Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

212 seulement provoqué une chute de son prestige personnel et de celui de son parti, mais pratiquement la perte de son droit (et de celui du P.C.U.S.), jadis indiscutable, de diriger, de régenter, de prescrire. Le P. C. allemand peut assurer le cc cher Nikita Serguiéïévitch » qu'on lui «doit en grande partie» d'avoir fait du «mouvement communiste mondial (...) la force politique la plus influente de notre temps» (Neues Deutschland, 17 avril), il y a des chances pour_ que Nikita Serguiéïévitch, qui n'est pas un novice de l'emphase, sache à quoi s'en tenir ... Rien ne saurait mieux illustrer cette triste situation que le comportement de certains partis communistes pendant la célébration de l'anniversaire. Quelques-uns des plus importants n'envoyèrent aucune délégation, le P.C. italien se contentant d'expédier comme présent un portrait de Khrouchtchev par R. Guttuso, un membre du parti dont le style éclectique n'est pas toujours goûté des dirigeants soviétiques. Le ,P.C. ~~onésien envoya un message rappelant explicitement que «dans une situation caractérisée par des divergences d'opinion à l'intérieur du mouvement révolutionnaire mondial, les communistes indonésiens n'ont qu'un désir, à savoir que cette situation soit temporaire et qu'elle soit réglée grâce à nos efforts communs et incessants » - cela après que Khrouchtchev eut nettement affirmé, durant son voyage en Hongrie au début du mois, sa préférence pour une conférence du mouvement communiste international qui excommunierait les camarades chinois une fois pour toutes. Gomulka lui-même, l'allié le plus sûr de Khrouchtchev après Kadar, laissait entendre dans son discours au Kremlin que la solution proposée par Khrouchtchev n'était pas dé son goût. Quant au P.C. japonais, il envoya un message d'une brièveté sans précédent dans les annales de la rhétorique communiste : «Félicitations à l'occasion de votre 7oe anniversaire », un point c'est tout. LES LEÇONS contenues dans des phrases de ce genre ne sont pas perdues pour Khrouchtchev. Certes, il a été décoré de l'ordre de Lénine ainsi que de !'Etoile d'or et on lui a décerné le titre de héros de l'Union soviétique. Mais à quoi bon tous ces homm~g~s quand on doit désavouer une mesure politique recommandée il y a deux semaines à peine, lorsqu'il devient chaque jour plus évident que le monolithe d'antan est cassé en deux, que la position du Kremlin est mise en question, qu'on n'en tient nul compte et qu'on la bafoue? Il en est pour considérer que le désarroi actuel est dû tout autant au conflit sine-soviétique (que le P. C. soviétique ne désirait sûrement pas envenimer) qu'à la tentative délibérée de Khrouchtchev en vue d'assouplir et même de démocratiser quelque peu un mouvement politique BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL naguère totalement embrigadé et par là ine~- cace. Cette opinion se rattache à une cert~ine cc école de pensée» qui a pris force depuis un an et qu'il est temps de soumettre à un examen critique. En somme, au vu de la politique étrangère plus accommodante suivie par l'Union soviétique depuis l'affaire de Cuba en octobre 1962 et à l'approche d'une crise de succession au Kremlin, on a eu tendance, dans le monde non communiste, à considérer Khrouchtchev sous un jour de plus en plus favorable, presque avec de l'affection. Khrouchtchev, entend-on dire, est «raisonnable». C'est un «pragmatique» qui méprise la rigidité · idéologique caractéristique de son prédécesseur. Il a quelque chose d'un libéral, comme en témoigne sa campagne de déstalinisation, sa condamnation des méthodes de terreur, sa façon relativement humaine de traiter ses adversaires. Contrairement à Staline, chez qui la soif de pouvoir éclipsait toute autre considération, Khrouchtchev s'emploie sincèrement à améliorer le sort du citoyen soviétique. A l'encontre des divers « staliniens » (inavoués) de son entourage - et, à n'en pas douter, à l'encontre de ses rivaux de Pékin, - il veut vivre en paix avec le reste du monde. Plus bienveillant envers les intellectuels, cc terre à terre» et «humain» à ravir, plus respectueux de la vérité, il est, somme toute, à peu près le meilleur dirigeant communiste auquel le monde pouvait s'attendre. Il y a si peu de perspective historique digne de ce nom dans cette façon de voir - qui, nous l'admettons, est ici très schématisée - et tant de logique sujette à caution, qu'on a bien du mal à s'en défendre. Admettons donc pour l'instant qu'il y ait là une bonne part de vérité. Prétendre - comme d'aucuns continuent de le faire - que l'Union soviétique de 1964 n'a pas changé depuis Staline, est une al5surdité. A vrai dire, c'est à Khrouchtchev que sont dues, en grande partie, les principales transformations qui ont eu lieu en Union soviétique depuis dix ans dans les domaines politique, économique et culturel. Mais ce qu'on oublie trop facilement, c'est qu'en 1953 le besoin de changements s'était fait depuis longtemps sentir en Russie et que n'importe quel chef politique héritant de la succession de Staline aurait été forcé, ne fût-ce que par des impératifs objectifs, de tirer le pays de la situation catastrophique où l'avait plongé le dictateur paranoïaque (une agriculture en plein marasme, une industrie fonctionnant mal, une bureaucratie pétrifiée, une culture stérile, une ambiance politique paralysante, pour ne mentionner que quelques-unes des caractéristiques les plus saillantes). N'est-ce pas Béria luimême, ·chef redouté de la police secrète, qui, nous le savons à présent, voulait arriver à s'entendre avec l'Occident même au prix de l'abandon de l'Allemagne de l'Est. Et Khrouchtchev n'at-il pas pratiquement adopté l'ensemble du

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==