Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

226 portants documents confidentiels avaient été trouvés sur son cadavre. Après avoir montré ce papier au prisonnier, l'enquêteur lui dit : «Mets-toi bien dans la tête, imbécile, que nous pouvons faire de toi tout ce qui nous plaît ! » Les humiliations et la faim prolongée faisaient partie des moyens employés pour arriver à briser la résistance du prisonnier. Mais ce qui décide enfin de la soumission du héros d'Oszko, c'est l'appel fait à sa loyauté envers le Parti. A la veille du «dix-septième dimanche», il est mené une fois de plus devant celui qui dirige l'instruction. A sa grande surprise, une conversation d'apparence cordiale s'engage, au lieu du brutal inter'."' rogatoire habituel. Assis dans des fauteuils confortables, les deux hommes fument, boivent du café et discutent l'affaire «presque amicalement» : « On n'en a besoin [du procès] que pour embrouiller l'appareil, dit celui qui dirigeait l'instruction. Essayez de comprendre, continua-t-il, que ce n'est pas votre personne qui est en cause. » Puis il ajouta de façon engageante : « A qui le Parti pourrait-il se fier dans des circonstances difficiles, si ce n'est à des hommes comme vous ? » ...L'argument final et qui revenait sans cesse était « l'intérêt du Parti ». Ayant signé sa «confession», le prisonnier est enfin laissé en paix. A quelque temps de là, un autre prisonnier, également arrêté à propos de l'affaire Rajk, est introduit dans la cellule qu'il doit partager et raconte l'issue du procès. Rajk a été condamné à mort avec deux ou trois « complices » ; les autres accusés, à l'emprisonnement à vie. Le nouvel arrivant, qui était témoin au procès, admet que son témoignage contre Rajk a été entièrement inventé : « Ils m'ont fait entrer et m'ont dit ce qu'ils voulaient, dit-il. Ils m'ont donné une explication plus ou moins claire et m'ont informé que je servirais de témoin. J'ai rempli cette fonction et maintenant me voilà ici. » Il avait consenti à donner le témoignage exigé par les policiers après qu'ils lui eurent dit que sa femme était également en état d'arrestation (il avait cru par la suite l'entendre appeler ses enfants, de la cellule voisine) mais qu'elle serait relâchée s'il se montrait « raisonnable ». Anxieux d'apprendre comment Rajk s'est comporté au tribunal, l'ingénieur questionne son nouveau compagnon de cellule qui lui répond que l'ex-leader communiste a« tout confessé et admis, comme tous les autres ». Il réagit par des protestations où l'incrédulité se mêlait au doute : Il restait immobile, semblant pourtant sur le point de s'élancer, de marteler la porte de ses poings, de crier de toutes ses forces. Il se murmurait à lui-même, ou disait à haute voix : « Rajk est-innocent, Rajk est honnête, Rajk est un homme et un communiste 1 » Les pensées se succédaient fiévreusement dans son esprit. Il avait le sentiment d'avoir à prendre une rapide décision au sujet d'une affaire très importante. Avait-il été induit en erreur ? Rajk était un homme habile. - Rajk avait-il été réduit au moyen de tortures BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE et d'horreurs inédites ? Mais il était courageux et ne craignait pas la mort ! - Tout cela s'accomplissait-il en vue d'un objectif dépassant ceux du Parti ? Mais il ne pouvait y avoir d'objectif plus élevé ! - Il cherchait quelque cas analogue dans le passé : celui de Boukharine, de Rykov, de Zinoviev ? Non, leur cas était différent, ne pouvait qu'être différent ! Toukhatchevski ? Il avait été officier tsariste ! Il ne pouvait trouver aucun cas analogue ; celui-là était sans exemple, sans comparaison ... · Notre héros est finalement libéré au printemps de 1954, un an après la mort de Staline. Il reste communiste en dépit de tout.« Quelque part, tout au fond de son âme », il continue de croire que «la vérité, la juste cause ne peuvent être servies par des moyens injustes» - ou, pour user de termes plus conformes à la ligne politique hongroise, que la juste cause trouve, tôt ou tard, de justes moyens de défense. / Quatre mois après le récit d' Oszko, Kortars publiait dans son numéro de juin 1963 une autre nouvelle traitant du même sujet mais de manière différente. L'histoire, intitulée Un bilan dans le Bakony (région montagneuse de la Hongrie occidentale), est l'œuvre de Janos Feoldeak, écrivain · âgé de cinquante-trois ans et connu comme un chaud partisan de Kadar. .. L'action se situe cette fois à l'époque actuelle. Elle se trame autour de la rencontre fortuite d'une ex-victime de l' A.V.H. en 1949 - maintenant vice-ministre dans le régime au pouvoir depuis 1956 - et de l'ancien jeune lieutenant del' A.V.H., chef enquêteur au moment de son arrestation - maintenant président du conseil municipal d'un petit village des monts Bakony. La voiture qui ramène à Budapest le ministre et son secrétaire tombe en panne près du village, obligeant les voyageurs à se rendre au bureau du conseil local pour téléphoner à Budapest afin qu'on leur envoie un autre véhicule. Pendant que le secrétaire téléphone, le viceministre (le camarade Gonda) et le président du conseil municipal tombent en présence l'un de l'autre et se reconnaissent immédiatement. Suit un dialogue serré et dramatique, au cours duquel Gonda, •qui lutte pour maîtriser sa rancœur et son agitation, aiguillonne le président du conseil municipal, le forçant à se rappeler les détails pénibles de leur précédente rencontre. Sans songer à se venger, il parle de l'aventure passée comme si elle avait concerné deux autres personnes, « le camarade âgé» et « le jeune lieutenant». Ainsi, aucun des assistants ne peut se rendre compte que c'est d'eux-mêmes que parlent les deux hommes. Ce qui s'est passé entre eux des années auparavant émerge en partie du dialogue, en partie des souvenirs non exprimés qui se pressent dans l'esprit de Gonda. Nous apprenons que « le camarade âgé » était, en 1949, un personnage officiel occupant au gouvernement un poste important ; la police l'arrêta subitement et chercha à obtenir

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