r Qf]ELQUES LIVRES Ce qui lui permet de mettre l'ingénieur· et le manœuvre sur le même plan social et, en définitive, de reporter sur le premier la mission historique que l'on attribuait généreusement au second. M. S. Mallet entreprend une histoire du syndicalisme suivant un schéma linéaire qui fait appel exclusivement à l'évolution des techniques de production, à l'exclusion de toute influence sociale et politique. Cela l'empêche d'expliquer pourquoi, dans des pays parvenus à un degré d' évolution économique identique, les structures, les .politiques syndicales ont été si différentes. Même en admettant son point de vue, on doit constater qu'il prend de grandes libertés avec les faits. Selon lui, dans la période précédant 1906, « la formation du capitalisme industriel français a été foudroyante» (p. 35). La vérité, bien au· contraire, est que la France en est encore au stade artisanal : 60 % des travailleurs sont dans des entreprises comptant moins de dix salariés, 72 °/4 dans des entreprises comptant moins de cinquante ouvriers. La métallurgie, base du capitalisme industriel, ne groupe que 13 % des salariés, tandis que le textile et le vêtement en rassemblent 40 %- C'est, en 1906, la situation de l'Angleterre en 1850... L'auteur dit encore que le taux de syndicalisation était très élevé (p. 33), alors qu'avant 1914 la C.G.T. groupait moins de 10 % des salariés de l'industrie et du commerce. L'auteur affirme qu'avec le développement des machines automatiques, « l'insécurité devient le lot permanent de la majeure partie de la classe ouvrière» (p. 39), et que le terme de « prolétariat » a remplacé à notre époque celui de « monde ouvrier » (p. 40). Connaît-il l'histoire ouvrière du xixe siècle ? Il nous apprend que l'O.S. (manœuvre sur machine) s'intéresse plus à la politique qu'au syndicat, que les Unions locales ont pris beau_- coup d'importance ces dernières décenajes, alors que tout le monde se plaint de leur dépérissement. Il néglige, ce faisant, des facteurs importants comme la répression patronale, le chômage total ôu partiel; les scissions syndicales et leur politisation absurde et néfaste par le P. C; Il passe sous silence la stratégie communiste quand il dit que le mouvement syndical va réclamer la « prot.ection » des partis politiques. Lorsqu'il affirm~, ce qui est vrai de l'actuelle C.G.T., que le syndicalisme n'élabore pas de programmes économiques (p. 43), il oublie que le seul programme économique élaboré dans le pas~é a é~é 1~plan d_el'ancienne C.G.T. et qu'auJourd hm la mise en place par les syndicats libres d'org~nismes paritaires répond à une politique économique modeste en apparence, mais cphérente. L'auteur nous affirme que la qualification professionnelle dans les mines est « inexistante » (sic, p. 46), que la .scission F.O. en 1947 a été réalisée « pour rendre possible l'alliance atlan~que » (p. 47), q!le les machines-transfert des usmes Renault contribuent à« une véritable négation dialectique de la parcellisation du travail » (p. 49), négation si « dialecBiblioteca Gino Bianéo 183 tique» qu'elle a pour effet d'augmenter encore cette parcellisation en supprimant un grand nombre de manipulations. Après avoir souligné quelques partis pris ou ignorances de l'auteur, venons-en à sa thèse principale : l'intégration actuelle des ouvriers à l'entreprise. A cela, il distingue trois causes : le type de salaire, la formation professionnelle, la sécurité de l'emploi. Ces causes peuvent certes jouer, mais très relativement. D'autres s'y ajoutent, au moins aussi importantes : l'implantation d'entreprises dans des régions non industrielles, la difficulté de changer de logement, la politique favorisant l'ancienneté, sans parler du «paternalisme » traditionnel. Mais cette intégration de fait ne signifie pas obligatoirement une intégration morale, un «patriotisme » d'entreprise ; elle peut être la conséquence d'une acceptation résignée. L'intégration souhaitée par M. S. Mallet n'aboutira-t-elle pas à un égoïsme corporatif qui atomise en fait le mouvement syndical, l'autogestion, qui pourrait en être la conséquence à plus ou moins longue échéance, développant ce que l'on nommait ·dans la Catalogne révolutionnaire de 1936 le «capitalisme ouvrier », l'instinct possessif l'emportant sur la classique solidarité sociale? Les enquêtes de l'auteur l'amènent à conclure que les syndiqués préconisent la« gestion ouvrière ». Ce fut assez génér2.l au lendemain de la guerre, dans les entreprises mises sous séquestre. Les rares expériences tentées ne furent pas· des réussites, et aujourd'hui on n'a guère le sentiment que les syndicats s'intéressent à de tels projets. Le voudraient-ils d'ailleurs que, dans l'état où ils se trouvent, avec les zdhérents dont ils disp:,sent, ce ne serait qu'un « slogan » à aspect révolutionnaire sans prise sur le réel. M. S. Mallet consacre sa plus importante monographie 2,ux salariés de la Thomson-Houston. Son an::tlyse, minutieuse parfois, insiste. sur les différenciations sociales comme sur les motivations diverses qui animent l'~.ction des salariés. Monographie fort instructive, mais qui ne saurait être généralisée à l'ensemble des entreprises dites « modernes ». Ce qui prédomine à la Thomson, c'est la technique, particulièrement dans le groupe « électronique» de Bagneux. Sa composition sociale en dépend étroitem~nt: 17 % d'employés, 15 % de cadres, 37 % de techniciens, 31 % d'ouvriers. Pas de manœuvres, les postes d'O.S. tenus par les femmes ne représentant que 12 % de l'effectif ouvrier, soit 3,7 % de l'ensemble des salariés. En ~ettant de côté les employés, on constate que 80 % du personnel sont composés de techniciens ou d'ouvriers qualifiés. Peut-être est-ce là la structure sociale d'un département d'outillage dans une usine de construction mécanique, mais certainement pas celle d'une usine faisant une fabrication de série. La Thomson, créant des prototypes dans le domaine nouveau et sans cesse renouvelé de •
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==