Le Contrat Social - anno VIII - n. 4 - lug.-ago. 1964

revue ltistorique et critique Jes / 11.itset Jes idées - bimestrielle - JUILLET-AOUT 1964 Vol. VIII, N° 4 B. SOUV ARINE. . . . . . . . . . . . . . Le désarroi communiste Boukharine, Dan et Staline Entretiens avec Trotski A propos d'un anniversaire LYDIA DAN' ................ . F. STERNBERG ............ . A. BRUMBERG ............. . L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE N. IASNY . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'agriculture soviétique dix ans après Staline LASZLO TIKOS . . . . . . . . . . . . . Renaissance littéraire en Hongrie YVES LÉVY DÉBATS ET RECHERCHES ....... . . . . . ... . Quand la France découvrait l'Amérique DOCUMENTS Les communistes et la Résistance QUELQUES LIVRES Comptes rendus par A. G. HORON, B. SOUVARINE THÉODORE RUYSSEN et C. BASTIEN Correspondance INSTITUT D'HISTOIRE SOCIALE, PARIS Biblioteca Gino Bianco

• Au sommaire des derniers numéros du CONTRAT SOCIAL NOV.-DÉC. 1963 B. Souvarine Les imposteurs dans l'impasse Georges Adamovitch Maïakovski Aleksander Wat La mort d'un vieux bolchévik E. Delimars Le Kremlin et l'épouvantail allemand H. Swearer Le super-contrôleen U.R.S.S. Marcel Brésard La « volonté générale» selon Simone Weil * A. DE TOCQUEVILLE DU GOUVERNEMENTLOCALEN ANGLETERRE MARS-AVRIL 1964 B. Souvarine Le spectre du trotskisme N. Valentinov De la « nep » d la collectivisation E. Delimars Nouvelle éclipse de Lyssenko Michael Rywkin Le prix de la soviétisation en Asie centrale Richard Pipes Les forces du nationalisme en U.R.S.S. Lucien Laurat Actualité de Rosa Luxembourg Documents Art et antisémitisme soviétiques Chronique Le racisme sans fard JANV.-FÉV. 1964 B. Souvarine Du bruit et de la fureur Léon Emery La démocratisationde l'enseignement K. Pavlov Le conflit sino-soviétique Yves Lévy La Constitutionde 1962 K. Papaioannou Marx et la théorie des classes Véra Alexandrova La Chine dans la littérature soviétique Paul Hollander La vie privée en Chine Documents Boukharine en 1928 MAI-JUIN 1964 B. Souvarine En un combat douteux Léon Emery Le communisme et les grandes religions Meyer Schapi ro Sur la politiquede Max Weber Victor S. Frank Le citoyen soviétique et la question chinoise Robert V. Daniels Lemo'nolitheétait-il monolithique ? E. Delimars La biologieen liberté surveillée Lucien Laurat Un siècle après le « Capital » Chronique Les malheursde Clio Ces numéros sont en vente à l'administration de la revue 199, boulevard Saint-Germain, Paris• 7e Le numéro : 4 F -Biblioteca Gino Bianco

leCOMBili r,vu~ l,istori41u et crÎIÎIJHeJes /11its et J~s iJéu JUILLET-AOUT 1964 - VOL. VIII, N° 4 SOMMAIRE Page B. Souvari ne. . . . . . . . . . LE DÉSARROI tCOMMU N ISTE . . . . . . . . . . . . . . . 193 Lydia Dan............ BOUKHARINE, DAN ET STALINE........... 196 F. Sternberg .. .. .. . .. . ENTRETIENS AVEC TROTSKI .. .. .. .. .. .. .. . 203 A. Brumberg . . . . . . . . . A PROPOS D'UN ANNIVERSAIRE . . . . . . . . . . . 211 L'Expérience communiste N. lasny ............ . L'AGRICULTURE SOVIÉTIQUE DIX ANS APRÈS STALINE .. 214 Laszlo Tikos.. . . . . . . . . RENAISSANCE LITTÉRAIRE EN HONGRIE . . . . 221 Débats et recherches Yves Lévy ........... . QUAND LA FRANCE DÉCOUVRAIT L'AMÉRIQUE .. 229 Documents LES COMMUNISTES ET LA RÉSISTANCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242 Quelques livres A. G. Horon . . . . . . . . . . A LONELYM/NOR/TY; THE MODERN STORY OF EGYPT'S COPTS, d'EDWARD WAKIN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251 B. Souvarine. . . . . . . . . . TEXTES SUR LE COLON/ALISME, de KARL MARX et FRIEDRICH ENGELS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254 Théodore Ruyssen . . . . . ŒUVRES POLITIQUES, de DIDEROT . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 C. Bastien . . . . . . . . . . . . DESTIN DE LA PLANIFICATIONSOVllTIQUE, de PHILIPPEJ. BERNARD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 Correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... 260 Livres reçus Biblioteca Gino Bianco

DERNIERS OUVRAGES il DE NOS COLLABORATEURS Maxime Leroy : Histoire des idées sociales en France T. /. - De Montesquieu à Robespierre T. Il. - De Babeuf à Tocqueville T. Ill. - D'Auguste Comte à Proudhon Paris, Librairie Gallimard. 1946-1950-1954. Léon Emery : Civilisations. Essais d'histoire générale Joseph Malègue, romancier inactuel Trois poète~ cosmiques Lyon, Les Cahiers libres, 3, rue Marius-Audin. Raymond Aron : Le Grand Débat INITIATION A LA STRATÉGIE ATOMIQUE Paris, Calmann-Lévy. 1963. La Lutte de classes NOUVELLES LEÇONS SUR LES SOCIÉTÉS INDUSTRIELLES Paris, Librairie Gallimard. 1964. Théodore Ruyssen : Les Sources doctrinales de l'internationalisme T. I. - Des origines à la paix de Westphalie T. Il. - De la paix de Westphalie à la Révolutionfrançaise T. Ill. - De la Révolutionfrançaise au milieu du XIX8 siècle Paris, Presses Universitaires de France. 1954-1958-1961. Lucien Laurat : Problèmes actuels du socialisme Paris, Les lies d'Or. 1957. Michel Collinet : Du bofchévisme ÉVOLUTION ET VARIATIONS DU MARXISME-LÉNINISME Paris, Le Livre contemporain. 1957. Paul Barton : L'Institution concentrationnaire en Russie (1930-1957) BibliotecaGino Bianco Paris, Librairie Pion. 1959. Kostas Papaioannou : Hegel PRÉSENTATION, CHOIX DE TEXTES Paris, Editions Seghers. 1962.

rev11e/,istorique et critique Je1 fait1 et Jes idées Juillet-Août 1964 Vol. VIII, N° 4 LE DÉSARROI COMMUNISTE par B. Souvarine APRÈS DES MOIS et des mois de consultations, de sondages, de préparatifs, de louvoiements, d'hésitations, d'ajournements, d'allées et venues, les dirigeants communistes soviétiques ont annoncé le 10 août leur intention de réunir à Moscou le 15 décembre une conférence internationale ayant pour objet principal de convoquer une conférence plus internationale encore pour l'année prochaine. Le fait qu'il ait fallu si longtemps et tant de manières pour décider .quelque chose d'aussi banal en dit long sur le désarroi de l'oligarchie communiste. A part le bavardage torrentiel que suscite et alimente cette menue péripétie dans la presse «bourgeoise» irresponsable, on ne voit guère en quoi la réunion prévue peut avancer les tireurs de ficelles. En aucun cas elle ne saurait faire impression sur la Chine dissidente et ses satellites. Elle ne pourra que rabâcher ce que les conférences antérieures de 1957 et de 1960 ont déjà dit et que les organes communistes de toutes sortes ont répété plutôt cent mille fois qu'une. Les Chinois, pour leur part, rabâcheront leurs accusations, dénonciations et anathèmes dont ils ne pensent pas un mot et qui ne convainquent personne, étant bien entendu que les scissions et les regroupements du communisme actuel ne dépendent pas de cette littérature. La conférence convoquée par Khrouchtchev et c1e n'a de signification plausible que le besoin de « faire quelque chose » pour montrer que la majorité des forces communistes reste fidèle à son état-major traditionnel. Mais cela n'empêchera pas la minorité de contester la légitimité de cette prétention et de poser à la seule incarnation authentique du marxisme-léninisme. Entre les deux conférences projetées, les promoteurs espèrent-ils quelque changement d'orientation au Politburo de Pékin ? Ils ne se sont que trop mépris jusqu'à présent à cet égard et nul ne saurait dire s'ils en nourrissent encore l'arrière-pensée. Le plus vraisemblable est qu'ils agissent en plein emf irisme, à tâtons, sans regarder en face ce que 1 avenir leur réserve. Il faut donc s'attendre à maintes répétitions de part et d'autre au cours des prochaines phases Biblioteca Gino Bianco de logomachie en perspective, sans exclure que l'ardeur des polémiques puisse inciter à des aveux involontaires ou à des révélations piquantes, seule matière intéressante pour les observateurs impartiaux de notre espèce. A vrai dire, on ne doit pas escompter de grandes contributions à la vérité historique, comme l'expérience des dernières années le prouve, car les antagonistes ont , été trop solidaires dans le passé pour s'exposer à compromettre leur propre cause en vidant leur ' sac. On comprend qu'ils hésitent à raconter ce qu'ils savent réciproquement de leurs réalités respectives, devant le risque d'appeler lourdement l'attention sur une complicité si récente. C'est ainsi que Khrouchtchev pourrait singulièrement embarrasser Mao en ouvrant certains dossiers de Staline, mais il se mettrait lui-même en triste posture s'il se décidait à le faire : ne s'est-il pas défini, dans une biographie officielle, comme l'un des plus proches et des meilleurs compagnons d'armes de Staline ? Précisément vient de paraître à Pékin (11 août) un recueil contenant une centaine de textes signés Khrouchtchev et parus dans la presse soviétique pendant les dix années précédant la mort de Staline. Ce faisant les Chinois veulent dévoiler « les germes d'une trahison révisionniste » du malheureux Khrouchtchev qui, naguère, « exaltait Staline avec ferveur » en « employant le langage le plus obséquieux », alors qu'aujourd'hui, «usant de la langue des trotskistes, il l'accuse d'être un assassin et un idiot». La préface le qualifie de conspirateur, d'arriviste, d'hypocrite et d'usurpateur, ce qui de la part de Mao ne tire guère à conséquence. Mais la publication de ces textes présente un intérêt certain, surtout si les Chinois en diffusent la traduction en plusieurs langues, puisque du côté occidental il est pratiquement interdit de faire à Khrouchtchev nulle peine, même légère. Tout ce qui met en pleine lumière les hommes et les choses du communisme sert la cause de la civilisation démocratique, en serait-on redevable à la Chine et à la faveur d'un conflit sordide. Observons que les éditions de Pékin ont, à leur manière, en compilant les écrits

194 et discours passés de Khrouchtchev, imité le travail méritoire du socialiste russe Lazare Pistrak dont notre revue fut seule en France à louer le livre The Great Tactician et dont (numéro de mars-avril 1962) elle a reproduit un chapitre. Le même intérêt strictement critique et documentaire que l'on doive reconnaître à ce genre de publications apparaît en bribes dispersées dans les interminables proses pékinoises que Mao dicte ou inspire, seule raison de leur consentir un regard en diagonale malgré l'ennui mortel qui en émane. Cela n'a rien à voir avec la considération distinguée que d'aucuns, en Europe et en Amérique, accordent à une caricature d'idéologie et à de vaines menaces. Depuis plusieurs années, des « brigades » de scribes traduisent en chinois et dissèquent les œuvres de Marx et de Lénine pour mettre en fiches les formules et sentences, composant un arsenal de citations indexées où puisent les grands penseurs du communisme chinois dans leur polémique avec les détenteurs patentés de la doctrine. Mao et son équipe n'ont pas eu besoin jusqu'à présent de moins de neuf articles-fleuves, dont les spécialistes comptent par _centaines de milliers les idéogrammes, pour répondre à la lettre ouverte du Comité central du P.C. soviétique datée du 14 juillet 1963. Le neuvième et dernier en date, imputé comme les précédents aux rédactions du Renmin Ribao et du Hongqi, paru en juillet 1964, dénonce laborieu- ·sement la « clique révisionniste de Khrouchtchev » dans le style typiquement pédagogique pour komsomols arriérés qui caractérise toute la série. •Même lue en zigzags et par « bonds en avant» à la chinoise, cette diatribe décèle bien des inconséquences et des absurdités qui soulignent les contradictions insolubles dans lesquelles se sont empêtrés les successeurs de Staline, grands pourfendeurs de « contradictions capitalistes », quelle que soit leur couleur politique ou autre. * • • POUR TAXER de trahison la « clique rév1s1onniste de Khrouchtchev », leitmotiv ressassé cent fois dans cet article, Mao et Cie s'en -prennent violemment à la notion du Parti et de l'Etat « du peuple tout entier » substituée à celle de la dictature du prolétariat par le P.C. soviétique depuis l'adoption d'un nouveau programme: -« ••• Son abolition [de la dictature du prolétariat] par la clique révisionniste de Khrouchtchev est une trahison du socialisme et du communisme. » En fait, Khrouchtchev et consorts n'ont rien aboli du tout, ils ont simplement remplacé un cliché par un autre sans toucher à la dictature du Parti exercée par une « oligarchie », comme disait Lénine. Ayant proclamé depuis un quart de siècle l'instauration du socialismeen U.R.S.S., et puisque le socialisme implique nécessairement la suppression des classes, ils ne pouvaient indéfiniment maintenir en paroles la fiction de la dictature du prolétariat impliquant l'existence des classes, et ils ont changé les mots sans changer la chose. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Selon les Chinois, qui font mine de prendre au sérieux une tricherie de vocabulaire, ni Marx ni Lénine n'ont prévu un « Etat du peuple tout entier » comme transition entre la dictature du prolétariat et le dépérissement de l'Etat (le fichier des citations ne contient rien sur ce point). Le socialisme est établi en U.R.S.S., Staline l'a dit, Mao ne peut le contredire, mais « la bourgeoisie et les autres classes réactionnaires, quoique renversées (sic), conservent encore pendant assez longtemps leurs forces en société socialiste et sont même assezpuissantes dans certains domaines (sic). Mille liens les rattachent à la bourgeoisie internationale. » Et ces multiples classes d'une société sans classes « sont prêtes à tout instant . (sic) à renverser la dictature du prolétariat ». Après ces affirmations aussi ahurissantes que catégoriques, les Chinois remarquent en bonne logique, comme nous l'avons fait ici longtemps avant eux, que là où il n'y a pas de classes, et si le Parti est l'organe d'une classe, « le Parti n'a donc plus de raison d'être », vérité aussi quant à l'Etat si l'on admet l'idée fausse de Lénine que l'Etat est exclusivement l'instrument de domination d'une classe. De cet invraisemblable pancrace « idéologique », il appert qu'en Russie soviétique le socialisme a triomphé, Staline dixit, Khrouchtchev et Mao en tombent d'accord, et donc que les classes antagoniques ont disparu, selon les Ecritures ; il n'y a donc plus de prolétariat, partant, de dictature du prolétariat, selon Khrouchtchev ; mais il ne reste donc ni Parti ni Etat, produits de la lutte des classes, selon les Ecritures et selon Mao ; cependant le Parti et l'Etat sont plus nécessaires que jamais, selon Staline et selon Khrouchtchev et selon Mao ; il faut donc qu'ils soient ceux « du peuple tout entier », selon Khrouchtchev ; mais, sous le socialisme, société sans classes, la lutte des classes bat son plein, « cette société soviétique connaît une lutte de classes acharnée », découvre Mao; donc la dictature du prolétariat s'impose jusqu'aux calendes grecques (voir plus loin) là où n'existent plus ni classes ni prolétariat, définition intangible du socialisme, et voilà pourquoi Khrouchtchev est un traître. Or, « la bourgeoisie et les autres classes réactionnaires (...) sont p;êtes à tout instant à renverser la dictature du prolétariat» que la « clique révisionniste de Khrouchtchev » a déjà « abolie » au préalable. On y perd son latin, et même son russe et son chinois. Jamais les savants docteurs en marxisme-léninisme ne se dépêtreront de leur embrouillamini pseudo-idéologique, pas même en mobilisant _péniblement leurs adeptes en solennelles conférences internationales. · Une question se pose, inévitable, à laquelle les Chinois ne craignent pas de répondre: jusques à quand va durer la dictature du prolétariat, c'e~t-àdire celle du Parti, plus précisément encore celle ·deMao et de son équipe, si elle se prolonge parallèlement au socialisme en dépit de Lénine qui, toujours génial, a prophétisé : « L'Etat prolétarien commence à dépérir aussitôt après sa vie-

B. SOUVARINE toire, car dans une société sans contradictions de classes, l'Etat est inutile et impossible » ? Khrouchtchev ayant annoncé avec certitude : « Nous construirons la société communiste pour l'essentiel en vingt ans » ( en plus des quarante-cinq ans écoulés depuis Octobre), Mao réplique par scribes interposés : « C'est pure tromperie», car « la société socialiste couvre une longue, très longue période », insiste-t-il, lui, Mao, qui naguère prétendait instaurer non pas seulement le socialisme, mais le communisme, en un tournemain, par un impétueux et stupide « bond en avant». Tout en se réclamant de Staline dont la déclaration de 1936 sur « la victoire totale du système socialiste » a été assez souvent citée, il a le front d'avancer à présent : « La victoire complète du socialisme n'est pas l'affaire d'une ou de deux générations ; pour être définitive elle exige cinq à dix générations, voire davantage. » Dix générations, voire davantage ? On se demande si l'on a bien lu, mais plus loin le maître nageur du Yang-Tsé dissipe toute espèce de doute : « Quelques dizaines d'années n'y suffiront pas; partout cent ans, voire des centaines d'années, sont nécessaires à la victoire. » Voilà qui éveille une réminiscence. Au fait, cela remémore le millénaire national-socialiste d'Hitler. Mais le paranoïaque de Nüremberg se trouve largement « rattrapé et dépassé », comme disent les Soviétiques, quand le factum chinois prévoit que la question de durée, « dans la bonne voie tracée par le marxisme-léninisme», celle de la dictature de Mao et de ses descendants adoptifs, « reste d'une importance fondamentale pour la cause révolutionnaire du prolétariat pour une période de cent, mille ou dix mille ans». Ce discours s'adresse expressément aux philosophes politiques américains et britanniques qui supputent une « évolution pacifique» et l'assagissement du communisme en Chine quand une génération poststalinienne connaîtra des jours meilleurs. ON AVAIT NOTÉ ici (notre dernier numéro) que l'insolence chinoise exigeant, le 7 mai dernier, quatre ou cinq ans « ou même davantage» pour préparer une conférence de rabâchage communiste avouait l'intention bien arrêtée de persévérer dans l'entreprise visant à déboulonner Khrouchtchev. Les allusions délirantes aux siècles à venir « ou même davantage » et aux millénaires veulent couper court aux spéculations bonasses de politiciens et diplomates, interprètes de la veulerie occidentale, qui escomptent encore des compromis « idéologiques » entre gens dont l'idéologie caricaturale sert de masque à l'esprit de conquête et de domination. Tout indique que l'invitation lancée aux Chinois pour qu'ils prennent part à l'éventuelle conférence de Moscou n'est qu'un simulacre, cependant que la riposte chinoise Biblioteca Gino Bianco 195 enjolivée de proverbes n'est que phrases creuses, comme : « L'ouverture de votre prétendue conférence sera le jour où vous mettrez le pied dans la tombe. » Le seul intérêt de ces disputes épistolaires réside dans l'échange des vérités qui tiennent lieu de projectiles aux belligérants, surtout aux assaillants chinois qui gardent l'initiative et ne relâchent pas leur offensive tandis que la défense soviétique balbutie et temporise. Aussi vaut-il la peine de revenir au « neuvième article », malgré son fatras rebutant, pour y relever des passages qui ont trait à la « nouvelle classe » issue du régime prétendu communiste, et où Mao, grand contempteur de Tito, emboîte le pas à Milovan Djilas. Non seulement à Djilas, mais à notre modeste . revue, en citant L'Etat et la Révolution de Lénine comme nous l'avons fait à diverses reprises. Lénine, écrivent les Chinois, « insista tout particulièrement sur la nécessité de maintenir le principe de la Commune de Paris en matière de salaires, à savoir que tous les fonctionnaires doivent toucher des salaires correspondant à ceux des ouvriers ... » Or, remarquent-ils, une « couche privilégiée » en U.R.S.S. « a des revenus qui sont des dizaines de fois, voire plus de cent fois supérieurs à ceux des ouvriers et des paysans ordinaires ». Plus loin : « Une couche privilégiée de la bourgeoisie opposée au peuple soviétique occupe maintenant la place dominante au sein du Parti et du gouvernement et dans les domaines économique, culturel et autres. Y a-t-il là aussi quoi que ce soit de communiste ? » A l'appui, les Chinois signalent quantité de faits puisés dans la presse soviétique: phénomènes multiples d'intéressement personnel, spéculations illégales, fraudes, malversations, détournements de fonds au préjudice de l'Etat et autres signes illustrant leur thèse. Ils n'oublient que d'expliquer pourquoi ils ont attendu l'année 1964 pour s'en apercevoir et de s'expliquer sur la situation chez eux sous ce rapport : pas plus que la Russie et la Yougoslavie, la Chine n'est exempte d'une « nouvelle classe ». Pour ceux qui n'ont pas attendu, leur indignation tardive dont le cri ne suscite qu'arguties dans le camp adverse atteste le peu de cas que les uns et les autres font de l'idéologie, quitte à la mettre au service de leur ambition hégémonique. Aussi ne doit-on pas se laisser prendre à des parodies de controverses entre pseudo-théoriciens, cependant que la guerre froide sino-soviétique prend de plus en plus d'importance sur le plan des Etats en compétition d'influence. dans le monde. Sur la scène politique internationale, les rivalités de puissance et d'impuissance ne cessent heureusement de percer à jour les mythes et les fictions du communisme qui égarent le public, en l'absence calamiteuse de tout leadership occidental. B. Souv ARINE.

BOUKHARINE, DAN ET STALINE par Lydia Dan En I935, Boukharine vint à Paris dans une délégation envoyée par Staline pour négocier avec les socialistes allemands et russes l'achat éventuel des archives de Marx et d'Engels évacuées de Berlin après l'avènement d'Hitler au pouvoir. En cette circonstance, Boukharine accomplit un acte véritablement insolite et très significatif : il fit proprio motu une visite à Théodore Dan, le leader menchévik, ami de Léon Blum, pour s'épancher à cœur ouvert auprès d'un honnête homme odieusement calomnié par les communistes et implicitement condamné à mort par le régime soviétique. Cette entrevue demeura secrète, au point que Th. Dan n'en parla jamais à sesplus proches camarades. Après sa mort, Lydia Dan, sa femme, sœur de J. Martov, en fit une relation dans un chapitre de ses Mémoires dont elle n'envisageait la publication qu'à une date postérieure à la disparition des personnes mises en cause. Séjournant à Paris en I959, elle confia une copie de ce chapitre sur Boukharine à B. Souvarine, mais à titre confidentiel. Mais il faut croire qu'elle changea d'avis quant à l'opportunité de révéler la visite de Boukharine et les propos tenus en cette occasion, car après son décèsen mars I963 ( cf. notre n° 3 de mai-juin I963, p. I89), on sut qu'elle avait communiqué le chapitre « Rencontre à Paris » à deux de ses amis en Amén-♦que, Raphaël Abramovitch et David Shub. Ce dernier le fit paraître dans Novy Journal ( n° 75, mars I964), l'excellente revue de /'intelligentsia russe en exil. Dans ces conditions, il n'y a plus de raison pour que ce récit d'un intérêt exceptionnel ne paraisse pas dans une revue française. Lydia Dan n'était pas informée dans le détail des conditions dans lesquelles s'opéra le sauvetage des archives social-démocratesde Berlin (allemandes, russes et celles du Bund). Elle croyait que Léon Blum en avait pris l'initiative et d'autres socialistes pensaient de même : une lettre du Bund, parue daus le New Leader de New York, en faisait BibliotecaGino Bianco mention. En I959, lors de son entretien avec Lydia Dan, B. Souvarine fut amené à mettre Léon Blum hors de cause, sans exclure son intervention ultérieure quand, après le sauvetage, il fallut certaines démarches administratives en France. Mais le mérite de l'opération revenait à Anatole de Monzie, pressenti à cet effet par B. Souvarine. Intéressée par cette mise au point, Lydia Dan pria B. Souvarine de l'écrire à son intention, ce qui fut fait brièvement sous forme d'une notice que nous donnons en annexe. Un peu plus tard, B. Nicolaïevski à son tour demanda à B. Souvarine de lui rafraîchir la mémoire sur cette affaire, d'où résulta une lettre du 27 décembre I959 que nous ne publions pas puisqu'elle répète à peu près la notice précédente. L'histoire des archives n'a d'intérêt, ici, que comme entrée en matière avant la « rencontre à Paris» de Boukharine chez Dan. Que Boukharine ait pris une telle initiative, cela prouve une fois de plus que les dirigeants communistes ne pensent pas un mot de ce qu'ils disent en public, surtout quand ils couvrent d'injures ordurières leurs adversaires politiques. Que Boukharine se soit livré à des confidencessur le compte de Staline auprès du leader menchévik comme interlocuteur incrédule, cela en dit long sur sa détressed'alors, sur les tourments de son âme trois ans avant la hideuse mise en scène du « procès en sorcellerie » où il devait confesser des torts imaginaires entrecoupés de velléités défensives sans espoir d'échapper à un ignominieux supplice. Il savait certainement en I935 que Staline avait assassiné sa femme et sans doute fait assassinerKirov, prélude à la plus longue sén'e d'assassinats qu'ait connue l'histoire; il dit lui-même que Staline ne laissera pas vivre quiconque le 'dépasse d'une manière ou d'une autre, ce qui implique des tueries cauchemardesques en perspective, et pourtant il ne démord pas des idées fausses qu'il a en partage avec Staline. Ce chapitre de Lydia Dan sera donc une contribution précieuse à l'intelligence de l'irrémédiable déchéance morale et politique du _bolchévisme.

L. DAN Une rencontre à Paris L'AFFAIRE remonte à 1933. Je ne sais plus - j'étais en effet déjà à Paris - si c'était aussitôt après l'arrivée d'Hitler au pouvoir, ou juste avant ; toujours est-il que l'inquiétude et la perplexité augmentaient de jour en jour dans les milieux sociaux-démocrates allemands. Certains de nos camarades se préparaient à quitter leur pays; les émigrés russes, les premiers, abandonnèrent les lieux qui les avaient si longtemps accueillis, et nos camarades allemands les y encourageaient : ils redoutaient en effet des difficultés de toutes sortes, des mesures contre les socialistes étrangers, juifs pour la plupart, des tracas, et leur propre impuissance. Si je ne me trompe, c'est B. I. Nicolaïevski qui, le premier parmi les émigrés russes, souleva la question des archives, qu'il fallait mettre en lieu sûr. Il s'inquiétait notamment des archives et des manuscrits de Marx, conservés dans les archives du parti social-démocrate, dans l'immeuble du Vorwaerts. Tout le monde était un peu dérouté ; nos camarades allemands ne savaient que faire, comment emporter les archives, où les mettre en sûreté. Finalement, on y réussit de manière assez heureuse : les archives de Marx furent envoyées à Copenhague, et ceci grâce à l'énergie et aux démarches du fils de Breitscheid, qui s'y était établi. On réussit à tout faire sortir d'Allemagne - et non seulement ces archives, mais aussi quelques autres - grâce à l'intervention de Blum qui s'arrangea pour que ces documents fussent transportés, comme biens français, par la voie diplomatique 1 • Je ne sais comment des rumeurs concernant ces archives de Marx, la manière dont on les avait sauvées, etc., parvinrent jusqu'à l'Institut MarxEngels à Moscou; peut-être fut-ce par l'intermédiaire du même Nicolaïevski qui, comme certains d'entre nous, avait conservé des contacts avec Riazanov (à l'époque, directeur de l'Institut) et, après son éviction, avec ses successeurs, Adoratski et d'autres. Je sais, en tout cas, que cet Institut proposa de se voir confier la garde des archives de Marx ; la proposition fut adressée à la social-démocratie allemande. Je crois qu'elle fut transmise par l'intermédiaire de B. I. Nicolaïevski, mais je n'en suis pas sûre; lorsque j'en ai parlé plus tard à Abramovitch, il m'a dit que les bolchéviks avaient adressé cette proposition à l'Internationale ; mais j'ai quelque peine à imaginer qu'une institution soviétique d'Etat ait pu s'adresser officiellement à l'Internationale socialiste. D'autre part, Fritz Adler, secrétaire de l'Internationale, a conservé de tout cela un souvenir un peu différent : sa participation à cette « affaire » aurait commencé par une démarche 1. Voir plus loin, en annexe, la notice de B. Souvarine aur l'affaire des archives. - N.d.l.R. Biblioteca Gino Bianco ... 197 faite auprès de lui par la social-démocratie allemande, car Wells, président du parti socialdémocrate, ne voulait à aucun prix entrer en conversations et en rapports directs avec les bolchéviks. Un certain André Pierre, personnage au rôle assez mal défini, prit part également à ces conversations ; j'ignore comment il se trouva mêlé à cette affaire. Bien entendu, les sociaux-démocrates allemands ne pensèrent pas un instant à confier à Moscou la « garde » des archives de Marx. Cependant, l'éventualité d'une vente de ces archives leur parut pouvoir être envisagée. En effet, la vie nouvelle qu'ils allaient devoir .mener dans l'émigration, organisée sur une grande échelle, avec un bureau, de nombreux collaborateurs, des publications, etc., nécessitait des fonds importants, et bien que les sociaux-démocrates allemands eussent réussi à sortir d'assez grosses sommes (par l'entremise et avec l'aide du parti socialiste suédois), le prix considérable que l'on pouvait espérer tirer de la vente de ces archives était de nature à les intéresser dans la réalisation de leurs plans. On parlait d'une somme de 2 millions de marks, l'équivalent à l'époque de 12 millions de francs, soit près de 800.000 dollars. Les sociaux-démocrates allemands avaient promis de remettre une partie de cet argent à l'Internationale socialiste pour la fondation d'un Institut Marx ; les menchéviks russes, plus ou moins intéressés à cette affaire, suggérèrent de se voir attribuer une partie de cette somme : c'eût été en effet pour nous d'une grande importance, car, si nous n'avions pas, il est vrai, de collaborateurs rémunérés, la publication du Sotsialistitcheski Viestnik exigeait néanmoins des moyens qui nous faisaient précisément défaut. Je ne puis dire avec certitude quel est celui de nos ~amarades qui le..premier émit l'idée que les archives pourraient etre non pas données en « garde », mais purement et simplement vendues ; quoi qu'il en soit, les conversations se déroulèrent avec la participation directe des menchéviks, et je me souviens très bien de toutes les péripéties de cette histoire. Du côté des bolchéviks (on attendait la venue d'Adoratski, de Boukharine et de Tikhomirnov) on ne voyait aucun inconvénient à ce que des menchéviks fussent mêlés à l'affaire. Bien au contraire ... Dès le début, une difficulté surgit : comment fixer le prix d'une « marchandise » aussi insolite? On parla de 6, puis de 8 millions. Les menchéviks russes suggérèrent que l'on pourrait également poser quelques conditions d'ordre politique très modestes il est vrai, comme par exempl: la libération de l'un ou l'autre de nos camarades arrêtés, etc. On crut pouvoir soulever cette question_p~ce que. Nicolaïev~ki avait appris que les ~ovtétiques étaien~ très mtéress~s par l'acquisition de ces archives, que Staline « lui-même » y tenait beaucoup, etc. C'est Abramovitch qui insista particulièrement '

198 pour que l'on posât des conditions politiques ; on attendait la réponse de Moscou pour aborder directement le fond de la question. Mais la réponse n'arrivait toujours pas, et un certain scepticisme gagnait tous ceux qui s'occupaient de l' «affaire». Seul, Nicolaïevski croyait que les Soviétiques, dès lors qu'ils étaient intéressés à cette tractation, ne renonceraient pas à la poursuivre. Effectivement, on le vit un jour arriver, assez agité ; il annonça que Boukharine, Adoratski, Tikhomirnov et quelqu'un d'autre encore dont je ne me rappelle pas le nom étaient arrivés pour parler de l' « affaire », qu'ils étaient descendus à l'hôtel Lutetia et voulaient le voir, lui, Nicolaïevski, pour faire avancer la question de l'achat des archives de Marx; il répéta en outre - je ne sais d'où il le tenait - que Staline prenait un grand intérêt à l'affaire, que c'était lui personnellement qui était d'avis que ce voyage à Paris ait lieu et avait demandé à Boukharine 2 de prendre part aux conversations, etc. Naturellement - on ne savait trop pourquoi d'ailleurs, - ces conversations pouvaient ou même devaient être menées par l'intermédiaire des menchéviks ou du moins avec leur participation, etc. On ne pouvait s'empêcher de s'interroger : tout cela était-il vraiment si indispensable? Pourquoi l'achat des archives, la participation des menchéviks, l'envoi de Boukharine? Quelqu'un parla de provocation, mais on ne voulut pas s'y arrêter: pourquoi parler de provocation dans une affaire aussi simple? On décida - à l'unanimité, je crois - de donner carte blanche à Nicolaïevski pour aborder le fond de l'affaire. Nicolaïevski se rendit à l'entrevue et dès le lendemain, je crois, fit savoir qu' «ils » demandaient que Dan prît part également aux entretiens ; les visiteurs souhaitaient en effet le voir user de son influence sur les Allemands pour empêcher ceux-ci d'élever des prétentions déraisonnables et de prendre trop cher. Dan accepta l'invitation. Il est fort possible que ce n'ait été là que l'un des éléments des conversations ; en même temps, ou fort peu de temps après, commencèrent en effet les conversations « officielles» par l'intermédiaire de Fritz Adler, secrétaire de l'Internationale socialiste, qui entraîna dans cette affaire Abramovitch et Dan; mais le premier, en fait, ne prit pas part aux entretiens, car, tout comme Wells, il ne souhaitait guère fréquenter les bolchéviks. A la prenuère rencontre, à l'hôtel où vivait Fritz Adler, assistait également Sturmthal, en qualité de secrétaire d'Adler. Je ne sais si c'est en même temps ou immédiatement après qu'eut lieu la rencontre de Dan, en présence de Nicolaïevski, au Lutetia, avec Adoratski, Tikhomirnov et Boukharine. Dan voyait pour la prem~re fois Tikhomirnov et 2. Il va de soi que tout était décidé, ordonné par Staline. Il ne pouvait en être autrement, et il ne saurait être question de demander, en pareil cas. - N.d.l.R. BibliotecaGino Bianco • LE CONTRAT SOCIAL Adoratski ; quant à Boukharine, il le connaissait - quoique non personnellement - depuis longtemps, pour l'avoir vu aux réunions communes de 1917. En tout cas, il n'y avait pas entre eux la même intimité qu'entre Dan et certains autres vieux bolchéviks ; néanmoins, les visiteurs moscovites accueillirent Dan comme un vieH ami, lui offrirent du chocolat et de la bière. Ils lui donnèrent à entendre qu'ils le considéraient comme «des leurs» et lui demandèrent d'agir sur les Allemands, en les priant de réduire un peu leur appétit; on lui demanda même de faire intervenir Blum, toujours pour faire « pression » sur les Allemands. Dan - et plus encore Nicolaïevski, véritablement enthousiaste de cette affaire - eurent l'impression que l'intention des bolchéviks d'acquérir les archives était parfaitement sérieuse, et qu'ils étaient même résolus à aller assez loin pour les avoir à Moscou, tout en essayant d'ailleurs de marchander. Tikhomirnov - et peut-être également Adoratski - firent observer en passant que Staline « luimême » était intéressé par cette affaire, qu'il était au courant des entretiens, et que c'était lui personnellement qui avait insisté sur la nécessité de poser sérieusement la question. On ne précisa pas si Staline savait que ses envoyés devaient recourir à l'entremise des menchéviks russes, mais Nicolaïevski eut comme l'impression que Staline non seulement le savait, mais que c'était lui, dans une certaine mesure, qui était à l'origine de la chose. Dan n'en eut pas l'impression aussi nette, mais lui aussi pensa que sans cela ni Tikhomirnov ni Adoratski n'auraient osé prendre aussi ouvertement contact avec des émigrés. On pria spécialement Dan de demander à Blum d'intervenir, toujours pour faire « pression » sur les Allemands. Dan et Nicolaïevski eurent le sentiment que Tikhomirnov et Adoratski, et peut-être même aussi Boukharine, connaissaient bien mal la nature des relations qui existaient entre les socialistes européens ; ils croyaient en effet que les contacts d' «affaires» entre les sociaux-démocrates allemands et les socialistes français, d'une part (« Tout cela, pensaient-ils, c'est la même bande»), et les émigrés russes, d'autre part, étaient si étroits - sans doute du type «Comintern »... - que Dan, s'il le voulait vraiment, n'avait qu'à « donner des ordres », et l'affaire serait réglée selon le désir des menchéviks russes. En tout cas, Dan et Nicolaïevski étaient de plus en plus convaincus que l'Institut Marx-Engels, et peut-être quelqu'un du gouvernement, et peut-être Staline lui-même, attachaient un grand prix à l'acquisition des archives, encore que les raisons de cette insistance à vouloir se procurer ces documents ne fussent pas complètement claires. A une question quelque peu embarrassante de Dan, Boukharine, qui de toute évidence était profondément pénétré du sérieux de sa mission, répondit, surpris : « Pensez donc, voyons ! Les papiers de Marx ! Nous serions prêts à acheter sa

L. DAN tombe 3 et à la transporter à Moscou ! Alors, vous pensez, les papiers, les manuscrits de Marx ! » Dan arrangea une entrevue avec Blum ; pour cela, un simple contact personnel d' «affaires» était suffisant... Blum proposa simplement de déjeuner ensemble au restaurant, en cabinet particulier. Le repas fut très animé ; on s'efforça d'éviter les problèmes purement politiques et surtout «russes », mais on parla néanmoins du Front populaire et du fascisme en Allemagne. Lorsque Boukharine posa nettement la question de l'intervention de Blum dans les conversations concernant l'achat des archives, afin qu'il essayât de faire «pression » sur les Allemands, Blum se contenta de lever les bras en signe d'impuissance et refusa catégoriquement, en disant qu'il ne voyait même pas comment il pourrait intervenir dans cette affaire, et au nom de quoi il demanderait une réduction du prix. On en resta donc là. Par la suite, Dan se rendit encore une fois au Lutetia, où l'on jeta les bases d'un «projet d'accord» (sans aucune condition politique); Adoratski dit qu'il devait en référer à Moscou et attendre une réponse, probablement par télégramme. En attendant, les bolchéviks décidèrent de rester encore quelque temps à Paris. C'est alors que se produisit l'événement que je veux relater. Je ne voudrais pas en effet que le souvenir en disparût avec moi, et je sais que je suis la dernière personne à le connaître ; les autres : Boukharine, Dan sont morts. Je suis certaine que Dan n'en a parlé à personne, pas même à Nicolaïevski, il eût pourtant été tout naturel que ce dernier fût mis au courant; mais Dan estimait que cela aurait pu être un jour ou l'autre très dangereux pour Boukharine, et c'est pourquoi il n'en parla même pas à Nicolaïevski. Je suppose que Boukharine lui-même a emporté ce « secret » dans la tombe, car il n'en a jamais été fait mention nulle part. Tout récemment encore, au procès Kravchenko, Blumel crut pouvoir dire que Boukharine avait été « châtié » pour avoir pris contact avec Nicolaïevski à Paris (il est étrange d'ailleurs que Blumel 4, en tant que juriste, n'ait pas été frappé par le caractère disproportionné de la sanction prise pour un tel «crime » !) ; mais, apparemment, ses informateurs communistes n'avaient pu lui faire part d'un autre « crime » de Boukharine. Je reviens à l'événement lui-même. Un jour - je ne sais plus la date et ne puis la retrouver, - 3. Ce n'était pas là une "façon de parler•· En 1926, à Paris, E. Préobrajenski fit part à B. Souvarine d'un projet communiste de transférer à Moscou les ossements de Marx qui sont au cimetière de Highgate et se plaignit de l'opposition de Jean Longuet à cette intention stupide. B. Souvarine ae moqua de ces singuliers • matérialistes • et de leur fétichisme, à quoi E. Préobrajenski répondit : • Vous ne pouvez pas comprendre ... • - N.d./.R. 4. Ancien collaborateur de Léon Blum, devenu apologiste de Staline et du stalinisme. - N.d.1.R. Biblioteca Gino Bianco 199 vers deux heures, au moment du déjeuner (j'étais à la maison), j'entends sonner; je vais ouvrir et, à_mon grand étonnement, j'aperçois... Boukhanne. Très troublé, il commença par s'excuser d'être • ,,• •, • A venu sans avorr ete mv1te et sans avorr meme pu prévenir par téléphone; s'il avait décidé, disait-il, de venir bavarder un peu, c'est que «son cœur l'y avait poussé » (je me souviens très bien de cette expression assez insolite et qui m'avait frappée ; nous devions par la suite l'utiliser entre nous, dans « notre » langage) ; personne n'était au courant de sa visite et, pensait-il, personne n'avait à en être informé... J'étais si stupéfaite que je ne pus cacher ma surprise et ne fis qu'aug- ~enter par là l'émotion déjà très vive de Boukharme. · Théodore Ilitch [Dan] ne fut pas moins surpris, mais enfin nous fîmes très sincèrement 00n accueil à Boukharine, et notre conversation fut si cordiale qu'il ne partit que vers huit heures du soir. Au moment où il prenait congé, Dan lui demanda: « Qu'allez-vous répondre, quand on va vous demander où vous êtes resté si longtemps ? » Boukharine répondit ingénument : «Bah, je trouverai bien quelque chose. » Il lui semblait • apparemment tout naturel que l'on pût lui demander, comme à un gamin, où il était allé et qu'il lui fallût trouver quelque chose à dire pour s'en tirer. Le début de l'entretien fut assez délicat : Boukharine était fort troublé, et Théodore Ilitch si étonné qu'il avait quelque peine à se montrer accueillant comme il siérait à un maître de maison. Je sortis de la pièce sous quelque prétexte pour ne pas les gêner, et en effet, lorsque je revins, une heure après, la conversation était très animée. Ils parlaient de Staline, ou plus exactement Boukharine parlait, et Dan, étonné, se bornait à l'écouter. Au moment où j'entrai, Dan disait : «Certes, je connais Staline moins bien que vous ; vous ne pouvez guère me suspecter de sympathie particulière à son endroit, mais tout de même..• Ce que vous pensez et ce que vous dites de lui, je ne pourrais pas, pour ma part, le penser et le dire... » Boukharine, agité, reprit précipitamment : «Justement, vous ne le connaissez pas comme moi, comme nous avons appris à le connaître... Je vous disais l'autre jour que nous irions jusqu'à acheter la tombe de Marx pour la transporter à Moscou... Oui, nous le ferions, et nous irions même jusqu'à ériger un monument, pas très grand peut-être, mais nous le ferions, et à côté nous placerions un grand Staline, par exemple debout et lisant le Capital ou quelque chose dans ce genre... Et Staline aurait un crayon à la main, pour, le cas échéant, prendre quelques notes, enfin, disons, apporter des corrections... Des corrections à Marx!... Vous voyez, vous dites que vous le connaissez peu, eh bien, nous, nous le connaissons. Il est malheureux d'être incapable de persuader tout le monde, y compris

200 lui-même, qu'il est le plus" grand de_ tous, et c'est là son malheur, peut-etr_e le tr3.!-tle pl1;1s humain en lui, peut-être l'uruque tr~t hum~ en lui; mais ce qui n'~st plu~ hum~ en lw, mais proprement diabolique, c est qu il ne peut s'empêcher de se venger de son « m~eur » sur les hommes, et précisément sur ce~ qw sont par quelque côté plus gran~s et me1lleu~s qu~ lui... Si quelqu'un parle ~eux que St~ne, il est perdu : l'autre ne le laissera pas en vie, c3:r cet homme lui rappelle perpétuellement que lw, Staline, n'est pas le premier, ni le meilleur ; si quelqu'un écrit mie1;1xqu~ Staline, _malheur ~ lui, parce que c'est lw, Staline, et lw seul, q~t doit être le premier écrivain russe. M~, _évidemment, n'a plus rien à redouter de lut, smon peut-être d'être présenté aux ouvriers russes comme inférieur au grand Staline... Non, non, Théodore Ilitch, c'est un individu mesquin et méchant ; non, ce n'est pas un homme, c'est le diable... » Jamais je n'oublierai l'expression de Bou~arine à cet instant : la peur et la colère avaient complètement déformé son visage, habituellement empreint de bonhomie. Lorsque Dan, complètement bouleversé, lui demanda comment il se pouvait alors que _dans un tel état de choses, et en portant wi tel Jugement sur Staline, Boukharine et les autres communistes pussent croire aussi aveuglément à. ce diable et à son destin, et au destin du Parti et du pays, Boukharine s'émut, changea tout de suite de visage et dit : « Vous ne comprenez pas, c'est tout à fait différent, ce n'est pas à lui que l'on fait confiance, c'est à l'homme auquel le Parti a accordé sa confiance 5 ; il se trouve désormais qu'il est comme le symbole d? Parti ; l~s humbles, les ouvriers, le peuple croient en lut ; peut-être est-ce notre faute, mais enfin c'est un fait, et voilà pourquoi nous nous précipitons tous dans sa gueule en sachant à-coup sûr qu'il nous dévorera. Lui aussi le sait, et il se contente de choisir le moment le plus favorable. » A ce· moment, je ne pus me retenir d'intervenir : « Mais alors, dans ce cas, pourquoi vous, maintenant, retombez-vous dans sa gueule? Pourquoi retournez-vous là-bas? » Je me rappelle la perplexité naïve qui éclaira 1~ visage de Boukharine. Il fit un geste de la main, presque de dépit, et dit : « Comment ne pas rentrer? Moi, devenir un émigré? Non ; vivre, comme vous, dans l'émigration, cela, je ne le pourrais pas. Non, il arrivera ce qui arrivera... et pe~t:êtr~ qu'il n'arrivera rien du tout. » Et auss1tot 11 ajouta précipitamment, en ,s'adress~t à T~éodore Ilitch : « Tenez, Theodore Ilitch, s1 le - 5. A noter que Khrouchtchev et consorts donneront la même explication vingt ans plus tard. Or ce sont les Boukharine et les Khrouchtchev qui ont forgé les mensonges auxquels Staline devait la confiance du. Parti, mais ~u Parti purgé de ses élites, de ses cadres conscients, du Parti transformé en troupeau docile et soumis. - N.d.l.R. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL fascisme se déchaîne ici, allez tout droit à notre ambassade : là, on vous abritera. » Ce fut alors au tour de Dan de s'étonner des propos de Boukharine, de sa naïveté et de son manque du sens des réalités. « Que dites-vous l~? Nicolas Ivanovitch? Vous avez sans doute oubhe que je suis déchu de la. cito~elll}eté sov!é~qu~, et que par conséquent Je dots. e~re fus.i!l~ des que j'aurai mis le pied _en_temt~~~ sov1et1que; or l'ambassade est temtoire sov1etique... » Cette objection p~ut n~ pas ê!re !rès , ~ien comprise de Boukharme qw repo~dit tres _ser1eusement : « Allons, Théodore Ihtch, qui. d<?nc prend cela au sérieux, cette histoire de pr1vat1on de citoyenneté ! » Nous parlâmes d'autre chose... Ce fut ain~i que nous nous séparâmes, ~ans nous être. parfaitement compris. Boukharme nous qwtta en regrettant qu'un homme de la capacité_de Dan restât « inutilisé », et nous, nous sentions que nous nous séparions pour toujours d'un homme droit, mais déjà condamné. Puis ce fut l'époque des grands procès, et notamment celui de Boukharine. Au nombre des accusations formulées contre lui, nous attendions avec appréhension ~e voir fig~er. c~lle d'avoir tramé de noirs dessems avec les em1gres; il lui aurait été impossible de nier _le _simple fait de notre rencontre, et toute explication de sa part eût été dès lors accueillie avec méfiance et n'aurait pu que renforc<:r l~s autres accusations, lès plus absurdes. Mais bien que le~ autorités aient certainement été, à tout le moms, a\1 courant des rencontres et des conversations du Lutetia entre Boukharine et son équipe d'une part, et d'au~re part Ni~olaïevski ~t Dan, il, n'en fut pas question au proces, et ce n est que recemment bien des années après, que Blumel mentionn; les rencontres avec Nicolaïevski. Aujourd'hui encore, quelq~e chose reste J?OUr moi une énigme : pourquoi les commurustes (et peut-être Staline lui-~ême, car sans ~on intervention ou tout au moms son accord tacite, il n'y aurait eu ni rencontres, ni conversatiOJ:?-S, ni mission) eurent-ils besoin ~e toute cette histoire? Si c'était une provocation, comme beaucoup d'entre nous le pensèrent, pourquoi n'a-t-ell~ pas été exploitée jusqu'au bout et pourquoi n'en a-t-il pas été fait mention au cours du procès 6? Quant aux conversati?ns. concern~t l'achat des archives de Marx, mutile de dire que les communistes soviétiques, à ma connaissance, ne cherchèrent jamais à les reprendre, sous quelque 1forme que ce soit, et que toutes ces 6. L'explication est pourtant simple : lors du procès de 1938 Staline recherchait l'alliance avec les socialistes et avec' toutes les forces politiques opposées à Hitler. Il ne pouvait donc mêler Dan et Nicola!evski, pas_pl~s que Léon Blum et Fritz Adler, à son horrible machination pseudojudiciaire. - N.d.l.R.

L. DAN archives se trouvent toujours aux mains de la social-démocratie allemande 7 • Paris, été I949. Tout récemment, en novembre 1949, j'ai eu l'occasion de parler de cette affaire à Fritz Adler, auquel je montrai une traduction de ces notes. Adler se rappela fort bien toute l'histoire, à laquelle il avait été quelque peu mêlé. Il me rappela que lui aussi avait pris part aux conversations, car les sociaux-démocrates allemands, et en particulier Wells, voulaient à tout prix éviter un contact direct avec les représentants soviétiques. C'est pourquoi ils l'avaient invité, en sa qualité de secrétaire de l'Internationale à l'époque, à les représenter dans ces conversations. Ainsi avait-il pris part à un voyage par avion à Copenhague où étaient alors conservées ces archives, car les Soviétiques voulaient prendre connaissance des documents d'après les originaux, et non pas seulement sur inventaire. Nicolaïevski (en qualité d' « expert »), Boukharine et Adoratski étaient également du voyage. A cette occasion, Adler passa toute une journée avec Boukharine. Selon Adler, Boukharine prenait un très vif intérêt à n'importe quelle conversation ; il alla jusqu'à dire : « Vous savez, c'est avec plaisir qu'au lieu de cette affaire je discuterais avec vous d'autres questions. » A quoi Adler, qui ne pouvait se défaire de l'impression que toute cette histoire n'était qu'une provocation dirigée contre Boukharine, répondit fort discrètement : « Non, d'abord les affaires, ensuite l'agrément ... » Si tout cela n'était en effet qu'une provocation dont Boukharine devait être la victime, on comprend peut-être dès lors pourquoi Dan avait été impliqué dans l'affaire, et pourquoi on avait tenté d'y entraîner également Blum. Si, dans la pensée de quelque « diable », tout cela devait un jour être présenté comme une action criminelle ou un complot, la présence de Dan et de Blum aurait pu être d'une importance fatale et servir de base à une accusation de complot à l'échelle internationale ... LYDIA DAN. ( Traduit du russe) Comment les archives social-démocrates ont été sauvées En 1933, quand aucune illusion n'était plus ec:rmise sur ce qu'on pouvait attendre d'Hitler, J'écrivis de Paris une lettre à B. Nicolaïevski (qui vivait alors à Berlin) pour lui demander si toutes mesures nécessaires avaient été prises afin 7. Erreur de Lydia Dan : les archives sont • l'Institut international d'Histoire sociale, à Amsterdam. - N.d.l.R. Biblioteca Gino Bianco 201 de mettre les archives de la social-démocratie allemande et celles du R.S.D.R.P. hors d'atteinte des nazis. (J'avais fait connaissance avec B. N. sous l'égide de D. Riazanov, alors que nous étions correspondants de l'Institut Marx-Engels, l'un à Berlin, l'autre à Paris. Plus tard, nous travaillâmes ensemble pour l'Institut d'Histoire sociale d'Amsterdam. Nous avions en commun le goût des recherches historiques et le souci de la documentation en matière de sciences sociales.) A ma grande surprise, B. N. me répondit qu'aucune précaution n'avait été prise, que l'immeuble du Parteivorstand était sous surveillance des nazis, qu'il n'y avait plus rien à faire pour sauver les archives. Tout en blâmant dans mon for intérieur ce que je considérais comme la passivité impardonnable des social-démocrates, j'écrivis de nouveau à B. N. pour exprimer mon étonnement devant ce fatalisme et formuler l'opinion que tout n'était peut-être pas perdu, qu'il fallait tenter quelque chose. B·.N. me répondit que si je pouvais prendre une initiative à cet égard, il en serait fort heureux, mais que, quant à lui, il ne voyait pas ce qu'on pourrait entreprendre en de telles circonstances. (Cette correspondance a été saisie par les nazis lors de l'occupation allemande en France. Je ne puis donc citer les termes exacts mais je rends bien le sens, resté très présent à mon esprit.) Je me rendis alors chez Anatole de Monzie, qui m'accordait grande estime et confiance, qui s'intéressait vivement aux questions sociales, aux affaires russes, au marxisme, etc., et je lui exposai le cas en soulignant l'importance de ces archives qui contenaient, d'une part, les papiers de Marx et d'Engels, et, d'autre part, une documentation unique sur l'histoire du bolchévisme et du menchévisme. De Monzie était certainement le seul homme politique en France capable à la fois de comprendre immédiatement l'intérêt de la chose et de prendre une décision sans s'embarrasser d'aucune considération secondaire, capable vraiment de joindre l'acte à la parole. Il n'hésita pas un instant et, posant sa main sur le téléphone, me dit à peu près textuellement: « J'appelle François-Poncet à Berlin et je lui dis que ces archives sont à nous. Je vais aviser Julien Cain que vous irez voir de ma part et à qui vous expliquerez l'affaire 'en détail. Nous dirons aux Allemands que ces archives sont acquises par la Bibliothèque nationale. L'essentiel est d'empêcher leur destruction. Ensuite, nous verrons. » Ainsi fut fait. Je rendis compte de ma démarche à B. N. af rès avoir causé avec Julien Cain et le reste de 1 opération incomba à B. N. de concert avec l'ambassade de France à Berlin. Plus tard, B. N. m'écrivit : « Il y a aussi les archives du Bund ». Je répondis en substance : « Cela ne

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