Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

198 pour que l'on posât des conditions politiques ; on attendait la réponse de Moscou pour aborder directement le fond de la question. Mais la réponse n'arrivait toujours pas, et un certain scepticisme gagnait tous ceux qui s'occupaient de l' «affaire». Seul, Nicolaïevski croyait que les Soviétiques, dès lors qu'ils étaient intéressés à cette tractation, ne renonceraient pas à la poursuivre. Effectivement, on le vit un jour arriver, assez agité ; il annonça que Boukharine, Adoratski, Tikhomirnov et quelqu'un d'autre encore dont je ne me rappelle pas le nom étaient arrivés pour parler de l' « affaire », qu'ils étaient descendus à l'hôtel Lutetia et voulaient le voir, lui, Nicolaïevski, pour faire avancer la question de l'achat des archives de Marx; il répéta en outre - je ne sais d'où il le tenait - que Staline prenait un grand intérêt à l'affaire, que c'était lui personnellement qui était d'avis que ce voyage à Paris ait lieu et avait demandé à Boukharine 2 de prendre part aux conversations, etc. Naturellement - on ne savait trop pourquoi d'ailleurs, - ces conversations pouvaient ou même devaient être menées par l'intermédiaire des menchéviks ou du moins avec leur participation, etc. On ne pouvait s'empêcher de s'interroger : tout cela était-il vraiment si indispensable? Pourquoi l'achat des archives, la participation des menchéviks, l'envoi de Boukharine? Quelqu'un parla de provocation, mais on ne voulut pas s'y arrêter: pourquoi parler de provocation dans une affaire aussi simple? On décida - à l'unanimité, je crois - de donner carte blanche à Nicolaïevski pour aborder le fond de l'affaire. Nicolaïevski se rendit à l'entrevue et dès le lendemain, je crois, fit savoir qu' «ils » demandaient que Dan prît part également aux entretiens ; les visiteurs souhaitaient en effet le voir user de son influence sur les Allemands pour empêcher ceux-ci d'élever des prétentions déraisonnables et de prendre trop cher. Dan accepta l'invitation. Il est fort possible que ce n'ait été là que l'un des éléments des conversations ; en même temps, ou fort peu de temps après, commencèrent en effet les conversations « officielles» par l'intermédiaire de Fritz Adler, secrétaire de l'Internationale socialiste, qui entraîna dans cette affaire Abramovitch et Dan; mais le premier, en fait, ne prit pas part aux entretiens, car, tout comme Wells, il ne souhaitait guère fréquenter les bolchéviks. A la prenuère rencontre, à l'hôtel où vivait Fritz Adler, assistait également Sturmthal, en qualité de secrétaire d'Adler. Je ne sais si c'est en même temps ou immédiatement après qu'eut lieu la rencontre de Dan, en présence de Nicolaïevski, au Lutetia, avec Adoratski, Tikhomirnov et Boukharine. Dan voyait pour la prem~re fois Tikhomirnov et 2. Il va de soi que tout était décidé, ordonné par Staline. Il ne pouvait en être autrement, et il ne saurait être question de demander, en pareil cas. - N.d.l.R. BibliotecaGino Bianco • LE CONTRAT SOCIAL Adoratski ; quant à Boukharine, il le connaissait - quoique non personnellement - depuis longtemps, pour l'avoir vu aux réunions communes de 1917. En tout cas, il n'y avait pas entre eux la même intimité qu'entre Dan et certains autres vieux bolchéviks ; néanmoins, les visiteurs moscovites accueillirent Dan comme un vieH ami, lui offrirent du chocolat et de la bière. Ils lui donnèrent à entendre qu'ils le considéraient comme «des leurs» et lui demandèrent d'agir sur les Allemands, en les priant de réduire un peu leur appétit; on lui demanda même de faire intervenir Blum, toujours pour faire « pression » sur les Allemands. Dan - et plus encore Nicolaïevski, véritablement enthousiaste de cette affaire - eurent l'impression que l'intention des bolchéviks d'acquérir les archives était parfaitement sérieuse, et qu'ils étaient même résolus à aller assez loin pour les avoir à Moscou, tout en essayant d'ailleurs de marchander. Tikhomirnov - et peut-être également Adoratski - firent observer en passant que Staline « luimême » était intéressé par cette affaire, qu'il était au courant des entretiens, et que c'était lui personnellement qui avait insisté sur la nécessité de poser sérieusement la question. On ne précisa pas si Staline savait que ses envoyés devaient recourir à l'entremise des menchéviks russes, mais Nicolaïevski eut comme l'impression que Staline non seulement le savait, mais que c'était lui, dans une certaine mesure, qui était à l'origine de la chose. Dan n'en eut pas l'impression aussi nette, mais lui aussi pensa que sans cela ni Tikhomirnov ni Adoratski n'auraient osé prendre aussi ouvertement contact avec des émigrés. On pria spécialement Dan de demander à Blum d'intervenir, toujours pour faire « pression » sur les Allemands. Dan et Nicolaïevski eurent le sentiment que Tikhomirnov et Adoratski, et peut-être même aussi Boukharine, connaissaient bien mal la nature des relations qui existaient entre les socialistes européens ; ils croyaient en effet que les contacts d' «affaires» entre les sociaux-démocrates allemands et les socialistes français, d'une part (« Tout cela, pensaient-ils, c'est la même bande»), et les émigrés russes, d'autre part, étaient si étroits - sans doute du type «Comintern »... - que Dan, s'il le voulait vraiment, n'avait qu'à « donner des ordres », et l'affaire serait réglée selon le désir des menchéviks russes. En tout cas, Dan et Nicolaïevski étaient de plus en plus convaincus que l'Institut Marx-Engels, et peut-être quelqu'un du gouvernement, et peut-être Staline lui-même, attachaient un grand prix à l'acquisition des archives, encore que les raisons de cette insistance à vouloir se procurer ces documents ne fussent pas complètement claires. A une question quelque peu embarrassante de Dan, Boukharine, qui de toute évidence était profondément pénétré du sérieux de sa mission, répondit, surpris : « Pensez donc, voyons ! Les papiers de Marx ! Nous serions prêts à acheter sa

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