ENTRETIENS AVEC TROTSKI par Fritz Sternberg POUR COMMENCER, quelques éclaircissements sur le~ ~irconstance~ dans lesquell~s je fus amene a passer environ une semaine avec Trotski en France en 1934. Mon premier livre important, Der Imperialismus, avait été publié en 1926. Cet ouvrage, qui n'avait pas grand-chose à voir avec la politique du moment, était fondamentalement une critique à la fois de la social-démocratie allemande et du parti communiste allemand. A l'encontre des communistes, j'y analysais les raisons pour lesquelles les classes laborieuses tout entières d' Angleterre, d'Europe occidentale et d'Amérique avaient, pendant des périodes assez longues, bénéficié d'une hausse des salaires ; et, à l'encontre des vues social-démocrates, je m'efforçais d'indiquer pourquoi, malgré la diminution des crises dans le passé, nous entrions à présent dans une période où pareilles crises devaient nécessairement devenir plus aiguës et où le chômage croissant et les salaires en baisse engendreraient des situations révolutionnaires. L'ouvrage bénéficia d'une très grande attention. Naturellement, la presse officielle des partis communistes russe et allemand le répudièrent d'emblée, car il était en contradiction avecnombre de leurs dogmes. De nombreux journaux sociauxdémocrates le rejetèrent car, l'inflation allemande ayant été enrayée depuis quelques années, on comptait sur un boom de longue durée. Ainsi, une analyse tendant à prouver que des crises plus fréquentes étaient en vue - des crises qui dépasseraient de loin les précédentes en violence - ne s'accordait pas avec la politique social-démocrate prévalente. Le livre reçut cependant l'approbation chaleureuse de journaux de l'aile gauche social-démocrate et d'une certaine frange communiste. De cette manière, j'entrai en contact avec de nombreux groupes qui, à l'époque, n'étaient d'accord ni avec le .9-artisocial-démocrate ni avec le P.C. allemand. (Je n'ai moi-même jamais appartenu à l'un ni à l'autre.) Biblioteca Gino Bianco En 1929, je publiai un livre plus court, Der Imperialismus und seine Kritiker, dans lequel je développais certaines lignes de pensée déjà ébauchées dans Der Imperialismus en même temps que je transigeais avec certains de ceux qui m'avaient critiqué. En 1932, alors que les nazis étaient devenus le parti le plus fort en Allemagne, parut mon nouveau livre : Der Niedergang des deutschen Kapitalismus. Je démontrai que de nombreuses publications sociales-démocrates tentaient de minimiser une crise politique de cette ampleur ; que les sociauxdémocrates n'avaient pas de politique adéquate pour en venir à bout ; et que les communistes allemands, d'autre part, qui reprochaient aux sociaux-démocrates d'être des cc social-fascistes», avaient, par leur politique durant des années, perdu tout droit à la confiance des travailleurs. Entre-temps, je m'étais inscrit au parti socialiste du travail (Sozialistische Arbeiterpartei, S.A.P.) nouvellement créé. Le S.A.P. n'obtint pas de .succès politique. Prenant la parole dans telle ou telle ville, à travers toute l'Allemagne, j'entendais souvent des gens déclarer être d'accord avec mon analyse de la situation politique tout en ne me cachant pas qu'il était erroné, trop tard en tout cas, pour un nouveau groupe de fonder un parti. Si les sociaux-démocrates (S.P.D.) et les communistes (K.P.D.) ne s'alliaient pas, prétendaient-ils, la victoire nazie était inévitable. Pendant cette période, je fus souvent approché, à titre individuel, par des trotskistes allemands. Les trotskistes n'avaient aucune influence politique, mais ils avaient leur franc-parler sur de nombreuses questions, soulevaient des problèmes et consacraient une attention particulière à des points sur lesquels Trotski n'avait pas encore luimême pris position. Je reçus également la visite de Sédov, le fils de Trotski. Il vénérait son père, ce qui n'avait pourtant pas fait de lui un névrosé - comme cela arrive s1 souvent du rejeton d'un père brillant et célèbre, - en grande partie parce qu'il s'identifiait personnellement avec la même
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