Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

F. STERNBERG mande et qu'ils partagent ainsi la responsabilité de la victoire nazie ? » Je répondis que, selon moi,_il n'était pas ques: tion de 2e ou de 3e Internationale, que le parti bolchévique russe dirigé par Staline portait le poids de la responsabilité pour la défaite de la classe ouvrière allemande, et que la 2e Internationale n'avait fait rien de plus que ·de voter des résolutions, montrant ainsi pour la question un intérêt tout académique. « Seriez-vous prêt, me demanda alors T~otski, à discuter et à établir, ici-même, un proJet de mémorandum sur la faillite des 2e et 3e Internationales quant à la question allemande, faillite qui affecte de manière décisive, dans chaque pays, le mouvement ouvrier tout entier ? » Je répondis que je serais trè~ heurel:1,x~'él~- . borer pareil mémorandum, mais que J esttmais que ce serait une tâche plutôt ardue, étant do~é que ma visite n'était prévue que pour une semame à peine. Trotski se prit à sourire. (De cela, j~ me souviens parfaitement, car son expression resta presque invariablement grave au cours de ~os discussions.) « J'aimerais vous raconter une histoire du temps de la guerre civile, dit-il. Non seulement nous devions vaincre notre ennemi physiquement, mais il nous fallait aussi expédier d'innombrables manifestes et messages aux Russes et à tout le reste du monde, lequel était encore en guerre lorsque la révolution commença. Il nous fallait aussi rédiger un grand nombre de résolutions pour servir de directives à notre prop~e parti. Nous étions, en ce temps-là, souvent assis en petit cercle - non pas à une grande table confortable comme celle-ci, mais souvent à une petite table ou bien il n'y avait pas de table du tout, et pas dans des fauteuils moelleux mais souvent sur des caisses d'emballage ou des tonneaux. Lorsque Lénine ou moi-même désignions un camarade pour préparer un mémorandum, un décret ou l'analyse d'un point particulier, il no11:s était souvent répondu, au début, que le Jr~vail prendrait des semaines. Réponse de Lerune: « Nous n'avons pas de semaines devant nous, des heures tout au plus. Chacun c?nnaît les ~onditions dans lesquelles nous travaillons, aussi vous pouvez inscrire en tête du papier : écrit sur mon genou. Cette formule - '~~crit sur m~n ge~ou" - s'appliquait à toute la penode révoluttonnaire. » « Et maintenant, poursuivit Trotski, je n'insiste pas pour que vous app~rtiez le ~émorand~ demain, mais Je pense qu'il devrait être rédigé pendant votre présent séjour, et même si vous n'êtes pas entièrement satisfait du style, rappelezvous toujours : "écrit sur mon genou".» Notre premier entretien prit fin là-dessus. Nous réglâmes encore quelques détails techniques. Trotski me dit qu'il se levait tôt, mais qu'il préférait réserver la matinée à ses propres travaux. Il me suggéra d'employer le temps à travailler au mémorandum ou à réfléchir aux questions qui Biblioteca Gino Bianco 205 seraient discutées l'après-midi, de préférence des questions ayant trait au mémorandum. Après le dîner, nous pourrions dispose~ de dav~tage ~e temps pour la discussion. Je ~s au r~v~!1"et_p~s l'autocar qui me ramena au village ou J habitais. * ,,_ ,,_ LE LENDEMAIN après-midi, j'é?ùs chez 1:rotski à l'heure dite. Autant que Je me souvienne, il ne me fit jamais attendre. Quoique travailleur infatigable, il avait remarquablement conscience de l'heure. J'étais résolu à discuter trois thè1nes essentiels : d'abord, celui de la prétendue aristocratie ouvrière ; ensuite, celui des crises économiques; enfin, celui des 2e et ~e Internationales. J'ouvris le débat par le prermer. Je commençai par l'affirmation de Marx selon lequel la classe ouvrière est soumise à la loi ~e paupérisation absolue, cette loi devant être modifiée par diverses circonstances au c?urs_ d~ s_a réalisation. La formule de Marx, souttns-Je, etait devenue totalement caduque. Nous étions à présent en 1934 et dans les soixante et quelques années écoulées depuis la parution du Capüal, ~ucune trace de paupérisation absolue. Au contraire, les grands centres industriels mondiaux avaient connu une hausse marquée des salaires. Il était signifi- ' catif, poursuivis-je, que même dans. les éditions ultérieures du Capital, Marx eût orms _dedonn:r la moindre analyse de la courbe des salaires depws les années 1850. Le programme du p~ti bol~hévique avant la première guerre mondiale avait soigneusement éludé ce point. Je considér~s qu,e ~es in~erprét~- tions d'Engels sur la questton etaie~t a la fois erronées et inadéquates. Dans son prermer ouvrage, La Situation des classes laborieusesen Angleterre, antérieur au Manifeste communiste, Engels avait déduit de la paupérisation de la classe ouvrière anglaise durant les troisième et quatrième décennies du XIXe siècle que surviendrait une révolution socialiste en Angleterre. Mais il avait admis que certaines combin~sons ,de f~cte~s symptomatiques de la prermere revolutton mdustrielle - en particulier, croissance du chômage et formation de contingents permanents de sanstravail - étaient une caractéristique constante et essentielle du mode de production capitaliste et ne pouvaient être éliminées à l'intérieur de ce système. Dans une nouvelle Introduction à cet ouvrage, publiée après la mort de Marx, Engels reconnaissait certaines de ses erreurs passées et déclarait qu'en Anglete~re, pars qui expl?itait ~e mond~ entier, une aristocratie du travail avait grandi. Cependant, bien que des éléments de la classe ouvrière anglaise reçussent une part des profits, la grande masse des travailleurs était dans une triste situation, et l'aristocratie ouvrière disparaîtrait lorsque le pays perdrait son statut de puissance mondiale, les ouvriers anglais étant alors rabaissés aux niveaux de l'Europe continentale.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==