F. STERNBERG puisse paraître - celle-ci avait été marquée par un relâchement de la tension économique allant de pair avec une aggravation de la tension politique. Les décennies en question, poursuivis-je, furent caractérisées par de brèves crises économiques qui n'étaient qu'un arrêt temporaire dans l'énorme croissance économique générale. Non seulement les ouvriers des nations industrialisées de l'Europe avaient, avant les hostilités, bénéficié de substantielles hausses de salaires, mais encore ils avaient créé des organisations syndicales qui furent peu affectées par les fluctuations économiques. J'en concluai que porte-parole et théoriciens de la classe ouvrière devaient répondre à trois questions : Tout d'abord, pourquoi les crises de la première moitié du x1xP siècle ont-elles été si graves? (Marx et Engels en furent marqués à tout jamais.) Puis, pourquoi, depuis lors, les crises diminuèrentelles d'intensité au lieu de faire le contraire, si bien que les grandes nations industrielles entrèrent en guerre sans qu'il y ait eu auparavant de secousses économiques d'une grande violence ? Enfin, pourquoi la crise de 1929 fut-elle si profonde qu'en Allemagne, pays le plus touché en Europe, elle rendit possible la victoire d'un mouvement réactionnaire et contre-révolutionnaire tel que le national-socialisme ? TROTSKIme demanda ensuite mon avis sur l'influence de la 2e et de la 3e Internationale. A mon tour, je demandai à Trotski si la 2e et la 3e Internationale avaient jamais existé avant la prise du pouvoir par les nazis. Nous tombâmes d'accord que, jusqu'à ce moment-là, l'une et l'autre n'avaient pas eu d'existence véritable, mais je pensais que cela ne suffisait pas. La 2e Internationale avait été très surestimée dans les brochures et les livres publiés par Lénine pendant et après la guerre de 1914-18 : en fait, elle n'avait jamais été qu'une vague alliance entre divers partis sociaux-démocrates européens. A ma connaissance, il n'y avait pas d'exemple qu'elle ait pris une résolution contre l'un des partis nationaux, ce qui aurait obligé ledit parti à s'y conformer en vertu des principes du socialisme international. Il était donc erroné, selon moi, d'attribuer l'effondrement de la 2e Internationale au vote des crédits de guerre. Ce qui s'était effondré, c'était les illusions absolument injustifiées que beaucoup avaient nourri sur la 2e Internationale. Trotski n'était pas tout à fait d'accord. Pour lui, ces illusions avaient représenté un facteur important et il avait fallu les ruiner - comme Lénine l'avait fait - pour frayer la voie à une 3e Internationale. Je rétorquai que cela aurait été vrai si une 38 Internationale avait jamais existé, ce qui n'était pas le cas non plus. Le parti bolchévique russe, en tant que dépositaire du pouvoir en Russie, Biblioteca Gino Bianco 207 dominait la 3e International~ si complètemet?-t que cette prétendue Internationale et les partis nationaux qui la constituaient furent réduits e~ simple instrument du Kremlin - processus qw ne fit que s'accélérer quand Staline ell:t consolidé son pouvoir en Russie même. L'influence de ladite Internationale sur le P. C. et le mouvement ouvrier allemands avait été considérable à certains moments, mais, selon moi, entièrement négative. Trotski m'interrompit : « Vous savez que nous sommes d'accord là-dessus, mais je n'étais pas, comme vous, en Allemagne pendant la période en question. Peut-être pourrez-vous me donner quelques exemples concrets des effets négatifs de l'influence soviétique sur le K.P.D. et le mouvement ouvrier allemand. » Je répondis que, sous Staline, la direction du K.P.D. était constamment refondue conformément aux besoins de Staline dans sa lutte contre ses rivaux du Kremlin. Cela signifiait que tous les esprits réellement indépendants désertaient le parti communiste ou en étaient exclus ; qu'à la longue, les seuls hommes qui conservaient le pouvoir dans le Parti étaient les garçons de courses de Staline, rien de plus ; enfin, que les Russes étaient inévitablement trompés quant à l'état réel des affaires en Allemagne, étant donné que les chefs du K.P.D. étaient obligés de travestir en un succès communiste les progrès réels de la contre-révo1ution national-socialiste. Je rappelai comment, alors qu'en 1930 je passais deux mois en U.R.S.S. à l'époque des élections au Reichstag (dans lesquelles les nazis remportèrent d'immenses succès et devinrent, avec plus de 6 millions de voix, une force importante), la presse russe et la presse communiste d'All~- magne avaient peint les résultats du scrutln comme une victoire, sous le prétexte que les communistes avaient gagné un peu de terrain aux dépens des sociaux-démocrates. J'étais à Tiflis à l'époque, et lorsque je parlai. de la situation allemande à quelques commurustes russ~s, ils me demandèrent ce que je pensais de la victoire du P. C. Mon opinion, selon laquelle il J:?-'Y avait pas de victoire communiste, mais au contrarre un succès écrasant des nationaux-socialistes, se heurta à leur incrédulité. A ce moment, j'acquis la certitude que la province russe n'avait auc~ contact avec les événements, mais je rencontrai la même attitude à Moscou. Lorsque j'abordai le sujet avec des gens que je considérais comme bien informés, ceux-ci reconnurent que les sources allemandes communistes ne pouvaient fournir un rapport fidèle, chaque fonctionnaire du ·Parti craignant pour sa place. Je résumai ma façon de penser : alors que la 2e Internationale n'avait eu aucun effet sur l'évolution des choses en Allemagne, la politique de Staline avait apporté une aide directe au nationalsocialisme. Dans de nombreux milieux, on allait jusqu'à dire que la victoire d'Hitler eftt été impossible sans cette politique.
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