faut pas classer des fiches : il faut étudier les hommes. Enfin, M. Rémond n'a pas seulement traité les idées comme des sentiments: il a aussi conclu

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==