232 après l'autre, se lient les unes aux autres, forment bientôt l'image d'un monde tout différent de celui qu'on s'était d'abord représenté, cependant que les Etats-Unis sont tout à coup personnifiés par un homme nouveau, violent et batailleur, cependant que s'éteint le héros des deux mondes, ce gentilhomme d'un autre temps qui avait connu les grands ancêtres, cependant que les libéraux rejoignent craintivement les rangs de leurs adversaires de naguère, et qu'un nouveau courant de pensée, le socialisme, croît et envahit la scène, nouveau courant aux yeux de qui, bientôt, les Etats-Unis ne seront plus l'image de la paix et du bonheur, mais de la violence et de l'oppression. Puis, on aurait assisté aux premiers développements de ces idées anti-américaines promises à un si long avenir. On les aurait vues gagner peu à peu les esprits dans les différents secteurs de l' opinion, et conquérir enfin la société tout entière. Le« revirement» de Stendhal CE POUVAIT ÊTRE un beau livre, mais sa valeur historique eût été bien douteuse. Il ne peut être question de reprendre ici tous les points contestables de l'argumentation de M. Rémond, et on peut d'autant moins songer à le faire qu'à l'occasion il se contredit lui-même sans vergogne. Ainsi, il parle longuement de Stendhal (pp. 679-683) et expose l'évolution de ses idées sur les Etats-Unis. Son cas est important : il « illustre de façon exemplaire l'ambiguïté du libéralisme et de sa position à l'égard des Etats-Unis ». Nous étions d'ailleurs prévenus dès le commencement: « Nous évoquerons longuement l'évolution des sentiments de Victor Jacquemont et de Stendhal, parce que nous avons acquis la conviction qu'elle éclairait le revirement d'une large fraction de l'opinion libérale » (p. 9). Et à ce revirement l'auteur fait allusion à plusieurs reprises. Examinons donc cette évolution de Stendhal et de Jacquemont qui dispense d'étudier celle des autres libéraux. Tantôt Stendhal, écrit M. Rémond, célèbre le gouvernement des Etats-Unis comme le gouvernement idéal, « et tantôt il assure que pour rien au monde il ne consentirait à y vivre ». « Comment expliquer pareille incohérence chez un esprit aussi lucide ? » se demande-t-il. Et il donne la réponse en se référant à l'hypothèse de J. F. Marshall, érudit américain : en 1817, sous l'influence de Destutt de Tracy, Stendhal devient démocrate jeffersonien; en 1828, sous l'influence de son ami Victor Jacquemont, qui revient désenchanté des Etats-Unis, « l'équation liberté = bonheur se dissocie : il se convainc que la tyrannie de l'opinion a remplacé celle du souverain ». Cette hypothèse, ajoute M. Rémond, « vraie dans sa ligne générale, laisse subsister quelques obscurités. Il est arrivé à Stendhal, bien avant 1828, d'exprimer des réserves sur les Etats-Unis, tout comme il continuera après cette date à manifester une certaine sorte de sympathie pour le gouvernement américain. » Pourtant M. Rémond admet Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES l'hypothèse Marshall, puisqu'il mentionne le revirement de Stendhal dans son Introduction, puisqu'il explique le rôle d'un certain Clinker dans ce revirement, puisqu'il rédige une note qui commence par les mots suivants : « Ajoutons à la démonstration de J. F. Marshall un argument qui nous semble de poids. » Mais au moment de terminer ces pages sur Stendhal, l'auteur complète sa dernière note par une dernière citation. Et il donne la référence de cette citation : « Vie de Rossini, publiée en 1825, donc avant le prétendu revirement de 1828. » Que la Vie de Rossini soit en réalité de I 824, ce n'est pas là le point. Mais que dire de l'auteur qui nous prépare de longue main à voir dans le revirement de Stendhal l'image même du retournement des libéraux de son temps, et qui nous avertit in fine qu'il ne s'agit que d'un « prétendu revirement» ? Nous sommes alors contraint d'examiner à notre tour le problème de façon à savoir qui a raison, de M. Rémond approuvant longuement J. F. Marshall ou de M. Rémond s'opposant laconiquement à lui. La méthode de travail est d'ailleurs assez simple : on prend le très précieux index de l'édition Martineau (que M. Rémond ne semble pas connaître) et on l'ouvre au mot« Etats-Unis». On y vérifie d'abord les citations données par l'auteur (p. 680, note 19) pour montrer les sentiments de ferveur qui, avant 1828, animent Stendhal à l'égard des Etats-Unis. Ces citations sont au nombre de trois comprenant au total onze mots (y compris les articles définis et indéfini). L'une vient de la Correspondance, mais elle n'est pas datée, et l'auteur ne dit pas de quelle édition il s'est servi. Quoi qu'il en soit, il ne semble pas qu'il y ait, dans l'index de Martineau, aucune référence se rapportant à ce passage. Les deux autres proviennent de Rome, Naples et Florence, et la malchance veut qu'aucune des deux n'ait été répertoriée dans notre index. L'index est donc en faute ? C'est possible, mais non certain : il se pourrait aussi que les citations de M. Rémond soient fausses, car il fait certainement des citations fausses, attribuant par exemple à la Minerve (p. 731) des opinions qui lui sont parfaitement étrangères. D'ailleurs, quand ses citations seraient vraies, il est possible qu'elles n'aient pas le sens qu'il leur donne, car on seméprend facilement sur le sens de quelques mots détachés du contexte: ainsi l'auteur attribue à Sainte-Beuve (p. 857) une condamnation des Etats-Unis qui ne figure nullement dans son texte : la phrase citée, écrite après le coup d'Etat, concerne la France et enregistre l'échec, en France, de la république présidentielle. Il y a enfin une raison beaucoup plus forte qui nous incite à penser que les citations de M. Rémond sont fausses ou mal interprétées : c'est que,' précisément dans Rome, Naples et Florence, Stendhal, à plusieurs reprises, exprime les opinions qu'on retrouvera sous sa plume jusqu'à la fin de sa vie : parlant de la « disposition triste et mystique que l'on remarque à Philadelphie » (sous sa plume, «mystique » est le contraire d'un éloge), il note que« l'amour du beau et de l'amour
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