Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

238 bords. D'autres auteurs sont moins sujets à caution. Lorsque M. Rémond cite (p. 740, note 57) Granier de Cassagnac disant en 1835 à ses adversaires libéraux : « Il vous arrive souvent, Messieurs, de citer dans vos discussions les Etats-Unis comme un pays de lumières et de sagesse», il faut croire que chez ceux-ci, en pleine crise franco-américaine, la sympathie pour la grande République <l'outre-Atlantique vivait toujours. Sous la même date, M. Rémond cite (p. 533, note 3 ; p. 543, note 1) un Guide qui fait l'éloge du gouvernement américain, « le meilleur qui ait jamais existé» : il faut croire que ces propos publicitaires ne semblaient pas indécents, même au plus fort de cette même crise. Ailleurs (p. 521) il cite Roux de Rochelle qui, dès l'épigraphe de son livre sur les Etats-Unis, annonce une ère nouvelle : « Magnus ab integro sœclorum nascitur ordo. » Et ce livre paraît dans la collection de l'Univers pittoresque, dont le succès est considérable. Il cite aussi (p. 533) Benjamin Laroche - traducteur et préfacier d'un ouvrage de Miss Martineau, De la société américaine (Paris 1838) - qui voit dans les Etats-Unis « un théâtre d'essais d'où sortira, armé d'une solution concluante, le problème des siècles, le problème de la perfection possible appliqué à l'action des gouvernements ». Il cite (pp. 540, 549) F. de Castelnau qui écrit (en 1842) que le gouvernement des EtatsUnis « s'approche singulièrement de la perfection». Il cite (p. 672, note 27) Auguste Billiard qui en 1842, dans le Dictionnaire politique de Duclerc et Pagnerre, rédigea l'article sur les EtatsUnis. A ces témoignages, on peut en ajouter qu'ignore M. Rémond. En 1838, un auteur qui signe « V. Courtet, de l'Isle » publie un livre intitulé La Science politique fondée sur la science de l'homme, ou étude des races humaines sous le rapport philosophique, historique et social, avec l'épigraphe : « La politique deviendra une science positive. » Quinze ans avant Gobineau (mais dans un esprit différent) il fait de la doctrine des races le ressort unique de l'histoire, et consacrant un long chapitre à l'esclavage aux Etats-Unis, il suggère une solution inspirée à la fois du libéralisme et de l'inégalité providentielle des races. D'autre part, il prévoit que le Nord des Etats-Unis se séparera du Midi, celui-ci conservant, avec l'esclavage, la simplicité de ses mœurs et de ses formes républicaines, tandis que le Nord perdra le self-government, mais est promis à la gloire, et aux progrès d'une merveilleuse civilisation (p. 235). Des esprits chagrins pourront imaginer que ces prédictions sont d'un adversaire des Etats-Unis. Point du tout. Le ton qu chapitre est empreint de la plus vive sympathie pour ce pays, et il semble bien que l'auteur considère du même œil les joies rousseauistes d'une liberté --agreste (mais fondée sur l'esclavage) et les satisfactions moins austères mais socialement plus astreignantes du progrès et de la civilisation. Autre témoignage : retraçant la vie de Jefferson dans le tome LVIII de la Biographie universelle (1841), V. Parisot manifeste, BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES pour l'expansion des Etats-Unis, un véritable enthousiasme : « Bientôt la civilisation plaça ses postes avancés dans le désert, et tour-à-tour douce et menaçante, bienfaitrice ou fun~ste,. e~e co~- mença cet envahissement progressif qw na pomt encore atteint sa limite et qui sans cesse va refoulant le sauvage et déboisant la solitude pour la métamorphoser en riantes cultures et en villages. Une chaîne de lieux habités relia ainsi les rives des deux océans, et le poète a pu dire de l'Union: Salut ! ô grande république qui embrasses un monde, salut, empire qui surgis sur l'Occident ! 15 » Sans aucun doute, une recherche systématique apporterait bien d'autres textes 16 • Mais ceux dont nous disposons nous permettent de dire que le silence total dont se plaint M. Rémond nous semble à nous singulièrement bruyant. En vérité, notre auteur devait avoir l'esprit terriblement prévenu pour n'entendre pas les voix que lui-~ême a citées. Et de sa prévention on peut fourrur une preuve remarquable : de mêm~ qu'il a écart~ des chapitres sur la Restauration tout ce qw concerne l'esclavage, il a écarté de la quatrième partie de son livre - relative à l'opinion sous la monarchie de Juillet - à peu près tous les témoignages que nous venons de tirer de ce même livre: sauf un, ils sont tous dans la partie consacrée à la Restauration. Mieux encore : Francis de Castelnau est présenté (p. 549) comme « un voyageur qui visite les Etats-Unis une dizaine d'années après 1830, mais qui formule exactement le point de vue des libéraux de la Restauration ». Admirable façon de faire voyager un témoignage à travers le temps ... Ne dirait-on pas que Castelnau est un vieux libéral encroûté qui n'a pas changé d'idées depuis trente ans ? Or - peut-être M. Rémond ne s'en doute-t-il pas - il a dix-huit ans au moment de la chute de la branche aînée, il en a sans doute vingt-six ou vingt-sept lorsqu'il parcourt les Etats-Unis, trente lorsqu'il publie son livre. Ajoutons qu'il donnera à la Liberté de pensée, en avril 1848, des Observations sur la constitution des Etats- Unis ( article non cité par M. Rémond) où il dit (p. 406) que sans penser que cette Constitution « puisse être entièrement appliquée à la France», il est cependant convaincu que de son étude << pourra sortir beaucoup de lumières dans l'état actuel des choses ». 15. Op. cit., p. 155. L'article de Parisot couvre quatorze pages sur deux colonnes. 16. Par exemple Philosophie de la politique, par Gimet de Joulan (avril 1843), où l'on trouve un chapitre sur la Constitution des Etats-Unis - l'auteur y donne les preuves « de la supériorité du gouvernement américain sur ceux de notre Europe » (p. ,178) - et où ·on lit (p. 191) : « La constitution américaine, prenant un point de départ qui est la nature même des choses, et non une vérité de convention, arrive aux conséquences logiques de son principe, c'est-à-dire à la vérité, par la vérité. Le peuple étant souverain, tout se fait dans son intérêt réel ; il a donc rarement sujet de se plaindre. Cela explique pourquoi aux Etats-Unis les révolutions sont impossibles, et les émeutes sans objet. C'est ainsi qu'on obtient la stabilité. » Voir également les deux ouvrages de Billiard cités plus bas. -

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