204 cause. Lorsque Sédov vint me voir pour la première fois à Berlin, Trotski avait déjà été expulsé de Russie et vivait à Prinkipo. Je déclarai à Sédov que j'aimerais beaucoup rencontrer son père, et, quelque temps après, il me fit savoir que Trotski serait heureux de me voir. Trotski s'était rendu au Danemark pour un bref séjour (afin de faire une conférence à Copenhague, je crois bien) et Sédov me rendit plusieurs fois visite chez moi, à Berlin, pour discuter de la question. L'affaire en resta là. Trotski avait tant à faire pendant ce voyage que je pouvais tout au plus espérer une simple entrevue d'une heure ou deux. Estimant que cela n'en valait pas vraiment la peine, je ne me déplaçai pas. Je me rappelle très bien les visites de Sédov, que je notais toujours dans mon journal. On a prétendu, lors d'une des nombreuses campagnes de calomnies staliniennes contre Trotski, que Sédov se trouvait à Copenhague un certain jour, à une certaine heure, pour préparer une rencontre entre Ribbentrop et son père. Ce jour-là et à cette heure, le fils de Trotski se trouvait, en réalité, avec moi dans mon appartement de Berlin. Je projetai de me rendre à Prinkipo plus tard, mais cela ne se fit pas non plus. Puis les nazis prirent le pouvoir, et en mars 1933 j'émigrai. Trotski quitta Prinkipo ; en 1934, il se rendit en France, pays où je séjournais souvent quoique résidant principalement en Suisse. * '1- '1LA VICTOIRNEAZIEet l'effondrement total du mouvement ouvrier allemand qui n'avait pas opposé grande résistance étaient naturellement gros de conséquences sur tous les plans. Le K.P.D. tentait d'échapper à la défaite définitive et il y eut de féroces empoignades parmi les sociauxdémocrates. Les deux grands partis ouvriers ayant échoué si complètement, il y eut un bref regain du pouvoir d'attraction des groupes qui avaient critiqué ces partis avant la débâcle de 1933. Cela s'appliquait aussi bien au S.A.P. qu'aux trotskistes. En outre, il existait hors d'Allemagne des partis et groupes isolés n'appartenant ni à la 2e ni à la 3e Internationale : le parti ouvrier norvégien, qui groupait la grande majorité des travailleurs de Norvège; l'I.L.P.- britannique; un groupe néerlandais qui avait rompu avec l'ancien parti social-démocrate de Hollande; des trotskistes de diverses nationalités ; enfin le S.A.P. allemand. En 1934, ces partis et groupes - j'ai pu en oublier quelques-uns - tinrent à Paris une conférence à laquelle les trotskistes déposèrent une résolution tendant à fonder une nouvelle Internationale, la quatrième. J'assistai à cette conférence en tant qu'un des délégués du S.A.P., lequel, comme la plupart des autres groupes, rejeta la proposition trotskiste, jugée absolument utopique. Quelques semaines plus tard, les groupes représentés à la conférence - Norvégiens, Anglais et BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Néerlandais, ainsi qu'un délégué du S.A.P. - allèrent voir Trotski séparément. Après en avoir discuté avec différents trotskistes, je décidai qu'il valait mieux rendre visite à Trotski moi seul, surtout parce que je craignais que sans cela il ne concentre entièrement la discussion sur son projet favori, la fondation de la 4e Internationale. Un jour, je quittai Paris pour une destination qui resta jusqu'au dernier moment inconnue. Le lieu de résidence de Trotski était tenu strictement secret par crainte d'un attentat, les communistes français et l'extrême droite s'étant violemment opposés au droit d'asile. Un jeune homme affilié au groupe trotskiste vint me chercher à l'hôtel et m'accompagna à la gare. Je ne découvris ma destination qu'au moment où mon billet fut acheté. Après un long voyage vers la côte, je fus pris en charge par un autre jeune trotskiste qui me mena à un hôtel situé non loin de la mer et où, cependant, Trotski ne se trouvait pas. Le jeune homme m'indiqua l'autocar que je devais prendre jusqu'à la maison où habitait Trotski. Ultérieurement, je dus faire le voyage seul. Alors qu'à Prinkipo la sécurité de Trotski avait été garantie par la présence permanente de policiers turcs, sa retraite française n'était pas sous la surveillance de la police. Je pense que sa femme vivait là avec lui, bien que je ne l'aie jamais vue. Ses autres compagnons étaient Sédov et plusieurs jeunes trotskistes qui remplissaient le rôle de secrétaires. Il y avait également deux chiens de garde, des bergers allemands bien dressés. La première fois, la visite ne dura qu'une demiheure et fut consacrée à mettre au point le programme du lendemain. Le bureau de mon hôte était une vaste pièce occupée par une table de travail de dimensions peu courantes. Après quelques paroles de bienvenue, nous nous assîmes face à face, de part et d'autre de la table, pour causer. Je n'avais jamais vu Trotski auparavant, mais j'aurais rèconnu son visage entre mille. Il n'était cependant pas exactement comme je l'imaginais, mais plus grand et plus large. La journée était relativement chaude, j_eme souviens, et il portait un costume beige clair. A pei.ne avions-nous échangé quelques salutations qu'il déclara: « Vous autres, du S.A.P., vous avez voté à Paris contre la fondation de la 4e Internationale. » Je tentai de le détourner du sujet, mais il insista pour savoir si je n'avais fait que me conformer à la ligne de mon parti ou si j'étais personnellement opposé à la création d'une 4e Internationale. Je répondis qu'en l'occurrence j'étais d'accord avec le S.A.P. et opposé ·à la fondation d'une 4e International_e~ajout~t qu~ je ne pouvais lui expliqu~r ma pos1t1on qu en faisant une analyse vraiment exhaustive de divers problèmes qui n'avaient été qu'effleurés pendant les débats. Trotski demanda alors : « Partagez-vous également l'opinion que la 2e e·t la 3e Internationale ont failli sur la question alle-
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