Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

178 En passant, l'auteur fait justice de la thèse de la « paupérisation absolue », si amplement répandue voici une dizaine d'années par l'agitprop communiste et illustrée par des chiffres inventés de toutes pièces dans le Manuel d'économie politique publié en 1954 à Moscou. Il écrit (t. I, p. 179) : La « théorie de la paupérisation absolue du prolétariat» ne se trouve pas dans l'œtivre de Marx. Elle lui est attribuée par des adversaires politiques, avant tout par le courant «révisionniste» dans le parti socialdémocrate allemand [avant 1914]. Il est pour le moins paradoxal que toute une école, se réclamant du marxisme orthodoxe, ait cru nécessaire de reprendre à son compte cette « théorie de la paupérisation » et de la défendre avec acharnement et mauvaise foi, jetant le discrédit sur la théorie marxiste. Cette « école », l'auteur l'appelle par son nom : c'est celle de Moscou. Il a soin de présenter avec clarté la véritable théorie marxiste du salaire, liée à l'accroissement de la productivité du travail, lequel a « un effet contradictoire sur les salaires ». C'est là l'un des aspects les plus complexes de la théorie -marxiste, du fait de la multitude des facteurs qui tantôt se conjuguent et tantôt s'opposent, et il faut vraiment avoir lu le Capital d'un bout à l'autre pour l'exposer comme le fait M. Ernest M1ndel. Devant l'impossibilité de résumer pareil ouvrage, bornons-nous à quelques remarques. L'auteur expose la différence établie, dans le Capital, entre le travail productif et l'improductif; mais il eût été intéressant, croyons-nous, d'indiquer que la pensée de Marx était flottante sur ce point, ainsi qu'il ressort des contradictions entre certaines affirmations du livre II du Capital et de nombreux passages de l' Histoire des doctrines économiques 2 • A signaler encore la démonstration par laquelle M. Mandel rattache la théorie marginaliste de la valeur à la théorie ricardienne de la rente foncière : Partir de la manière dont cette dîme [la rente fot:- cière] est exigée pour en faire une théorie générale è. e la répartition des revenus nés dans le processus de production constitue une grave faute de logique (t. I, pp. 367-68). M. Mandel expose avec beaucoup de clarté les problèmes posés par les fameux schémas de reproduction du livre II du Capital. Il les actualise même en les reconstruisant pour tenir ·compte de l'économie de guerre (p. 414) qui, à partir d'un moment donné, aboutit à une perte de substance _ telle que l'accumulation fait place à la désaccu- ✓ · 2. T. II, édition Costes. 3. Dans son Accumulation, Rosa Luxembourg avait déjà construit un schéma spécial en tenant compte de l'industrie de guerre, mais c~était en 1913 ... ·L'expérience de deux guerres mondiales permet de mieux poser le problème, ce que fait M. Mandel. Il use à ce propos du terme « reproduction rétrécie», qu'il ·oppose à la « reproduction élargie». Au lendemain de l'autre guerre, Boukhar~e employait l'expression« reproduction élargie négative »,,tandis que Robert Louzon p~rl~it de « désaçcumulation ». Cf. à ce sujet, dans la Vie ouvrière, la controverse entre Robert Louzon, Marcel Ollivier et Lucien Révo (1923). ·· Biblioteca Gino s-■anco • LE CONTRAT SOCIAL mulation 3 • Sans importance pratique pour l'économie occidentale, ces schémas ne -seraient pas ._ à négliger dans une étude des problèmes que le surarmement pose aux maîtres du Kremlin. · La péréquation du taux de profit, la transfor'."'. mation de la valeur en « prix de production-», trouve dans cet ouvrage la place qu'elle mérite puisqu'elle est l'indispensable complément de la théorie de la valeur-travail. Ici, il faut signaler un lapsus, étonnant chez un auteur qui possède si bien son sujet. -La péréquation du taux de profit s'opère entre les différentes branches d'une économie, et non point, comme l'affirme M. Mandel (pp. 192, 193, 200), entre les entreprises d'une seule et même branche. Les secteurs à « basse composition organique » ( à maind' œuvre particulièrement nombreuse avec peu " de capital constant) cèdent une partie de la plusvalue qu'ils produisent aux secteurs à « haute composition organique», où une main-d'œuvre peu nombreuse en face d'un capital constant extrêmement coûteux ne produit évidemment que peu de plus-value, de sorte que ce transfert égalise le taux de profit dans toutes les branches (du moins comme tendance). Mais à l'intérieur de chaque branche (quelle que soit sa composition organique), certaines entreprises sont bien outillées alors que d'autres sont mal outillées, certaines sont r2tionnellement .gérées alors que d'autres le sont de manière irrationnelle, celles-là réalisant des surprofits aux dépens de celles-ci. Or, si la péréquation est de règle entre les branches, le régime des surprofits dus à la différence de productivité entre les entreprises est la norme à l'intérieur de ch2.(îue1:rtnche. Basse et haute compositions organiques ne sont pas un indice de productivité d'une branche par rapport à une autre : l'industrie extractive, par exemple, si perfectionnée que soit .sa technique, aura toujours une basse composition organique puisque son capital constant, essentiellement fixe, ne comprendra toujours qu'une faible proportion de capital circulant (matières premières et amilliaires), celui-ci n'ayant pas besoin d'être acheté puisqu'il se trouve dans la mine, minière ou carrière. En commettant ce lapsus, M. Mandel se trouve d'ailleurs en bonne compagnie : Otto Bauer commit la même erreur il y a cinquante-deux ans, dans la controverse qu'il soutint sur la valeur de l'or contre Karl Kautsky, ·Rodolphe Hilferding et Eugène Varga 4 • · · Le chppitre qui traite des crises périodiques est moins nettement élaboré. que les autres. Marx n'a en effet p2.s laissé, sur ce sujet, d'exposé cohérent de ses thèses. Il faut chercher, tout au long du Capital et de l' Histoire des doctrines économiques, les passages disséminés un peu partout, et M ..M~del ne s_'yest pas attaché. Celui-ci a en outre enrichi ce ch~pitre de l'apport de quelt i ' • -- 4. Dans l'article : « Production de l'or et vie chèrè »--in Die _Neue Zeit, :xxxe année, ·t. II (5 avril 1912).

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