170 mination radicale des conséquences du culte de Staline et le rétablissement par le Parti des authentiques normes démocratiques léninistes de la vie ont entraîné d'unmenses répercussions dans le domaine de la science, sur l'activité créatrice, sur la manière même de penser 1 , il devenait dangereux pour la « direction collégiale » de maintenir sa prétention à l'omniscience stalinienne, pendant si longtemps imposée aux esprits. Ce revirement s'est manifesté tout d'abord dans le domaine médical à propos d'une affaire similaire à l'affaire Naessens en France. A Léningrad, Katchouguine avait proclamé que sa méthode de « traitement par le chlorure de semi-carbazide et l'iodure de cadmium, tous deux non toxiques », guérissait les cas les plus désespérés de cancer; il avait fait appliquer ce traitement par quelques médecins dans un hôpital de la ville. Après un examen attentif, les cancérologues de l'Académie de médecine de !'U.R.S.S., en premier lieu le professeur N. N. Blokhine, avaient déclaré que ce traitement n'était que charlatanisme, et le ministre de la Santé publique de !'U.R.S.S., 1. G. Kotcherguine, en avait interdit l'emploi. Or plusieurs collaborateurs de la Léningradskaia Pravda prirent la défense de Katchouguine et adressèrent au Comité central une violente protestation : Il faut annuler immédiatement l'ordre inhumain du ministre de la Santé publique, autoriser par télégramme l'application de ce traitement dans les hôpitaux de Léningrad (...), ouvrir une enquête sur les agissements, contraires aux intérêts de l'Etat, de I. P: Kotcherguine et N. N. Blokhine. L'enquête doit être confiée à des personnes qualifiées, désintéressées, capables de juger les faits sans tenir compte des titres et qualités des deux coupables, et non aux fonctionnaires de l'Académie de médecine et du ministère de la Santé publique. En réponse à cette requête du plus pur style stalinien, qui incitait tout simplement à traduire en justice Blokhine et le ministre, « coupables d'avoir volontairement déformé les faits afin d'étouffer un nouveau traitement des maladies pernicieuses », le Comité central répondit dans la Pravda du 1er août 1962 : Le Comité central estÎine qu'il n'est pas qualifié pour assumer le rôle d'arbitre dans l'appréciation d'un traitement médical. Seuls les médecins ont qualité pour décider si telle thérapeutique est indiquée. Tenter d'administrer la science par les injonctions ne peut rien donner de bon. Nul n'ignore que, dans un passé récent, pareilles tentatives ont conduit à accuser injustement et à disgracier certains savants et médecins éminents de notre pays [allusion à l'« affaire des médecins »]. Ce communiqué, suivi du texte complet de la requête en question, était assorti d'une réfutation détaillée des allégations de celle-ci. Onze membres 1. Litératournaïa Gazéta, 24 f·év. 1962, article de V. V. Farine. Biblioteca Gino B-ianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE titulaires et deux membres correspondants de l'Académie de médecine, ainsi que plusieurs autres médecins, y démontraient la complète inefficacité du traitement de Katchouguine, l'accusant de · pratiquer les méthodes douteuses des guérisseurs clandestins. · Le Comité central renonçait ainsi publiquement au rôle de « coryphée ·de la science » et d'arbitre suprême en toutes matières, même dans les querelles entre savants. Ce renoncement ne faisait, d'ailleurs, que refléter la .d!atribede Khro~- chtchev à la conférence des dirigeants de l'agnculture ukrainienne, tenue à Kiev en décembre 1961, où il avait proclamé, contrairement à son habitude, ne pas être cc l'autorité suprême en matière de science agronomique » et avoir besoin de l'avis des savants compétents 2 • Cette attitude nouvelle, quelque peu insolite en U.R.S.S., prouve que les dirigeants du Parti ont enfin pris conscience de la nécessité de ne plus entraver la science par des prohibitions dans le genre de l'interdit lancé par Lyssenko. * ,,,. ,,,. LA LEVÉE de boucliers. contre l'autorité des « grands patrons », souvent artificiellement imposés, ne se limitait point à la rébellion contre les impératifs imposés par Lyssenko à la génétique. En physiologie et en médecine expérimentale, la situation n'était guère différente, ainsi qu'en témoigne le professeur V.V. Parine, membre de l'Académie de médecine de !'U.R.S.S., dans son article intitulé « L'autorité des faits - A propos de l'héritage scientifique et du dogmatisme » : Le principal dommage infligé à la science par le culte de la personnalité a été d'affirmer qu'une opinion unique, qu'un seul point de vue constitue une « inexhaustible source de sagesse», la vérité suprême. On peut en citer de nombreux exemples, à commencer par les Problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S. 3 et les assolements sacro-saints des prairies ... On a tenté, en 1950, d'nnposer officiellement à la physiologie une seule et unique orientation des recherches, lors de la session commune de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine. Les méthodes expérimentales des adeptes de cette orientation y étaient proclamées seules permises. De ce fait, parmi les processus si complexes de l'organisme humain et animal, seule la sphère de l'activité nerveuse supérieure était reconnue digne d'étude, le grand physiologiste I. P. Pavlov lui ayant ·consacré les dernières années de sa -vie (cf. n. 1). Tout en rendant justice à Pavlov, cc do~t les travaux ont ouvert une ère nouvelle dans la science», Parine souligne que le plus grand parmi les savants ne peut embrasser à lui seul toutes les branches de la physiologie. L'évolution de cette 2. Cf. notre artide : « Nouvelle éclipse de Lyssenko», in Contrat social, mars-avril 1964. 3. Ouvrage de Staline, naguère destiné à devenir l'évangile du Parti ..
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