Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

168 Chine a marqué une exception notable à la règle de l'autorité soviétique dans le choix des dirigeants communistes autochtones. Certes, Tchen Tou-hsiou, fondateur et dirigeant du P. C. chinois de 1921 à 1928, responsable du désastre du Comintem en Chine en 1927, fut expulsé du mouvement sous l'accusation de trotskisme. Toutefois, Moscou ne réussit pas à imposer ses propres candidats à la succession ; ils subirent tous des échecs en raison de la ligne ultra-prolétarienne suivie alors par le Comintern en Chine. Au contraire, Mao s'empara du pouvoir, grâce à une stratégie peu orthodoxe, en encourageant les paysans à la guérilla. Tout en étant à l'époque d'une fidélité à toute épreuve envers Moscou sur le plan idéologique, il en était indépendant quant à l'organisation. Cette indépendance résultait en dernière analyse de la base politique territoriale établie par Mao dans la province de Chen-Si au milieu des années 30, base dont n'a disposé aucun autre parti communiste jusqu'à ce que la deuxième guerre mondiale offre à quelques-uns d'entre eux l'occasion d'imiter la stratégie chinoise de guérilla. Si le P. C. chinois n'a jamais fait partie du monolithe stalinien, les autres mouvements communistes qui réussirent grâce à la guérilla devinrent tous, tôt ou tard, une épine au pied de !'U.R.S.S. En Europe, ce fut le cas des partis yougoslave et albanais, l'un rompant avec Staline afin de maintenir son intégrité nationale, trois ans à peine après la fin des hostilités, l'autre réussissant un exploit incroyable de provocation, avec l'encouragement des Chinois, au début des années 60. En somme, le bilan de l'unité des gouvernements communistes est parfaitement négatif partout où le pays en cause n'a pas été occupé ou menacé directement par l'armée soviétique. · La rupture de Tito avec Staline en 1948 est ce qui se rapproche le plus du schisme sinosoviétique. Indépendamment de la faiblesse relative de la Yougoslavie et du fait qu'elle doit compter sur l'appui étranger (c'est-à-dire de l'Occident), la dissidence de Tito peut se comparer à celle de Mao en ce sens qu'elle s'est produite, dans des conditions d'unité idéologique, par suite de questions pendantes concernant les rapports de puissance entre des gouvernements Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE communistes. Tito et Mao se cabrèrent tous deux lorsque leur indépendance ou leur importance à l'intérieur du mouvement sembla menacée; c'est alors qu'ils commencèrent à invoquer des mobiles · idéologiques pour justifier leur résistance à Moscou. Ce n'était sans doute qu'une question. de temps et de lieu si la Yougoslavie, en défiant Staline, s'est tournée idéologiquement vers le communisme pragmatique plus souple. de Lénine· et (sans qu'il lui soit rendu justice) de Boukharine, alors que Mao crut devoir rejeter le «dégel» de Khrouchtchev et réaffirmer la position intransigeante du stalinisme. L'histoire du communisme moderne ne montre pas de lien idéologique durable entre les centres de pouvoir communistes, mais plutôt une tendance naturelle à se diviser sur des questions d'interprétation idéologique partout où le permet l'existence de factions distinctes ou de gouvernements communistes indépendants. Deux types de déviationnistes sont inhérents au mouvement : d'une part, le romantique ou fanatique («dogmatique » ou « sectaire »), qui rejette tout compromis ou délai ; d'autre part, le prudent ou pratique («révisionniste» ou « opportuniste »), qui se refuse à prendre de grands risques ou à heurter inutilement une nation donnée. En deuxième lieu, il semble maintenant établi que des bases nationales de pouvoir distinctes dans le monde communiste, telles que celles créées au cours des campagnes de partisans pendant la deuxième guerre mondiale, constituent un potentiel de déviation soit vers le romantisme, soit vers le pragmatisme. Enfin, lors de différends entre Etats communistes, la doctrine ne constitue pas une force unificatrice ou inhibitrice, mais une puissante arme de controverse. Les événements contemporains prouvent qu'un mouvement dogmatique comme le communisme, lorsqu'il s'étend de manière à englober plusieurs pays indépendants, est susceptible d'éprouver bien plus de difficultés à maintenir un semblant d'unité et de coopération qu'une alliance classique de puissances n,on dogmatiques, fondée sur l'intérêt commun. ROBERT V. DANIELS. ( Traduit de l'anglais)

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