YVES LÉVY aliment de quelques rêveurs épars et sans consistance». Par la voix de Conseil comme par celle de Corcelle, les républicains de l'école américaine confirment ce que nous avons eu l'occasion d'exposer ici: en 1830, seuls quelques individus sans influence étaient républicains, et ils étaient conscients de leur totale impuissance 6 • f Les libéraux et la liberté QUE SI o' AILLEURnSous examinons les critiques formulées à l'égard des Etats-Unis sous la Restauration, elles nous rappelleront un thème que nous avons déjà mentionné ici 7 , et qui joue un rôle considérable dans la pensée libérale de ce temps-là : c'est l'opposition de la liberté des anciens et de la liberté des modernes. Ce thème ve~ait de Montesquieu, qui expliquait (Esprit des Loix, XI, 2) pourquoi l'idée de liberté est ordinairement associée au gouvernement républicain : « Comme dans les Démocraties le peuple paraît à-peu-près faire ce qu'il veut, on a mis la liberté dans ces sortes de Gouvernemens, et on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple. » Mais, continue Montesquieu (id., XI, 4), « la Démoc_ratie et l'Aristocratie ne sont point des Etats libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les Gouvernemens modérés. » Et il fait le tableau de ce gouvernement modéré : c'est la monarchie anglaise. Benjamin Constant, en 1813, reprend ce thème et, se référant à Condorcet et à Sismondi, il définit la liberté civile ou liberté individuelle qu'il oppose à la liberté politique : « Les anciens trouvoient plus de jouissances dans leur existence publique, et ils en trouvaient moins dans leur existence privée. En conséquence, lorsqu'ils sacrifioient la liberté individuelle à la liberté politique, ils sacrifiaient moins pour obtenir plus. Presque toutes les jouissances des modernes sont dans !eur existence privée. L'immense majorité, touJours exclue du pouvoir, n'attache nécessairement qu'un intérêt très passager à son existence publique. En imitant les anciens, les modernes sacrifieraient donc plus, pour obtenir moins» (De l'usurpation, chap. vu). Cette théorie - qu'il développera dans sa célèbre conférence de 1819 sur la liberté des anciens et des modernes - est vraisemblablement la source directe ou indirecte (car ce thème se répand vite) de bien des propos anti-américains de cette époque. On la reconnaît très clairement dans le texte d' Auguste Comte de 1818 dont on a parlé plus haut, et où se trouvent opposées la liberté politique et la libertè civile, mais aussi chez tous ceux qui font la critique de la civilisation des Etats-Unis. 6. Cf. Contrat social, juillet-aotlt 1961. Dans cet article, nous citions B. Sarrans jeune, autre représentant de l'école américaine. 7. Cf. Contrat social, juillet 196o, p. 207, et juillct-aotlt 1961, p. 198. Biblioteca Gino Bianco 235 Pour appliquer aux Etats-Unis la critique des républiques antiques mise à la mode par Montesquieu, il fallait faire une transposition, et reconnaître dans la contrainte sociale qu'on y observait l'équivalent de la contrainte légale qui régnait dans les républiques de l'Antiquité. Il serait intéressant de savoir qui a le premier, en formulant cette équivalence, permis de rejeter l'exemple américain au profit du modèle anglais, comme Montesquieu avait écarté le spectre de la république à l'antique avant d'aborder l'éloge de l'Angleterre. Mais si, dans la critique des Etats-Unis sous la Restauration, la pression sociale est au premier plan, la pression légale est loin d'être absente. Dans sa lettre à Victor de Tracy, Jacquemont note que la Constitution fédérale n'est guère respectée sur le plan local, et que les lois des Etats, voire les règlements municipaux, sont souvent oppressifs. Notamment en matière de religion: « L'intolérance religieuse a reçu successivement la sanction inconstitutionnelle de presque toutes les législations particulières. Nos jésuites sont des philosophes auprès de ces puritains ! A mesure que la loi est plus locale, à mesure qu'elle e~t faite par et pour un plus petit nombre d'individus, comme par exemple les règlements de police municipale, elle est plus fanatique et plus intolérante. » Ecrite en 1827, cette lettre, à vrai dire, n'a été publiée qu'en 1867, mais une recherche approfondie ferait peut-être découvrir d'autres témoignages similaires. En tout cas, il y a un point sur lequel l'oppression légale était patente, et n'a cessé d'occuper les esprits : c'est l'esclavage. La question de l'esclavage sous la Restauration SELONM. RÉMONDl,a question de l'esclavage n'a, sous la Restauration, guère retenu l'attention des Français. Il en est si convaincu, qu'il ne traite de ce problème que dans la partie qui concerne la monarchie de Juillet, soulignant que Mme de Staël et quelques autres ne le soulèvent que pour admettre qu'il sera bientôt réglé par la législation fédérale. S'agissant de Mme de Staël, on serait tenté de penser, à l'inverse de M. Rémond, que la question de l'esclavage lui semble d'une grande importance, puisque, sur huit lignes qu'elle écrit sur les Etats-Unis 8 dans le passage que cite notre auteur, elle en consacre la moitié à déplorer q~e cette j.nstitution y subsiste. Quoi qu'il en sott, M. Remond ne trouve sous la Restauration, pour considérer sans optimisme l'esclavage aux Etats-Unis, que Sismondi (dans un article de 1827), puis Albert-Montemont l'année suivante, Barbé-Marbais en 1829. Antérieurement, dans l'image idyllique qu'on se faisait des Etats-Unis, l'esclavage, pense-t-il, n'attirait guère l'attention. Il serait plus exact de dire que la plupart des auteurs qui parlent de l'esclavage ne songent pas 8. Dans les Consid,rations sur la Rwolurion françaiu Paris 1818, tome III, pp. 299-300. '
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