YVES LÉVY ricains qui ont rendu au général La Fayette des honneurs inconnus jusqu'alors, ce qu'ils penseraient d'un homme qui rendraient à leurs esclaves des services analogues à ceux qu'ils ont eux-mêmes si bien récompensés, et l'on verra à quoi · se réduisent leurs principes de morale. » Pour finir, rappelons la lettre écrite par Jacquemont, en cette même année 1827, à son ami Victor de Tracy. 11écrit (éd. citée, p. 156) : « En opposition à l'acte constitutionnel fédéral (lequel proclame l'égalité des droits pour tous les hommes, sans acception de couleur ou de race), les lois particulières de chaque Etat fédéré sanctionnent dans presque tous l'esclavage, et n'admettent dans aucun les hommes de couleur libres à l'égalité politique. » Comme Charles Comte, Victor Jacquemont note la légalisation inconstitutionnelle de l'esclavage par les Etats du Sud. Ce trait ne laisse pas d'être remarqué, et l'on n'est pas surpris de le trouver, peu après la révolution de 1830, sous la plume d'un polémiste orléaniste, tout heureux de constater qu'aux Etats-Unis on voit « oppression, inégalité, et le mot [le mot république] en contradiction avec la chose», puisque « l'esclavage y est protégé par les lois » 12 • L'industrialisation Nous N'ABANDONNERONS PAS la Restauration sans aborder un dernier thème, celui de l'industrialisation. Selon M. Rémond, les Français, jusqu'à la fin de la Restauration, se sont représenté les Etats-Unis comme une Arcadie agricole. Tout au plus cite-t-il, comme textes parlant de l'industrie naissante, le Manuel-Guide des voyageurs aux Etats-Unis de Fernagus de Gelone (1818), qui dit que Pittsburgh sera le Birmingham de l'Amérique, et un article de Sismondi de 1827. Il convient d'ajouter qu'en 1816 la Biographie universelle de Michaud 13 , dans l'article Fulton (rédigé par Warden) présente les Etats-Unis comme « un pays neuf, où les inventions nouvelles et les procédés avantageux trouvent toujours quelque citoyen entreprenant pour les exécuter aussitôt qu'ils sont conçus ». Puis, en 1819, dans ses Nouveaux Principes d'économie politique (non cités par M. Rémond), Sismondi signale à son tour que Pittsburgh est le « Birmingham américain ». Il note que « des manufactures en très grand nombre ont déjà été établies, surtout dans le cours de la dernière guerre» (il s'agit de la guerre contre l'Angleterre, 18121814), insiste sur la qualité des machines, relève que les manufacturiers demandent un tarif protecteur, puis il parle des effets de l'industrialisation: « Le gain à faire est devenu la première considération de la vie ; et, dans la nation la 12. Questions sur la rivolution de 1830, par le baron Massias, Paris, 1830, p. 18 (non cit~ par M. R~mond). 13. Il est surprenant que M. R~mond ignore la Biographie universelle. Paraissant de 18n à 1862, elle couvre toute la p&iode ~di~e. C'~tait un ouvrage de consultation courante. Biblioteca Gino Bianco 237 plus libre de la terre, la liberté elle-même a perdu de son prix, comparée au profit. L'esprit calculateur descend jusqu'aux enfans, il soumet à un constant agiotage les propriétés territoriales ; il étouffe les progrès de l'esprit, le goût des arts, des lettres et des sciences; il corrompt jusqu'aux agens d'un gouvernement libre, qui montrent une avidité peu honorable pour les places, et il imprime au caractère américain une tache qu'il ne sera pas facile d'effacer 14 • » On rappellera enfin que, dans la lettre déjà citée, Jacquemont fait également état de la création de grandes manufactures, déplore le sort des ouvriers qui viennent « s'enfermer dans ces immenses et tristes ateliers où leur existence est réduite à un petit nombre de mouvements automatiques, où leur corps souvent se déforme, où leur esprit s'abrutit, où leur âme se déprave ». L'opinion sous la monarchie de Juillet Tous CES TÉMOIGNAGES nous conduisent bien loin des visions pastorales que M. Rémond attribue aux Français de la Restauration. Nous ne parlerons pas si longuement de l'opinion française sous la monarchie de Juillet, mais il faut montrer cependant que l'auteur ne voit pas les choses dans leur vrai jour lorsqu'il affirme qu'après la crise de 1833-1836, les Français ont perdu toute estime pour les Etats-Unis. Nous avons établi que les critiques formulées contre ce pays pendant la monarchie de Juillet n'avaient rien de nouveau, et qu'on les trouvait déjà dans les écrits de la Restauration. Il est temps de citer des auteurs qui montrent de l'intérêt, voire de l'attachement pour les Etats-Unis. Remarquons d'abord que M. Rémond lui- même est surpris de la désaffection dont il parle. Lorsqu'il arrive à la révolution de 1848, il voit renaître brusquement l'intérêt des Français pour les EtatsUnis. « Il faut admettre, dit-il (p. 836), devant une résurgence aussi prompte et un engouement aussi étendu que la disparition de l'école américaine depuis 1835 était peut-être moins complète que son silence ne le donnait à croire. » Oui. Mais ce silence était-il aussi grand qu'il l'imagine ? Lui-même aurait pu le trouver moins général qu'il ne dit : il lui aurait suffi de rassembler en une gerbe les témoignages qu'on rencontre ici et là dans ses notes. Ne parlons pas de ce Jollivet qui invoquait l'exemple américain pour maintenir l'esclavage dans les colonies françaises, ni de cet Alphonse Ride (non cité par M. Rémond) qui dans Esclavageet liberté (Paris 1843) - ouvrage écrit au moins en partie aux Etats-Unis, et où ils sont souvent cités - fait l'apologie de l'esclavage et du despotisme, et attaque avec fougue l'ouvrage de Charles Comte dont on a parlé plus haut, ainsi que les républicains et socialistes de tous 14. Op. cit., I, 431. Le passage se retrouve sans changement en 18~7 dans la seconde ~dition.
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