E. DELIMARS rôle de l'humble servante des problèmes agronomiques, médicaux et industriels les plus pressants. Néanmoins, un vaste champ s'ouvre devant les biologistes soviétiques. Pour étoffer leurs cadres anémiés, il est prescrit également de recruter de manière intense, en 1963-1965, des étudiants pour les spécialités suivantes : génétique, physiologie, biochimie, biophysique, cytologie, microbiologie, virusologie et agrochimie, ainsi que des aspirants aux titres universitaires préparant la soutenance de thèses dans ces spécialités. De plus, un~ série de cours obligatoires de perfectionnement d'une durée de quatre à huit semaines doit fonctionner à partir de 1963 pour les professeurs enseignant ces disciplines dans les écoles supérieures. Il s'agit de guérir lesdits cadres de l'admiration, hier encore de rigueur, pour la doctrine de Williams, de les familiariser avec tout ce que le régime de Lyssenko les avait empêchés d'apprendre jusqu'à présent. Le dernier alinéa de cette décision du Comité central lève encore un autre tabou, ouvrant aux biologistes soviétiques un domaine qui leur était jusqu'ici très difficilement accessible : Les Editions médicales d'Etat, les Editions agronomiques et les Editions de l'Académie des sciences de l'U.R.S.S. sont invitées à augmenter, à partir de 1963, la publication des monographies et analyses concernant les problèmes à l'ordre du jour de biologie générale, génétique, biochimie, biophysique, virusologie, microbiologie, physiologie et agrochimie. Les Editions de littérature étrangère et autres maisons d'éditions doivent augmenter la publication des traductions de manuels, monographies et analyses concernant les disciplines énumérées. PEUT-ON CONCLURE que ce document est un mea-culpa du Parti qui lève toutes les barrières devant les biologistes soviétiques? Va-t-on accorder désormais à ces derniers la liberté d'opinion et de travail dont jouissent les créateurs des satellites artificiels et des fusées? Cela n'est pas si simple. La biologie mitchourienne, dans l'interprétation que lui donnait Lyssenko, reste comme devant la doctrine officielle du Parti, et la recherche biologique ne doit pas s'écarter de « l'orientation mitchourienne ». Les biologistes et les chercheurs des sciences connexes sont toujours tenus de lui rendre hommage, ne fût-ce que du bout des lèvres. Dans le climat soviétique, les intellectuels ne sont que trop ~nclins à voir, dans le moindre relâchement tactique d'une des innombrables entraves qui les enserrent par la volonté du Parti, l'aube d'une libération de la pensée et du comportement. Pour les rappeler à la saine réalité, la Pravda publia, quatre jours seulement. après sa décision si pleine de promesses, un article..f.leuve signé de Lyssenko lui-même: « Bases théoriques de la modification dirigée de l'hérédité en ce qui conceme les plantes agricoles ». · Biblioteca Gi o Bianco 173 Ce dernier y expose de nouveau sa conception de l'hérédité, les « lois biologiques » qu'il affirme avoir découvertes, les procédés inventés par lui pour modifier les caractères dans le sens voulu · par l'expérimentateur. Il est impossible d'analyser en détail cette profession de foi qui occupe deux pages entières du journal. Lyssenko y reste fidèle à lui-même et fait preuve des mêmes« sectarisme, absolutisme idéologique, nationalisme naïf (...) et [du même] verbalisme scolastique » fustigés naguère par Jean Rostand 5 • Le fait d'imprimer en caractères gras : L'hérédité, c'est le besoin qu'a le corps vivant de conditions de vie déterminées et de réactions déterminées à l'action des conditions non indispensables à sa vie mais qui existent autour de lui et agissent sur lui ne suffit pas à démontrer la vérité de cette définition. Les affirmations doctorales de Lyssenko sur le caractère réel de l'hérédité, selon lui diffuse dans l'organisme tout entier, font irrésistiblement penser à la vieille explication moliéresque : « Opium f acit dormire ( ... ) quia est in eo virtus dormitiva, cujus est natura sensus assoupire. » Elles lui permettent d'exécuter en quelques lignes l'hypothèse de la génétique classique d'aujourd'hui sur le rôle de l'acide désoxyribonucléique dans la transmission et la modification de l'hérédité : On ne peut pas davantage attribuer à une substance non viable, par exemple à l'acide désoxyribonucléique, une propriété du corps vivant, c'est-à-dire les caractéristiques de l'hérédité (Pravda, 29 janv. 1963). Et de s'affirmer ainsi, une fois de plus, grand maître de la génétique mitchourienne. Les milieux savants soviétiques n'ont pas été longs à réagir à cette tentative de Lyssenko pour se maintenir sur son piédestal. Le ressentiment accumulé chez eux contre le dictateur put enfin se donner libre cours. La riposte vint des spécialistes de médecine expérimentale de Léningrad, ville où les chercheurs sont fidèles à leur traditionnel esprit frondeur à l'égard des diktats de Moscou. La revue littéraire Néva, qui s'est acquise ces dernières années la réputation, sinon d'une liberté d'opinion- impossible en U.R.S.S., tout au moins d'une certaine franchise, publia .en mars 1963 un long article de J. Medviédev et V. Kirpitchnikov intitulé : « Perspectives de la génétique soviétique ». Sans que le nom de Lyssenko soit mentionné .une seule fois, les deux auteurs, parfaitement documentés, font l'historique des malheurs de la génétique soviétique depuis 1948, se réfèrent à la décision du Comité central dont il est question ci-dessus et affirment : 5. Jean Rostand : Les Grands Courants de la biologie, Paris 1951, p. 1 n.
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