Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

134 Il faut croire qu'à la longue certaines évidences s'imposent néanmoins, car le Monde du 7 avril écrit que « le conflit avec Pékin, que plus personne n'ose désormais qualifier d'idéologique puisque, comme le soulignent entre autres les observateurs yougoslaves, il s'agit bel et bien de l'affrontement de deux grandes puissances » (précisons : de puissances impuissantes à mettre leurs menaces à exécution et leurs théories en· pratique). A la même date, le New York Times publiait un long article qui contredit tout ce que son auteur avait écrit sur le sujet durant les années précédentes, notamment en soulignant que « maints éléments entrent dans la dispute et l'exacerbent, mais le fond est une lutte pour le pouvoir, l'influence et le prestige dans le monde. Au niveau personnel, la lutte est entre Khrouchtchev et Mao Tsétoung (...). Les nationalismes rivaux ont rompu ce qui s'avérait être les liens fragiles de l'unité idéologique que les deux côtés prétendaient pendant les années 50 devoir garantir une amitié éternelle. » Le Monde encore admettait le 6 mai : « Ce qu'on pressentait dès le début apparaît avec clarté : la querelle " idéologique " est, somme toute, secondaire. La véritable bataille est politique : c'est une lutte d'influence. » Ainsi l'aveu de Zinoviev sur l'invention du trotskisme, « il s'agissait d'une lutte pour le pouvoir », demeure actuel. · En ce combat douteux, et sans issue prévisible, les Chinois font preuve d'une agressivité effrénée, parfois par Albanais interposés, tandis que les Russes et leurs subalternes ne se départissent pas d'une attitude conciliante, sans doute affectée, comme si de nouveaux palabres entre frères ennemis pouvaient réparer l'irréparable. Les allusions de Khrouchtchev au « parfait imbécile», au « sorcier suprême », n'empêchent pas de renouveler constamment les invites à une conférence impossible, cependant que les injures sanglantes de Mao s'accompagnent d'un optimisme de façade quant au caractère « provisoire » du conflit et à « l'unité » devant laquelle tremblent les impérialistes. A la vérité, une conférence générale des communistes apparaît inconcevable avec les Chinois et sans objet en leur absence. Si certains partis communistes se prononcent pour, et d'autres contre la réunion d'une conférence internationale, profitant d'une marge étroite d'appréciation accordée d'en haut, c'est que cela ne tire pas à conséquence, et précisément parce que la crise n'a rien d'idéologique. Les héritiers de Staline ne sauraient conférer sur des idées et ils perdraient la face en confrontant, comme il . est dit plus haut, « des ambitions vulgaires et des rivalités inavouables ». • A la dernière proposition soviétique de reprendre la discussion en vue de préparer une future conférence, les Chinois ont répondu le 7 mai avec une insolence extrême qui ne permet aucun doute quant à leur volonté de poursuivre un travail de sape et de mine dans le « camp » pseudo-socialiste. Il faudrait, selon eux, quatre ou cinq ans Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL « ou même davantage » pour la seule « préparation », rebuffade cinglante qui laisse imaginer leurs intentions perfides. Jamais les « impérialistes» pusillanimes n'ont osé s'adresser au Kremlin sur ce ton. Une autre insolence chinoise sans précédent a passé inaperçue en Occident,. mais mérite qu'on s'y arrête : elle a trait au « prétendu rappel », comme . dit Souslov, des spécialistes soviétiques qui travaillaient en Chine. Dans une lettre presque suppliante du 29 novembre I 963, le Comité central de Moscou adjurait le parti frère de « laisser le temps faire son œuvre » et, en gage de bonne volonté, offrait « d'envoyer des spécialistes en Chine si celle-ci le juge nécessaire». A quoi Pékin a répondu effrontément que si l'Union soviétique elle-même a besoin de spécialistes, la Chine est disposée à les lui fournir. Si impudente que soit la réplique, elle devrait clore· les spéculations déchaînées sur ce chapitre mineur. D'après le correspondant de l'agence France-Presse à Pékin, dont les renseignements viennent par force de source officielle chinoise, « le rappel soudain de 1.390 techniciens et conseillers soviétiques, en été 1960, aurait porté à l'économie chinoise, prétend-on maintenant, un coup sérieux en traître » (N. Y. Times du 30 mai). Qui croira que 1. 390 spécialistes de plus ou de moins sont d'une importance vitale dans un ensemble aussi vaste que l'économie chinoise? Souslov affirme, dans son long factum, que la Chine a volontairement réduit les « échanges économiques et culturels », et que malgré cela !'U.R.S.S. « continue aujourd'hui encore à construire 80 entreprises industrielles ; des ingénieurs, des techniciens, des savants et des étudiants chinois continuent comme auparavant à faire des stages et à étudier en U.R.S.S. ». Sur ce point, Mao et consorts, si prompts à mentir et à démentir, ont gardé le silence. Il serait donc sage de ne pas s'exagérer l'intérêt de controverses aussi dérisoires. Il reste que l'Etat absolutiste s'identifie au Parti unique dans les pays soumis au communisme et que les deux Etats, le soviétique et le chinois, sont engagés sur la scène internationale dans une sorte de guerre froide qui concerne aussi la politique extérieure de ~ous les pays. Dans la mesure où leurs affaires sont nos affaires, où il importe donc d'y comprendre quelque chose, on se gardera de vaines références à des phantasmes idéologiques alors que les « sans-scrupules conscients » de Moscou dénoncent âprement 1~ « marxisme à la chinoise » (sic) et que ceux de Pékin• anathématisent sans merci le pouvoir soviétique coupable, à leur avis, de « s'allier avec les forces de guerre pour s'opposer aux forces de paix, s'allier avec l'impérialisme pour s'opposer au socialisme (...), s'allier avec les réactionnaires . des différents pays pour s'opposer aux peuples du monde ». De telles insanités ne sont pas à prendre au tragique. B. Souv ARINE.

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