Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

228 mais qui analysent et ne tirent pas de conclusions optimistes dérivées de la politique - de tels écrits ne sont pas encore dans les possibilités de la littérature hongroise d'aujourd'hui. Enfin, quel que soit le mérite de l' œuvre des écrivains libéraux, un principe subsiste contre lequel ils ne peuvent s'élever : le droit qu'a le Parti de se faire juge de la production littéraire. Ils ne peuvent en effet mettre en question ni les dogmes idéologiques consacrés ni les pratiques essentielles du communisme. Le fait que _le régime de Kadar n'est pas disposé à dévier d'un millimètre de ces tabous a été récemment illustré par les critiques émises par deux publications littéraires, Alfold (« Basse Terre », d'après la topographie de la région de Debrecen où ce journal est publié) et Jelenkor (le Contemporain), publié à Pecs. S'attaquant à l'esprit des deux revues, l'organe central du Parti N epszabadsag (8 déc. 1963) déclarait : En lisant les numéros d' Alf old et de Jelenkor de cette année, [on est frappé] du fait que le tableau d'ensemble, qui n'est pas trop favorable, déborde d'éléments malsains. Les deux périodiques contiennent des articles révélant des vues incorrectes, petites-bourgeoises et parfois hostiles et dangereuses. Certains des articles et des numéros contiennent des idées et des déclarations allant nettement à l'encontre du marxismeléninisme et de l'esthétique marxiste, aussi bien que de la politique et des théories qui forment l'assise de notre parti. L'auteur anonyme critiquait également un essai «proclamant le droit à l'irrationalisme et soutenant qu'on ne pouvait se fier à la seule raison» ; un article de Laszlo Nemeth accusant « presque tous les théoriciens progressistes et marxistes de jactance affectée>>; une tendance des deux périodiques « à attaquer la littérature socialiste >>; une opposition « antimarxiste >>à la « critique idéologique et politique >>; et l'apparition d'une production littéraire qui « rejette toute forme de gouvernement, de système et d'activités politiques ». Sans doute par révérence envers le nouvel esprit libéral, le Parti permettait de discuter les questions soulevées par N epszabadsag. Le résultat était cependant facile à prévoir : les deux revues incriminées se conformèrent au rituel d'autocritique et promirent de s'amender. Le mea-culpa du Jelenkor, qui parut dans son numéro de janvier 1964 sous le titre d'« Après les critiques », déclarait avec servilité : Le conseil de rédaction estime qu'il faut admettre la critique et en reconnaître le bien-fondé si nous voulons améliorer notre œuvre à l'avenir. Nous désirons donner les preuves de cette attitude dans les prochains numéros de notre revue ( ...). Il nous faut apporter plus de soin au choix des articles. Nous devons travailler pour la littérature socialiste et la victoire de l'idéologie marxiste. La déclaration du Jelenkor fut suivie, un mois plus tard, par un éditorial d' Alf old intitulé « Inventaire, conclusions, tâches » tout aussi repentant : BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Sans vouloir analyser en détail chaque faute commise par notre revue, nous pouvons affirmer que nous sommes d'accord avec la façon de penser et les critiques qui s'expriment dans l'article du Nepszabadsag, et que nous nous y conformerons en tâchant d'améliorer notre travail de rédaction. Il ne saurait y avoir place dans notre revue pour l'idée antimarxiste d'un conflit prédestiné entre le « gouvernement » et le « peuple », ni pour les ramifications déformées de la théorie de la voie tertiaire. Aucune « mesure administrative» n'a été prise après la parution de ces deux éditoriaux, comme Nepszabadsag (2 fév. 1964) s'est empressé de le faire remarquer. Il est pourtant permis, de douter que la démission de Gabor Mocsar, rédacteur en chef d' Alf old, ait été « volontaire », et que la critique et l'autocritique sévères restent sans effet. L'analyse générale de la situation littéraire en Hongrie doit néanmoins prendre en considération le fait que, parallèlement au relâchement de la guerre froide internationale, un processus analogue s'est déroulé dans la guerre froide intérieure entre les dirigeants communistes et leurs sujets. Alors que tabous et « règles admises » étaient jadis nettement définis, ils sont actuellement vagues et souvent contradictoires. Un exemple intéressant de la confusion qui règne actuellement dans les directives littéraires du Parti est fourni par une interview récente de Pal Ilku, ministre de la Culture, publiée dans Nepszabadsag le 2 février 1964. Le ministre estime que le Parti ne doit pas se faire l' « arbitre >>des questions artistiques concernant le « style >>ou le «métier ». Cependant, « les postes de commande où se décide la publication des ouvrages >>doivent être occupés par des « politiciens de culture marxiste doués d'un jugement correct en matière politique aussi bien qu' esthétique. >>Opposé au retour des « méthodes administratives », il recommange pourtant une « critique préliminaire», autrement dit, une censure renforcée. Tout en déplorant le manque d'unif ormité dans l'application de la politique du Parti en matière de littérature (qui a souvent fait accepter, comme dans le cas du Jelenkor, des manuscrits rejetés à l'origine par la censure de Budapest), il recule à l'idée d'un appareil de censur~ centralisé semblable à celui qui fonctionnait jusqu'à ces dernières années. La raison de cette ambivalence est très simple. Le Parti ne veut pas être identifié avec les politiques et les « erreurs >>du régime d'avant 1956 ; il ne peut donc user des anciennes méthodes de surveillance politique et culturelle. D'autre part, il n'est prêt en aucune façon à abandonner son « poste de commande » et à laisser les choses suivre leur cours naturel. Dans ces conditions, il se peut en effet que fleurisse une littérature plus libre. Mais l'incertitude n'a pas diminué en ce qui concerne les limites du possible et la crainte qu'à un certain moment le Parti ne fasse valoir le droit qu'il a de retrancher, de prescrire et d'exiger un acte public de contrition. ( Traduit de l'anglais) LASZLO TIKOS.

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