222 tout aussi frappantes. Des traductions d'ouvrages littéraires occidentaux apparaissent maintenant avec régularité dans l'excellent mensuel N agyvilag (Vaste monde) où Hemingway et Kafka reçoivent le même traitement que Cholokhov et Soljénitsyne. La majorité des œuvres hongroises récemment publiées peuvent, d'autre part, difficilement passer pour des modèles de réalisme socialiste : la nouvelle fort controversée d'Endre Fejes, Le Cimetière de rouille, offre un portrait non conventionnel et amer de la vie d'une famille ouvrière 9 ; l'excellent poème de Ferenc Baranyi, Adieux à Stockholm 10 , décrit le déchirement d'un Hongrois venu voir des amis émigrés en Suède et qui n'est pas certain, en les quittant, de les revoir jamais ; et le poème de Mihaly Vaci, Les Frères siamois 11 , livre les sentiments amers d'un Hongrois resté fidèle au Parti à la pensée que ceux qui ont fui le pays en 1956 sont actuellement prospères à l'étranger et peuvent envoyer une aide pécuniaire à leurs parents demeurés en Hongrie alors que lui, le fidèle, n'a aucun espoir d'avoir jamais la petite voiture et les autres éléments de confort matériel auxquels il aspire tant. Une grande partie de ces écrits hongrois contemporains ont été qualifiés à juste titre par William Juhasz de « littérature de solitude», d'amertume et de désillusion 12 • C'est cependant la troisième rubrique qui est le plus intéressante. Des sujets jadis strictement tabous sont aujourd'hui traités, bien que les écrivains risquent encore des sanctions s'ils dépassent certaines limites. Un tabou notable qui semble s'être quelque peu relâché est la prohibition, absolue jusqu'ici, de tout ce qui pouvait constituer une critique de la politique ou du comportement soviétique. Pareilles critiques sont, bien entendu, encore interdites dans les commentaires politiques directs, mais on les autorise à se glisser dans les écrits littéraires récents, comme le prouve la publication, en novembre dernier, du « Journal cubain » de Sandor Csoori 13 • Ce bref essai décrit le voyage de l'auteur à Cuba fin 1962, alors que les souvenirs douloureux de la crise étaient encore frais dans l'esprit des Cubains. Csoori y note avec une franchise crue la haine des Cubains pour les Russes qui les ont « laissés tomber ». Pour la première fois les lecteurs hongrois apprenaient la cause réelle de la crise, à savoir l'installation de fusées soviétiques à Cuba. Les critiques du Parti réagirent violemment et accusèrent Csoori de déployer là bannière du «non-conformisme» 14 • 9. Pal Pandi : «Le Cimetière de rouille », in N epszabadsag, Ier déc. 1963. 10. Kortars, oct. 1963, p. 1443. 11. Uj Iras, oct. 1963, pp. 1213-14. 12. William Juhasz : «The Literature of Solitude», in East Europe, vol. 12, n° 12, déc. 1963, p. 19. 13. Uj Iras, nov. 1963, pp. I--287-99. 14. Pour les réactions provoquées par l'essai de Csoori, cf. Blet es Irodalom, 4 janv. 1964, pp. 3 et 4, et Nepszabadsag, 18 déc. 1963, p. 8. Cf. également Jozsef Darvas: «Pour une coopération plus productive», ibid., 24 déc. 1963, p. 9; et Lajos Racz : «Des principes et du conformisme», in Csongrad Megyei Hirlap, 31 déc. 1963. BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Le Soljénitsyne hongrois EN HONGRIEcomme dans la Russie de Khrouchtchev il est permis, depuis deux ans, d'écrire sur les camps de concentration et la terreur policière. La levée de ce tabou a valu à la littérature hongroise quelq1.1:esœuvres incontestablement intéressantes. La Hongrie se flatte d'avoir en Jozsef Lengyel la réplique de l' écrivain soviétique Alexandre Soljénitsyne, auteur d' Une journée d'Ivan Dénissovitch, avec lequel il a en commun l'expérience des camps de concentration de Staline. L'un des fondateurs, en 1918, du P.C. hongrois, ayant collaboré à plusieurs publications du Parti durant le bref intermède de la di_ctature communiste, Lengyel émigra en Autriche après l'effondrement de la « République soviétique hongroise », se rendit à Berlin en 1927 et en Union soviétique en 1930. Là, en 1937, il fut pris dans le maelstrom de la grande épuration, la tchistka, et interné dans un camp. Il y resta jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, après quoi on lui assigna une résidence forcée. Il fut finalement autorisé à rentrer en Hongrie en 1955, après une absence de trente-six années. D~puis février 1962, L~ngyel a réussi à publier plusieurs nouvelles fondees sur sa vie dans les ~a~ps, soviétiques 15 • L'une des plus révélatrices, mtit~ee Du commencement à la fin, a paru l'an derruer 16 sous la forme du journal intime d'un personnage imaginaire nommé Gyoergy Nekeresdi (Ge~r~es Ne - cherchez - pas - qui). Le journal se divise, en gros, en deux parties : la première décrit c7rtaines expériences de Georges après son arrestation et au cours de ses années d'internement, la seconde raconte sa vie après sa libération. Le journal s'ouvre sur une scène qui se déroule dans _la pris?n, où Geor~es a déjà passé les deux semaines precedant son mterrogatoire. On ne sait ni pourquoi, ni quand, ni comment il a été arrêté. « Le pain, frais le matin, est couvert à midi de moisissure produite par la sueur humaine la chaleur des radiateurs et l'obturation hermétique des cellules. » _Pour. 275 ~ommes, il n'y a que 25 lits que les prisonruers reservent d'eux-mêmes à leurs compagnons de cellule lorsque ceux-ci reviennent à demi morts, de l'interrogatoire. ' De la prison, Georges est transféré dans un camp de travaux forcés où il doit purger sa peine. I~. On trouve dans Le Charmeur, recueil de nouvelles P.ubhé en février 1962, l'histoire d'un individu d'esprit sim.ple, respectu<:ux des l<;>is,qui, emprisonné avec des professionnels du cnme, essaie de s'adapter à leurs façons brutales et dépravées. «Pavots jaunes », publié dans Blet es Irodalom (mars 1962) dépeint d'une façon dramatique le camp de travaux forcés soviétique «Norilsk 2 ». «Un petit ~omme ~n colère,», pu~lié dans Uj Iras (juin 1962) raconte 1arrestation et _lemprisonnement d'un savant sans-parti. La. nouvelle, .qui révèl~ l~s méthodes d'interrogatoire inhumames, dépemt la bestialité qui règne dans les prisons et la crudité de langage des prisonniers. 16. Uj Iras, janv. 1963.
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