YVES LÉVY justification du travail de l'auteur. C'est un volume essentiellement documentaire où sont rassemblées de précieuses données sur les moyens de communication entre la France et les EtatsUnis, sur les voyageurs français aux Etats-Unis, sur les émigrants (depuis l'émigration politique jusqu'à celle des chercheurs d'or), sur les missions religieuses et les relations entre catholiques, protestants, francs-maçons français et américains, sur les relations des intellectuels des deux pays, les relations économiques (exportations, douanes, navigation, achats spéculatifs de terrains, souscription aux emprunts fédéraux), sur les Américains qui viennent en France pour un court séjour et sur ceux qui y résident. L'auteur passe ensuite en revue, dans ce même volume, ce qu'on a imprimé en France sur les Etats-Unis dans la période considérée. Il indique l'influence des auteurs du passé, qu'on réimprime ou qu'on plagie, celle des écrivains et journalistes anglais (d'autant plus importante que les nouvelles d'Amérique viennent pendant assez longtemps par l'Angleterre), il suit le destin de la littérature américaine en France, il recense les ouvrages français sur l'histoire, la géographie, les institutions des Etats-Unis, sur la technique et l'économie américaines, et fait une place à part aux « essais de synthèse» (Achille Murat, Michel Chevalier, Tocqueville, Gustave de Beaumont, le major Poussin, Pelet de la Lozère, Philarète Chasles). Il n'oublie pas les compilations à l'usage de la jeunesse, et les romans pour les grands et pour les petits. Enfin il parle des revues et des journaux et traite de la représentation imagée des EtatsUnis. Dans ce magistral inventaire, l'auteur laisse explicitement de côté « l'innombrable littérature politique, proaméricaine ou antiaméricaine, d'origine française » (p. 415). Il continue : L'engouement pour les institutions américaines, la sympathie pour le peuple américain, le désir de voir la France prendre modèle sur l'exemple des Etats-Unis ont inspiré quantité d'écrits. Ils ont aussi suscité par réaction une famille de pamphlets où (...) s'étalent sans ménagements la détestation, l'exaspération, l'animadversion pures. Mais recenser les formes de ces deux catégories d'écrits, « c'est déjà quitter l'enquête sur les sources de l'opinion, c'est sortir du domaine dont nous achevons l'exploration, c'est observer l'opinion, c'est nous introduire au cœur de cette organisation». Cette dernière phrase nous donne clairement le plan de l'ouvrage : le remarquable premier volume concerne les sources de l'opinion, le contestable second volume concerne l'opinion elle-même. Et les lignes qui précèdent cette phrase nous donnent une des clés de la réflexion de l'auteur : il considère qu'amis des Etats-Unis sont ceux qui veulent lui emprunter des institutions, adversaires ceux qui n'ont point d'estime pour elles. Cette double équation est fausse, et luimême s'en est parfois rendu compte. Il aurait dft se souvenir que la République française a, aux Biblioteca Gino Bianco 231 derniers jours du siècle dernier et dans les premières années de ce siècle, éprouvé pour la Russie une passion qui ne s'étendait pas à son régime politique. Et pour prendre un exemple actuel, que dirait-il des sentiments que les Français d'aujourd'hui portent à l'Espagne ? A une enquête, beaucoup d'entre eux répondraient qu'ils aiment l'Espagne, et pourtant il n'en est guère qui voudraient voir la France adopter nous ne disons pas ses institutions actuelles, mais celles qu'elle a eues à quelque moment que ce soit de son histoire. Désordre dans la chronologie LE SECONDVOLUMEo,n l'a dit, traite de l'histoire de l'opinion française sur les Etats-Unis sous trois régimes successifs. En principe, l'auteur suit la chronologie. En fait, il donne de sérieuses e~torses à l'ordre historique. Il semble qu'il ait été porté à classer ses fiches par questions, au lieu de s'astreindre à suivre avec rigueur la succession des temps. Le cas le plus caractéristique est celui des années 1832-1835. A tort ou à raison, l'auteur attribue à cette période une importance exceptionnelle : « Nous avons dit, écrit-il (p. 863), l'importance des années 1832-1835 : toute notre étude pivote autour d'elles. Elles tracent au beau milieu de notre période une ligne de partage décisive qui sépare comme deux versants : les années antérieures se rattachent encore au xv111e siècle qu'elles prolongent à peu près sans solution de continuité ; les années postérieures sont tournées vers la fin du xixe siècle, et même vers le xxe siècle dont elles annoncent déjà tous les thèmes. » L'auteur insiste sur la convergence, en ces années-là, de plusieurs facteurs : « élection de Jackson, changement de régime en France, glissement à droite des libéraux, mort de La Fayette, publication de l'ouvrage de Tocqueville, crises des relations diplomatiques ». Ce faisceau de faits qui rejette dans le passé une certaine conception des Etats-Unis, qui fait paraître au jour des idées toutes nouvelles destinées à dominer tout l'avenir et à s'imposer à nos contemporains, on imagine qu'il les a groupés au centre de son livre ? Point du tout. Tocqueville est dans le premier volume, la mort de La Fayette et l'évolution des libéraux ouvrent la quatrième partie (l'opinion sous la monarchie de Juillet), et la crise diplomatique qui oppose la France aux Etats-Unis de 1833 au commencement de 1836 entre dans le dernier chapitre de cette même partie. Or cette crise, aux yeux de l'auteur, a une telle action sur l'opinion publique qu'il lui consacre plus de place qu'il ne fait à n'importe quelle autre question. Il est étrange de le voir ainsi décaler cet événement, et l'on se prend à songer au livre dramatique qu'il pouvait écrire s'il avait montré les idées du xv111e siècle se prolongeant sous la Restauration, persistant et même prenant une nouvelle vigueur aux premiers temps du règne du roi-citoyen. Et puis la crise gronde, elle éclate, des idées nouvelles apparaissent l'une
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