Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

LB CONTRAT SOCIAL programme de Malenkov après avoir dépouillé ce dernier de tout pouvoir et l'avoir chassé - ignomignieusement - du Parti? Mais les « impératifs objectifs » ne se limitent pas à ceux légués par Staline : on les découvre également dans les conséquences entraînées par certains actes de Khrouchtchev. Presque toute sa politique, en effet, peut être envisagée comme une tentative pour venir à bout des forces qu'il a lui-même déchaînées si imprudemment : ayant conscience du triste état de la culture sous Staline, il relâcha la bride du Parti dans ce domaine et accorda une plus grande marge de liberté; mais survinrent l'affaire Pasternak en 1958 et les diatribes violentes et vulgaires de Khrouchtchev contre les artistes et intellectuels libéraux en 1962 et 1963. Les relations entretenues par Staline avec les satellites d'Europe orientale ne pouvant plus être maintenues par ses successeurs, Khrouchtchev voulut instaurer une certaine discipline du bloc soviétique sans recourir carrémeµt à la terreur ou à la coercition : il arrangea les choses avec la Yougoslavie et accepta la << révolution dans le calme » de la Pologne (tout en écrasant brutalement au même moment la révolte hongroise) - se rendant, en même temps, vulnérable aux défis extraordinaires lancés non seulement par la minuscule et lointaine Albanie mais aussi par la Roumanie avoisinante. En fait, si Khrouchtchev n'avait pas tenté de forcer la Roumanie à subordonner son économie à celle de la Russie, Bucarest serait peut-être encore de son côté dans la lutte contre Pékin. Ce qui est vrai du bloc communiste d'Europe orientale l'est également de l'ensemble du mouvement communiste. En voulant ressusciter ce mouvement moribond, Khrouchtchev n'a réussi qu'à engendrer le chaos et une lutte dangereuse en faveur de l'indépendance. Sa réaction a consisté à écraser cette tendance, à imposer la discipline, à restaurer l'Union soviétique dans une position prédominante. S'il n'y a pas réussi, ce n'est pas pour avoir ménagé ses efforts. Que dire des prétentions de Khrouchtchev à la vérité historique, des « révélations » sur les mensonges et les crimes de Staline? Le musée Unine de Moscou, naguère voué davantage à son « plus fidèle disciple » qu'à Lénine lui-même, est maintenant complètement dénué de toute allusion à Staline, devenu un « non-être » de plus. Mais de Khrouchtchev, qui n'a même pas connu Lénine, il existe dix-huit portraits, ni plus ni moins, y compris une photographie soigneusement rognée qui le montre (sans Boulganine) en train de déposer une gerbe sur la tombe de Karl Marx à Londres, en avril 1956. Certes, Khrouchtchev ne traite pas ses adversaires comme le faisait Staline : ce dernier coupait les têtes alors que Khrouchtchev découpe les photographies, après avoir détruit politiquement ses adversaires. Il n'est pas question de disputer pour savoir laquelle de ces deux méthodes est préférable; ce qui est certain, c'est que ni l'une ni Biblioteca Gino Bianco 213 l'autre ne s'harmonise avec les valeurs en cours dans une société civilisée. Que penser également de la « modération » et de la « prudence » de Khrouchtchev en politique étrangère? Les rodomontades, par exemple pendant la crise de Suez, s'accordent-elles avec ces qualités ? Et les agissements soviétiques au Congo? Et le coup de poker des fusées à Cuba, qui aurait sans doute laissé pantois le très prudent Staline? Le conflit sino-soviétique, la ferme réaction des Etats-Unis et, last but not least, l'âge assez avancé de Khrouchtchev peuvent certes forcer le Kremlin à adopter une politique plus modérée et plus rationnelle dans ses relations avec l'Occident. Mais, encore une fois, ce ne sera pas faute de cet «aventurisme» qu'en Occident on prête si souvent, bien à tort, au prédécesseur de Khrouchtchev. * '1- '1GARDONS-NOUS également d'oublier quelques autres caractéristiques qui ont marqué ses années au pouvoir : le rétablissement de la peine de mort pour les crimes économiques et l'institution d'une juridiction populaire (lois antiparasites, tribunaux de camarades, etc.) ; la persistance et même la croissance d'un antisémitisme jouissant d'une sanction officielle; le plaidoyer en faveur d'un principe (la coexistence pacifique) qui réclame le droit de propager les vues soviétiques dans le monde entier et qui fait un crime de répandre les opinions occidentales à l'intérieur de !'U.R.S.S. ; le lancement de satellites artificiels parallèlement aux achats de blé à l'étranger pour éviter le rationnement du pain. La liste est longue, impressionnante. S'il est une image de lui-même que Khrouchtchev aimerait laisser à la postérité, c'est sans aucun doute celle d'un antistalinien intrépide et conséquent. Or, il est bon de se rappeler que, durant la majeure partie de son existence, Khrouchtchev n'a pas été un observateur passif mais, au contraire, un coarchitecte très actif et vociférant de l'ère stalinienne. « Ce n'est pas par accident » - pour user d'une formule chère aux marxistes - que Khrouchtchev a non seulement survécu à l'époque stalinienne mais s'est élevé pendant cette période à des postes de plus en plus éminents assortis d'un pouvoir toujours plus grand. Ce n'est donc pas par accident qu'il s'est montré si peu disposé à dire la véritable histoire des épurations et du terrorisme des années 30, qu'il a tenté de faire endosser à d'autres sa complicité dans les crimes de Staline tout en laissant entendre soit qu'il les ignorait, soit qu'il était impuissant à les empêcher, ou encore qu'il s'y était opposé - mensonge éhonté entre tous. Un anniversaire demande naturellement à être observé d'une manière ou d'une autre. Tout bien considéré, pourquoi lui adresser plus de compliments que le P.C. du Japon? Traduit de l'anglais A. BRUMBERG.

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