YVES LÉVY Un seul témoignage, nous l'avons dit, est versé par M. Rémond dans le dossier de l'opinion sous la monarchie de Juillet : c'est l'article de Billiard dans le Dictionnaire politique. Mais c'est qu'il s'agit, selon lui, d'un témoignage hostile aux Etats-Unis. A la vérité, il serait surprenant que Pagnerre et Duclerc aient confié l'article Etats-Unis à un adversaire de ce pays. Et pourtant les citations sont là, longues et accablantes. Mais si on les examine de près, on s'aperçoit qu'elles ont été astucieusement découpées dans un article qui est d'un ton tout différent. M. Rémond remarque en Billiard « un esprit bienveillant et qui reconnaît la prospérité des Etats-Unis », mais il regrette qu'il « repousse l'idée de leur emprunter leurs institutions ». Il ajoute : « Ainsi tout un secteur de l'opinion de gauche est soustrait désormais à l'influence des idées américaines » (pp. 671-672). Il commet ainsi une double erreur. Une erreur de méthode, car s'il voulait examiner « l'influence des idées américaines » sur « l'opinion de gauche », il fallait procéder avec moins de légèreté, il fallait abandonner la vaine méthode des sondages et étudier consciencieusement les porte-parole de cette « opinion de gauche». Une erreur de fait, car Billiard n'est nullement un adversaire des Etats-Unis ou des institutions américaines. A côté des phrases que cite M. Rémond, il y a celle-ci : « En résumé, les Etats-Unis doivent leur vie, leur force à la République ; il ne leur manque, pour assurer leur avenir, que de rassembler un plus grand nombre d'intérêts dans la cité générale, dont à cela près la Constitution nous paraît la plus parfaite qui ait jamais existé. » En fait, la désapprobation de Billiard, dans cet article, vise essentiellement le fédéralisme, accessoirement le bicaméralisme, et c'était déjà sa position en 1837, dans l' Essai sur l'organisation démocratique de la France 17 • Cela ne l'empêche pas de se référer sans cesse aux Etats-Unis, et la Constitution américaine finira par modifier ses idées, au point que, dans son livre de 1846 (non cité par M. Rémond), il préconisera une seconde chambre, qui paraît être conçue comme un organisme cumulant les pouvoirs du Sénat américain avec ceux de la Cour suprême. Comme le Sénat américain - Billiard le dit explicitement, - cette seconde chambre serait présidée par le vice-président de la République. Billiard reste cependant hostile au fédéralisme. Mais pour parler utilement de cette. question, il faudrait brosser un tableau des idées françaises sur la centralisation et la décentralisation. Disons seulement - n'en déplaise à M. Rémond - qu'on pouvait être attaché à la centralisation sans être un adversaire des Etats17. Ouvrage inconnu de M. Rémond, et où les Etats-Unis aont souvent cités : un chapitre entier expose et critique leur système fédéral, ailleurs l'auteur cite la Constitution américaine à propos du bicaméralisme, des pouvoirs du Président, des garanties, etc. En 1846, Auguste Billiard publiera De l'organisation de la ,,publique depuis Moise jusqu'à nos jours. Biblioteca Gino Bianco 239 Unis. C'était même le cas, dès 1833, du traducteur des Mélanges de Jefferson 18 • La Seconde République Nous NE NOUS APPESANTIRONS GUÈRE sur ce que l'auteur dit de la Seconde République, qui est assez superficiel. Il pose qu'après un premier moment d'engouement le revirement est venu assez vite. Pour le démontrer il cite la phrase de Sainte-Beuve dont on a parlé et qui ne concerne pas les Etats-Unis, un auteur dont il dit qu'il « ne cache pas sa sympathie pour les Etats-Unis», un autre auteur dont il dit qu'il « n'est pas mal disposé pour les Etats-Unis » (p. 857, notes 96, 97 et 99). Il cite enfin - et c'est le seul qu'il cite longuement - un journaliste de Grenoble dont le journal s'appelle l'Ami de l'ordre. Il s'agit sans doute d'une feuille d'extrême droite, et là, nous avons affaire à un ennemi des Etats-Unis. Bel exemple de la méthode des sondages : on découpe des phrases défavorables chez des amis qui ont le tort de ne pas tout approuver aveuglément, on y ajoute dix lignes d'un ennemi, et cela sert de point d'appui à une théorie qui s'étend à la France entière et à un grand nombre d'années. Nous avons gardé pour la fin un auteur dont M. Rémond cite deux articles de 1851, époque où l'on est, selon lui, en plein revirement antiaméricain. Schoelcher est cité comme adversaire des Etats-Unis, comme un de ces démocrates qui « se détournent de l'exemple américain ». A vrai dire il écrit très précisément le contraire : il écrit qu'il a << une admiration profonde pour tout ce qu'il y a de beau dans la constitution de l' Amérique du Nord ». Mais il ajoute que, « le cœur oppressé», il n'en dénoncera pas moins l'esclavage. D'où il faut conclure que M. Rémond n'admet pour amis des Etats-Unis que les gens qui fermaient les yeux sur l'esclavage. C'est assez inattendu. Conclusion L'AUTEUR formule des conclusions sur deux plans : sur sa méthode - dont il se montre assez satisfait - et sur la matière dont il a longuement traité. Abordons-les par ce second point. Evoquant les années 1832-1835, il écrit : Dans le court espace de trois ou quatre années, tout ou presque tout s'est modifié. A cormnencer par le 18. J.-P. Conseil, cité plus haut. Il s'étend longuement sur ce point, et conclut (contre Jefferson) : « Ce n'est donc pas dans l'affaiblissement du gouvernement central qu'il faut chercher le salut de la république. Ce gouvernement doit ê~re investi de tout le pouvoir qui lui est nécessaire » (op. cit., I, 42). Il y avait deux écoles : ceux qui pensaient que le fédéralisme convenait aux Etats-Unis, non à la France, ceux qui pensaient que le fédéralisme nuisait aux Etats-Unis eux-mêmes, parce qu'il laissait s'approfondir, entre le Nord et le Sud, le fossé qu'un gouvernement central plus fort aurait pu combler.
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