rev11e historique et critique Jes faits et Jes iJées Mai-Juin 1964 Vol. VIII, N° 3 EN UN COMBAT DOUTEUX par B~Souvarine E NTRE LES DIRIGEANTS COMMUNISTES de Moscou et ceux de Pékin, les échanges d'accusations -' et d' outrages se sont poursuivis en avril et jusqu'à fin mai sans approcher les uns ni les autres d'une conclusion qui, le jour venu, s'il vient, n'aura que de très vagues rapports avec la polémique. Les antagonistes ont· épuisé - les ressources de leur vocabulaire injurieux et ne savent que se répéter ou se contredire sans craindre de fournir des armes à la partie adverse. La presse occidentale la plus complaisante à leurs disputes renonce enfin à reproduire tant de paroles vaines et les résume en avouant qu'il y a trop de «redites». Les deux camps s'observent en supputant les manœuvres et contremanœuvres possibles tout en menant chacun sa politique respective plus ou moins mêlée, selon les cas et les circonstances, de dogmatisme et d'opportunisme, que d'aucuns préfèrent cataloguer «orthodoxie et révisionnisme». Cependant les faits et les actes qui s'étalent en pleine lumière sont plus significatifs que le verbiage et les épithètes. Nonobstant leurs professions de foi doctrinales, Khrouchtchev et Mao ne reculent devant aucun compromis ni aucune compromission qu'ils jugent profitables à leur politique, à leur Etat incarné dans leur parti. On avait vu les Chinois s'adapter en Afrique après l'Asie aux situations les plus disparates, faire semblant de s'entendre avec n'importe quel régime au mépris des principes proclamés d'autre part à tous les échos. On vient de voir Khrouchtchev, gros commanditaire de l'impérialisme égyptien et du nationalisme arabe, s'entendre avec les persécuteurs de communistes, qu'ils soient du Caire ou de Bagdad, sans que l'intransigeant Mao y trouve à redire." Dans n'importe quel cas, la raison d'Etat prévaut sur la terminologie « marxiste-léniniste » conservée à l'usage des suiveurs et des badauds crédules. Un silence complice est observé de part et d'autre en chaque circonstance où les avantages de la pratique opportune imposent des entorses à la théorie commune, quitte à s'entre-vitupérer sur des questions abstraites devenues étrangères aux réalités tangibles. Biblioteca Gino Biç3ncoAyant démontré réciproquement leur chauvinisme, leur impérialisme et leur racisme qui les situent bien aux antipodes du marxisme, les disputeurs ont recours à l'accusation suprême de trotskisme, la plus confuse et par conséquent la plus propre à égarer les profanes. La référence au trotskisme, faite ici-même avant Moscou et Pékin, discrédite en vérité le camouflage idéologique derrière lequel se dissimulent des ambitions vulgaires et des rivalités inavouables. A l'appui de l'argumentation esquissée dans de précédents articles du Contrat social, il ne sera pas inutile de rappeler comment fut créée de toutes pièces, de 1923 à 1926, la légende du trotskisme, d'après la confessionqu'en ont faite après coup ses propres inventeurs. En effet Zinoviev et Kamenev, qui machinèrent l'opération avec Staline en 1923, ont explicitement reconnu en octobre 1926, étant ralliés à l'opposition, que l'invention du trotskisme était leur œuvre et la plus grande faute qu'ils aient commise. Zinoviev déclara : « Il s'agissait d'une lutte pour le pouvoir. Tout l'art consistait à rattacher les anciens désaccords aux questions nouvelles. A cette fin a été produit le trotskisme. » Son lieutenant Lachévitch dit crûment à deux naïfs : « Nous avons ensemble imaginé le trotskisme lors de la lutte contre Trotski.» Une correspondance échangée entre Trotski et Préobrajenski, Piatakov, Radek et Racovski au sujet de cette explication rétrospective qui eut lieu ~u logis de Kamenev, se tr.ouve dans le B~lletin de /'Opposition paru en 1930. Elle établit que le ~otskisme fut conçu comme prétexte idéologique « tiré par les cheveux » pour écarter Trotski du pouvoir et masquer le conflit réel du moment par d'anciens désaccords devenus inactuels. De nos jours aussi, l'idéologie ne sert qu'à enjoliver une compétition non pacifique pour l'hégémonie dans le camp du pseudo-socialisme. Mais les idéologues aux prises dans la querelle russo-chinoise ne sont pas de taille à enrichir l'héritage intellectuel dont ils se prévalent ni à - s'imposer au respect de leurs contradicteurs. On n'a que l'embarras du choix pour illustrer la pauvreté de leurs moyens et l'identité foncière
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