Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

184 l'électronique, doit procéder à de gros investissements « intellectuels » et posséder des bureaux de recherches occupant des milliers de techniciens o!-1d'ingénieurs. L'Etat, en tant que client princ!pal, est un solide débouché, outre qu'il subventi~~~ en partie l~s recherche~ utiles à ses projets militaires. Cela aJoute à la situation particulière de l'entreprise. L'importance numérique et intellectuelle des cadres techniques est telle que l'on conçoit qu'elle domine l'activité sociale. Les 01!-vriersmêmes, professionnels hau~ement qualifi~s, ne sont pas cette masse productive constituée ailleurs par les O.S. de fabrication, mais jouent le rôle d'auxiliaires de la création technique. D'o~ des rel~tions hiérarchiques originales apparentees en fait à celles des laboratoires universitaires où collaborent, souvent dans une intimité de chaque instant, le « patron » et ses assistants. D'où ce phénomène socialement paradoxal: les grèves ou co1:1flits ont suscités et dirigés, non par les ouvriers de la base, mais par les cadres techniques. Pour ceux-ci, les désordres administratifs et organiques de l'entreprise constituent des facteurs de révolte plus importants que le niveau des salaires. Les ingénieurs s'opposent p_arofis à la direction des capitalistes ou des financiers au nom de leur propre compétence en matière d'organisation ; attitude qui confirme les thèses classiques et déjà anciennes de Thorstein Veblen, lequel mettait l'accent sur l'antagonisme entre la direction technique et la domination capitaliste dans les entreprises américaines. Ces cadres adhèrent de préférence à la C.F.T.C., non pour des raisons confessionnelles mais pour ses tendances technicistes et constructives, et aussi «par le fait qu'elle n'est pas liée au passé» (p. 223). Mentalité typique de techniciens et surtout de techniciens engagés dans une industrie d'av~t-garde se déte~minant non d'après des traditions ou des senttments, mais en fonction d'impératifs professionnels et scientifiques~ En dessous de ces cadres, l'auteur nous décrit les «agents techniques », dont quelques-uns adhèrent à la C.G.T. pour des raisons strictement politiques (compagnons de route, chrétiens progressistes, etc.), mais qui sont attirés vers la C.F.T.C. par l'importance qu'on y attribue à la promotion sociale. Celle-ci n'est pas un slogan abstrait dans le cas d'une industrie nouvelle à laquelle les écoles préparent insuffisamment et où, par conséquent, nombreux sont les autodidactes. La plupart de ces cégétistes d'occasion seront exclus par les responsables communistes de la C.G.T. qui, non sans- quelque raison, les . soupçonnent de tendances «révisionnistes». Parmi ces cadres et techniciens, M. S. Mallet croit discerner une aspiration à une gestion technique et sôciale de l'entreprise, capable d'échapper aux pressions capitalistes exercées par les banques d'affaires. Là encore, on retrouve !es ana!yses de Veblen.,.L'aspiration à la gestion mdustrielle ne peut naitr~ que dans un milieu où la compétence technique se heurte à une Biblioteca Gino B-ianco LE CONTRAT SOCIAL direction qui lui est par principe étrangère. Thème saint-simonien cher aux conférenciers de la rue Taranne s'en prenant au « parasitisme capitaliste » aux environs de 1830. Ces cadres· sont parfaitement intégrés à l'entreprise dont ils ont conscie)llced'être l'armature essentielle, sinon la raison d'être. Tout autre est la psychologie de l'ouvrier professionnel, attaché à la fabrication. Si une petite couche d'entre eux, hautement qualifiée, est intéressée par la possibilité d'une promotion la ~e.tt:int a? ~v~au des agents techniques, la maJorite est mddferente au caractère de l'entreprise. Ne redoutant pas le chômage, elle travaill~rait ,n'importe o~ de la même -façon. Seul lui tient a cœur le ruveau des salaires. C'est parmi e~e _q~e,la ~:G·!· r~cru~e ses militants les plus disciplines; 1mtegratton a l'entreprise, les espoirs d'un contrôle de la production ne présentent pour eux qu'un intérêt secondaire. Néanmoins l'auteur n~us décrit une tentative de rapproche~ ment syndical entre les cadres et les ouvriers sous " la forme d'un comité intersyndical créé en 1957 où dominait l'influence de la C.F.T.C. Ce comité foncti<?nnait comme un syndicat unique, un «_syndicat.maison», assez indifférent aux politiques nationales des deux confédérations. Unité «sur le tas », suivant le jargon des communistes mais unité qui leur déplaisait dans la mesure ob la C.G.T. et le P.C. ne pouvaient l'utiliser pour s'adresser directement aux salariés. Il semble que la manifestation politique du 27 octobre 1960 en faveur de l'Algérie, manifestation réprouvée par le P.C. et la C.G.T., ait servi de prétexte pour _couler ce comi!é. Les permanents locaux mtervmrent pour le denoncer et le briser. Comme d'habitude, le comité fut accusé d'un crime inexpiable : il recherchait une cc collaboration de. classe », une cc ~tégratio~ dans le régime capitaliste ». Accu~a1:J.<?cnl.assiqu~ d'un . parti qui redoute toute rmtiative et meme toute opinion qui n'a pas reçu l'accord de la direction. Les ingénieurs et cadres cégétistes en arrivèrent à dénoncer publiquement l'attitude du P.C. (novembre· 1960). L'auteur affirme qu'entre les militants des deux centrales apparaît une divergence profonde concern~t les moyens et les buts du syndicalisme. Selon lw, les syndicalistes chrétiens cherchent à acq?ér~ de~ posi~ons de, force dans lé système capitaliste ; ils croient à l avènement d'un cc capi- ~talismed'organisation » où syndicats et directions d'entreprise seraient sur un plan d'égalité dans un sys!è!lle de « pla~cation démocratique »; les cegetistes, au contraire, repousseraient toute intégration corporative et érigeraient en principe la « lutte de classe». Nul doute que les militants de la C.F.T.C. n'agissent selon leurs convictions . idéologiq~es, m~s n'y a-t-il pas quelque naïveté ou rouene à voir dans les tactiques capricieuses de la Ç-~;T. autre ch~se qu'un moyen d'aider aux acttvites momentanees du P.C.? Le principe de la lutte de classe était pn>prement enterré ,.

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