Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

L. TIKOS de lui un témoignage accablant pour Rajk. Le « jeune lieutenant » avait essayé de forcer Gonda à rédiger une déclaration où il avouait avoir été payé par des ambassades des pays occidentaux ; Gonda ayant inflexiblement refusé de se parjurer, il avait été l'objet de menaces et de brutalités. Gonda (qui conte l'histoire à la première personne) demande à son interlocuteur s'il se souvient d'une certaine rencontre : - Non ... non, je ne m'en souviens pas, dit-il, évitant de se compromettre. - Cherchez bien ! dis-je, le poussant. - Non, je ne peux pas me rappeler ... - Mais moi je peux ! criai-je avec colère. Il [le jeune lieutenant] brailla : « Vous dites que ce procèsverbal est un faux ? vieille bourrique, chien de traître fasciste ! »... Vous vous rappelez, maintenant ? - Oui, je ... je me rappelle, répondit-il, terrifié. - N'est-ce pas ce qu'il a dit, mot pour mot ? Le président du conseil municipal fit un signe de tête, sentant monter son appréhension. - Et qu'arriva-t-il alors... après ces hurlements ? continuai-je. Mais je n'attendis pas sa réponse, je n'en avais pas la patience... . - Et alors il gifla le camarade âgé ! Vous saisissez ?... Il le gifla ! criai-je avec passion, portant la main à ma figure comme si elle avait été giflée de nouveau. C'était un vieil homme, il aurait pu être le père du lieutenant, et le lieutenant le gifla !... Le dialogue se poursuit sur ce ton, Gonda forçant sans relâche son interlocuteur à se souvenir du passé. Puis, la conversation s'oriente vers la question essentielle de la responsabilité personnelle du lieutenant pour les actes commis en 1949. Le président du conseil municipal soutient que l'officier, indubitablement, « ne se sentait coupable» d'aucune faute puisqu'il n'avait fait qu' « obéir aux ordres » de ses supérieurs, se retranchant ainsi derrière l'excuse si souvent invoquée par les criminels de guerre nazis. Mais le secrétaire de Gonda, qui représente la génération de jeunes fonctionnaires dévoués au Parti d'après 1956, s'offense d'un tel argument : - C'est une excuse facile, je dois dire. Il est facile de décliner ainsi sa responsabilité et cela vous met à l ' ai. se... - C'est pourtant la vérité ... cela peut se prouver ..., marmonna timidement le président. Gonda garde le silence, sachant fort bien que le président du conseil municipal a raison. (En fait, la réponse de ce dernier met en cause la culpabilité de l'ensemble du régime, mais c'est une question que, manifestement, l'auteur n'a pas cru pouvoir pousser plus avant.) Une voiture arrive bientôt de Budapest et les visiteurs partent avec aussi peu de cérémonie qu'ils sont arrivés, négligeant même, dans leur hâte, de serrer la main du président. Mais l'histoire ne finit pas là. Deux jours plus tard, une Biblioteca Gino Bianco 227 délégation venue du même village se présente dans les bureaux du vice-ministre Gonda à Budapest. Peu après .le départ de celui-ci, le président du conseil municipal a été victime d'un accident de moto. Il roulait manifestement trop vite ; sa moto a dérapé sur le sol mouillé et est venue heurter une borne ; pendant son agonie, il a exprimé le désir que le « camarade Gonda prononce sur sa tombe le discours funèbre ». La liberté a ses limites A QUEL DEGRÉ de « libéralisation » correspond la publication des écrits sus-mentionnés ? Certes, le fait que les auteurs hongrois puissent écrire sur la dictature policière, les camps de concentration et l'inhumanité du passé stalinien démontre un certain relâchement des anciens tabous. Mais ce relâchement s'opère à l'intérieur de limites assez étroites et soigneusement calculées. Une caractéristique commune aux écrits cités est que tous émettent une note finale d'optimisme, de foi intacte dans le communisme. La sympathie de Georges, le héros de la nouvelle de Lengyel, va nettement au vieux fidèle, Ivan Timofiéïévitch. Le héros du Dix-septième dimanche d'Oszko se cramponne fermement à la croyance que la juste cause trouvera finalement ses justes moyens de défense. Le fait même que le « camarade Gonda » de Feoldeak est vice-ministre témoigne qu'il est demeuré fidèle à la foi communiste. De la part d'auteurs qui ont eux-mêmes souffert de la terreur mais qui l'ont vue corrigée, un certain optimisme est, certes, compréhensible. Mais le fait que seuls les écrits qui donnent une note d'optimisme ont été publiés suggère, de la part du régime, un effort conscient pour transmettre un message politique qui lui est utile ; à savoir que le régime d'aujourd'hui en Hongrie n'a absolument rien de commun avec la terreur communiste de naguère ; que les « vrais communistes » étaient l'objet principal de cette terreur; qu'à présent, les communistes éprouvés étant réinstallés aux postes de direction qui leur reviennent de droit, les maux du passé sont morts et enterrés, et que tout va bien. Dans un pays où tout le monde est au courant de l'emprisonnement et des tortures subis par Kadar lui-même sous le régime Rakosi, le message acquiert un poids particulier. Un autre fait souligne la limitation inhérente aux écrits récents sur les camps de concentration et la terreur. Ils n'ont trait qu'aux souffrances infligées aux fidèles communistes, non à celles de toutes les victimes de la terreur communiste. Pour employer une comparaison hypothétique, ils ne révèlent de vérité quant à l'étendue réelle de la terreur stalinienne qu'autant qu'on en eftt révélé sur les camps de concentration nazis et la Gestapo si l'Allemagne avait gagné la dernière guerre et si un régime nazi plus modéré avait succédé à la dictature hitlérienne. Des écrits narrant les souffrances des infidèles aussi bien que des fidèles, qui ne se contentent pas de décrire

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