Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

236 à parler des Etats-Unis. Dans les premiers temps, parce que la question de la traite occupe les esprits plus que celle de l'esclavage: son aboµtion semble possible, alors que la suppression de l'esclavage offre de bien plus grandes difficultés. Et dans la suite,· les auteurs qui combattent l'esclavage · songent plus aux colonies françaises et anglaises qu'aux Etats-Unis d'Amérique. Néanmoins on remarq1:1e que Jean-Baptiste Say - de qui M. Rémond ne cite qu'un ~cle de 1824 - parle assez durement de l'esclavage dans la troisième édition de son Traité d'économie politique (1817) et prend essentiellement pour exemple les Etats esclavagistes des Etats-Unis : « Le maître d'un esclave est un être dépravé qui ne peut devenir un homme industrieux, et qui déprave l'homme libre qui n'a point d'esclaves. Le travail ne peut être en honneur dans les mêmes lieux où il est une flétrissure (...). L'inactivité de l'esprit est la conséquence. de celle du corps ; le fouet à la main, on est dispensé d'intelligence( ...). Les habitants de la Caroline et de la Géorgie qui ont des esclaves, et qui recueillent des cotons excellens, ne savent pas les travailler. Ils sont obligés, en temps de guerre, d'envoyer par terre à grands frais·1eurs cotons à New Yprk pour être filés. Les mêmes cotons reviennent ensuite à grands frais se faire consommer aux lieux qui les ont vus croître. C'est ainsi que sont punis les pays qui permettent à quelques hommes de tirer, par la violence, de leurs semblables, un travail forcé; en échange des privations qu'ils leur imposent 9 • )) En 1825, Dunoyer publi~ L_'Industrie et la Morale considérées dans leurs rapports avec la liberté (non cité par M. llémorid). Cet ouvrage curieux s'ouvre sur une théorie des races qui a inspiré à Courtet (de l'Isle) le système historique que développera Gobineau. Du~oyer examine l'aptitude des diverses races~ la liberté, et découvre, entre autres choses, la supériorité des Européens, et l'infériorité des ·nègres. Cela ne l'incite d'ailleurs nullement à accepter l'esclavage, auquel il a toujours été opposé 10 • Dans sa classification, il place les peuples à esclaves au-dessus des peuples s~uvageset des peuples nomades, mais au-dessous des peuples à privilèges, des peuples dominés par la passion des places et des peuples industrieux. Quant aux Etats-Unis, ils lui semblent « offrir un modèle assez exact » du peuple purement industrieux, malgré l'esclavage, qui n'y est pas « aussi funeste qu'il le fut en Europe, dans l'antiquité·» : 9. Tome I, pp. 282-283. Ce passage n'existe pas dans la pre_mièreédition (1803), et il a disparu de la cinquième (1826). Nous ignorons s'il figure dans la seconde (1814) et dans la quatrième (1819). Il est possible qu'en 1826, sous un ministère· ultra, Jean-Baptiste· Say hési_te à attaquer les Etats-Unis, pays de la liberté. · 10. Cf. le Censeur européen, tome VII, 1818, pp. 282-299 (cf. notamment, sur les Etats-Unis, les pp. 296-297). Dunoyer dirigeait avec Charles Comte ce journal, qui parut en 18141815 (il s'appelait alors le Censeur), puis de 1817 à 1819. Son livre est un ensemble de conférences prononcées ~ l' Athénée, dont l'activité avait alors un grand retentissement. Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES la raison en est que les esclaves sont acquis par le commerce, non par la guerre. Mais l'auteur poursuit (pp. 229-30) : « Cependant l'esclavage a encore dans les parties de l'Amérique où il exis~e des conséquences fort graves. Il est pour les habitants une cause d'inactivité, d'insouciance, d'incapacité ; il corrompt leur morale ; il compromet leur sûreté ; enfin, il a ceci de particulier et de terrible, qu'on ne saurait trop comment le détruire et que cette plaie honteuse de l'Amérique semble être à jamais incurable. » Suivent les raisons de l'auteur, qui cite longuement la description que fait Jefferson des effets de l'esclavage. Telle est la façon dont Dunoyer parlait de l'esclavage aux Etats-Unis, dans les premiers mois de 1825, aux auditeurs de l'Athénée royal. Charles Comte sera plus dur encore. Le .quatrième volume de son Traité de législation, ou exposition des lois générales suivant lesquelles les peuples prospèrent, dépérissent ou restent stationnaires (1827) est un réquisitoire où les Etats-Unis sont souvent mis en cause 11 • Et l'auteur ne mâche pas ses mots. Il accuse les esclavagistes américains de régner par « l'abrutissement, la division et la terreur» (p. 174). Et il brosse;tout au long d'un chapitre de vingt-huit pages (pp. 159-186),. un tableau effrayant des horreurs de l'esclavage et de ses effets aux Etats-Unis. Il ne peut être question de le citer longuement, et l'on se bornera ici à deux passages. Ch. Comte écrit (p. 161) : « Quoiqu'on trouve dans presque toutes les constitutions des Etats-Unis, que tous les hommes sont libres et égaux, et d'autres maximes semblables, il ne faut pas se figurer que l'état réel de la société est tel qu'il a été décrit par des philosophes dans des registres ou des livres auxquels on donne le nom de constitutions. » Charles Comte s'étend non seulement sur l'inhumanité des traitements subis par les esclaves, mais sur l'abrutissement qui en résulte pour eux, sur la démoralisation profonde qui en résulte pour la classe des maîtres. Et il ne pense même pas que les effets nocifs de l'esclavage soient limités aux Etats du Sud : « L'influence de l'esclavage sur les mœurs de la classe des maîtres, n'est pas renfermée dans les états où il existe un grand nombre d'esclaves ; elle se fait sentir dans toute l'étendue de l'Union» (p. 182). En dehors de ce chapitre, les Etats-Unis ne sont pas mieux traités, et il y aurait bien des pages curieuses à citer (par exemple, p. 314, sur la recherche des places, thème important à l'époque, et sur lequel Comte contredit Dunoyer). Limitons-nous à une note de la p. 12, où le voyage triomphal de La Fayette est évoqué en des termes très différents de ceux qu'on trouve dans les pages que lui consacre M. Rémond. « Qu'on demande, écrit Comte,. aux citoyens amé11. Ouvrage non cité par M. Rémond. Notons que les deuxième et troisième volumes reprennent des données ethnographiques sur les Indiens d'Amérique. Dans son Traité de la propriété (1834), le même auteur examine le système américain de la propriété littéraire, dont les effets lui semblent nuisibles.

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