QUELQUES LIVRES quand le P.C. participait au gouvernement et qu'à ses yeux son application faisait « le jeu des trusts». Il ne reste rien de ce principe quand l'auteur reconnaît que cc les organisations syndicales sont la courroie de transmission » entre le parti et les masses (p. 249). On aurait aimé qu'il en tire toutes les conséquences pour le présent et l'avenir du syndicalisme français. En attendant, il fait une remarque pertinente: la préoccupation gestionnaire n'intéresse que les cadres et ouvriers déjà intégrés à l'entreprise, non la masse flottante qui aspire seulement à un meilleur salaire. Il en déduit, ce qui paraît juste, mais pour une tout autre raison, l'impossibilité actuelle de l'unité syndicale. Celle-ci est impossible non parce que le syndicalisme à prétention. gestionnaire s'opposerait au syndicalisme dit revendicatif, mais parce que la C.G.T. est sous l'étroite dépendance du P.C., dont personne n'ignore les moyens et les buts politiques. Quant à l'auteur, il subordonne l'unité syndicale à « l'absorption progressive des ouvriers traditionnels dans le secteur moderne» (p. 259), autrement dit à la disparition de ce que nous - continuons d'appeler, faute de mieux, la classe ouvrière. Mais à cette époque, sans doute lointaine, s'intéressera-t-on encore à l' «unité syndicale»? Deux autres monographies complètent celle sur les usines Thomson-Houston. La première, vieille de cinq ans, concerne l'ancienne entreprise Bull. Fabriquant des machines-comptables et des ordinateurs électroniques, en quoi cette entreprise, dont la raison comme...:cialeest de développer chez les autres l'automatisation, est-elle à l' cc avant-garde du progrès » technique? On y trouve naturellement d'importants cadres qualifiés où la promotion est souvent rapide, même pour des autodidactes, mais aussi, dans les usines de province, un grand nombre d'O.S., généralement des jeunes filles à peine sorties des fermes familiales, mal payés pour un travail répétitif, aussi monotone que traditionnel. Où est donc en ce cas la « nouvelle » classe ouvrière ? Des citations de Marx ou de Lénine (sur le capital financier...) ne suffisent pas à nous convaincre de l'intérêt de cette étude, peut-être déjà périmée, et certainement étrangère au but que se proposait l'auteur. La seconde· monographie nous conduit dans une raffinerie de pétrole, entièrement automatisée depuis plusieurs décennies, la Caltex, située sur la Gironde. Le personnel, peu nombreux, est divisé en opérateurs, qui surveillent. le pro-. cessus chimique, et en équipes d'entretien et de réparation. Un travail, exigeant une responsabilité, une politique généreuse d'aide sociale et de logement, la sécurité de l'emploi et enfin des salaires de 30 % supérieurs à ceux de la région bordelaise, ont pour effet d'intégrer le personnel à l'entreprise. M. S. Mallet décrit une sorte de «grève» perléeau cours de laquelle le principal souci des Biblioteca Gino Bianco 185 syndicalistes est d'éviter que les navires pétroliers ne soient déroutés vers des raffineries concurrentes. Dans cette entreprise fondée avec des capitaux américains, le syndicat (cégétiste) est considéré comme le partenaire normal d'une direction qui cède ·d'autant mieux aux revendications que la masse des salaires et des charges sociales ne représente que 4,2 °/4 du chiffre d'affaires. Lénine, en son temps, méprisait cette aristocratie ouvrière et bien que l'auteur, en d'autres pages, aime à se couvrir de son autorité, il le réfute implicitement en affirmant que la cc conscience de classe» est plus développée à la Caltex que partout ailleurs. Cette « conscience s'épure de ses aspects sentimentaux, écrit-il. Elle n'est plus que l'expression froide et méthodique d'un certain rapport juridique intégré dans un organigramme de production » (p. 171). Autrement dit, cette « conscience de classe » ne se mesurerait plus à la violence ou à l'intensité des luttes qui la déterminent. Elle serait en quelque sorte institutionnalisée au niveau de l'entreprise. En fait, les ouvriers de la raffinerie sont liés consciemment au sort économique de la firme ; ils reconnaissent que sa prospérité est la condition de leur niveau de vie et paraissent s'intéresser vivement à sa politique économique. Comme le remarque justement M. S. Mallet, le syndicat d'entreprise a peu d'affinités avec la C.G.T. à laquelle il est affilié; il paraît davantage s'inspirer des pratiques des syndicats américains, tandis que le syndicalisme traditionnel « risque de ne plus s'appuyer que sur la fraction la plus arriérée de la classeouvrière »(p. 176, souligné par l'auteur). C'est jouer sur les mots; car cela revient à dire que les cadres et les techniciens sont la fraction «avancée » de la classe ouvrière. N u1 n'ignore que l'immense majorité des cadres et techniciens n'entend pas être confondue avec la classe ouvrière au sens strict et classique du terme ; de nombreux ouvriers aspirent à voir leurs enfants sortir de leur condition ouvrière pour devenir cadres ou techniciens. La «nouvelle classe ouvrière» de M. S. Mallet n'est pas autre chose que la classe moyenne salariée, qui grandit plus vite que toutes les autres classes sociales dans la société industrielle. Mais cette classe moyenne est beaucoup plus hétérogène que la classe ouvrière stricto sensu. En outre, le hiatus est plus profond entre le technicien et l'.O.S. qu'il ne l'a jamais·été entre le professionnel et le manœuvre. Cela limite les possibilités d'influence mutuelle et, partant, le minimum de solidarité sans lequel le concept de classe reste une abstraction sociologique. Les récents mouvements de grève, sauf exception remarquable, montrent que la participation des cadres n'apparaît que dans la mesure où leur propre sort est en cause, soit qu'ils jugent leur condition mauvaise relativement à d'autres emplois équivalents, soit qu'ils craignent, comme dans les houillères, pour l'avenir de leur fonction, étroitement liée à l'avenir de leur industrie.
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