L. DAN tombe 3 et à la transporter à Moscou ! Alors, vous pensez, les papiers, les manuscrits de Marx ! » Dan arrangea une entrevue avec Blum ; pour cela, un simple contact personnel d' «affaires» était suffisant... Blum proposa simplement de déjeuner ensemble au restaurant, en cabinet particulier. Le repas fut très animé ; on s'efforça d'éviter les problèmes purement politiques et surtout «russes », mais on parla néanmoins du Front populaire et du fascisme en Allemagne. Lorsque Boukharine posa nettement la question de l'intervention de Blum dans les conversations concernant l'achat des archives, afin qu'il essayât de faire «pression » sur les Allemands, Blum se contenta de lever les bras en signe d'impuissance et refusa catégoriquement, en disant qu'il ne voyait même pas comment il pourrait intervenir dans cette affaire, et au nom de quoi il demanderait une réduction du prix. On en resta donc là. Par la suite, Dan se rendit encore une fois au Lutetia, où l'on jeta les bases d'un «projet d'accord» (sans aucune condition politique); Adoratski dit qu'il devait en référer à Moscou et attendre une réponse, probablement par télégramme. En attendant, les bolchéviks décidèrent de rester encore quelque temps à Paris. C'est alors que se produisit l'événement que je veux relater. Je ne voudrais pas en effet que le souvenir en disparût avec moi, et je sais que je suis la dernière personne à le connaître ; les autres : Boukharine, Dan sont morts. Je suis certaine que Dan n'en a parlé à personne, pas même à Nicolaïevski, il eût pourtant été tout naturel que ce dernier fût mis au courant; mais Dan estimait que cela aurait pu être un jour ou l'autre très dangereux pour Boukharine, et c'est pourquoi il n'en parla même pas à Nicolaïevski. Je suppose que Boukharine lui-même a emporté ce « secret » dans la tombe, car il n'en a jamais été fait mention nulle part. Tout récemment encore, au procès Kravchenko, Blumel crut pouvoir dire que Boukharine avait été « châtié » pour avoir pris contact avec Nicolaïevski à Paris (il est étrange d'ailleurs que Blumel 4, en tant que juriste, n'ait pas été frappé par le caractère disproportionné de la sanction prise pour un tel «crime » !) ; mais, apparemment, ses informateurs communistes n'avaient pu lui faire part d'un autre « crime » de Boukharine. Je reviens à l'événement lui-même. Un jour - je ne sais plus la date et ne puis la retrouver, - 3. Ce n'était pas là une "façon de parler•· En 1926, à Paris, E. Préobrajenski fit part à B. Souvarine d'un projet communiste de transférer à Moscou les ossements de Marx qui sont au cimetière de Highgate et se plaignit de l'opposition de Jean Longuet à cette intention stupide. B. Souvarine ae moqua de ces singuliers • matérialistes • et de leur fétichisme, à quoi E. Préobrajenski répondit : • Vous ne pouvez pas comprendre ... • - N.d./.R. 4. Ancien collaborateur de Léon Blum, devenu apologiste de Staline et du stalinisme. - N.d.1.R. Biblioteca Gino Bianco 199 vers deux heures, au moment du déjeuner (j'étais à la maison), j'entends sonner; je vais ouvrir et, à_mon grand étonnement, j'aperçois... Boukhanne. Très troublé, il commença par s'excuser d'être • ,,• •, • A venu sans avorr ete mv1te et sans avorr meme pu prévenir par téléphone; s'il avait décidé, disait-il, de venir bavarder un peu, c'est que «son cœur l'y avait poussé » (je me souviens très bien de cette expression assez insolite et qui m'avait frappée ; nous devions par la suite l'utiliser entre nous, dans « notre » langage) ; personne n'était au courant de sa visite et, pensait-il, personne n'avait à en être informé... J'étais si stupéfaite que je ne pus cacher ma surprise et ne fis qu'aug- ~enter par là l'émotion déjà très vive de Boukharme. · Théodore Ilitch [Dan] ne fut pas moins surpris, mais enfin nous fîmes très sincèrement 00n accueil à Boukharine, et notre conversation fut si cordiale qu'il ne partit que vers huit heures du soir. Au moment où il prenait congé, Dan lui demanda: « Qu'allez-vous répondre, quand on va vous demander où vous êtes resté si longtemps ? » Boukharine répondit ingénument : «Bah, je trouverai bien quelque chose. » Il lui semblait • apparemment tout naturel que l'on pût lui demander, comme à un gamin, où il était allé et qu'il lui fallût trouver quelque chose à dire pour s'en tirer. Le début de l'entretien fut assez délicat : Boukharine était fort troublé, et Théodore Ilitch si étonné qu'il avait quelque peine à se montrer accueillant comme il siérait à un maître de maison. Je sortis de la pièce sous quelque prétexte pour ne pas les gêner, et en effet, lorsque je revins, une heure après, la conversation était très animée. Ils parlaient de Staline, ou plus exactement Boukharine parlait, et Dan, étonné, se bornait à l'écouter. Au moment où j'entrai, Dan disait : «Certes, je connais Staline moins bien que vous ; vous ne pouvez guère me suspecter de sympathie particulière à son endroit, mais tout de même..• Ce que vous pensez et ce que vous dites de lui, je ne pourrais pas, pour ma part, le penser et le dire... » Boukharine, agité, reprit précipitamment : «Justement, vous ne le connaissez pas comme moi, comme nous avons appris à le connaître... Je vous disais l'autre jour que nous irions jusqu'à acheter la tombe de Marx pour la transporter à Moscou... Oui, nous le ferions, et nous irions même jusqu'à ériger un monument, pas très grand peut-être, mais nous le ferions, et à côté nous placerions un grand Staline, par exemple debout et lisant le Capital ou quelque chose dans ce genre... Et Staline aurait un crayon à la main, pour, le cas échéant, prendre quelques notes, enfin, disons, apporter des corrections... Des corrections à Marx!... Vous voyez, vous dites que vous le connaissez peu, eh bien, nous, nous le connaissons. Il est malheureux d'être incapable de persuader tout le monde, y compris
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