Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

LE MONOLITHE ÉTAIT-IL MONOLITHIQQE ? par Robert V. Daniels LA DÉTÉRIORATION des rapports entre Moscou et Pékin est l'un des phénomènes les plus mal compris de la vie politique actuelle. Cela parce qu'on imagine couramment que le communisme, du fait de son idéologie stricte, s'est toujours distingué par une unité et une discipline internationales monolithiques. L'idée que l'on se fait d'un mouvement communiste étroitement unifié et aveuglément discipliné n'est juste, du point de vue historique, que pour une certaine phase du mouvement -· la période de la domination de Staline sur la Russie et de la domination exercée par les Soviétiques sur le mouvement international depuis la fin des années 20 jusqu'en 1948. Un point de doctrine établi à cette époque voulait que le mouvement communiste soit obligatoirement soumis à une étroite discipline, sans qu'on puisse tolérer la moindre variation dans l'interprétation de la doctrine, ni sur le plan national ni à l'intérieur des partis. Dans l'esprit des exigences doctrinales du stalinisme, devaient être condamnés comme hérésies tous les conflits d'opinions et toutes les déviations s'écartant de la doctrine et des méthodes de Moscou. Les précédentes scissions et discussions sur des questions de doctrine furent présentées comme étant l'œuvre de contre-révolutionnaires qui cherchaient à saper la « ligne générale du Parti ». Une analyse objective des débuts du mouvement révèle au contraire que les nombreuses et diverses écoles communistes étaient toutes également fondées.sur les ambiguïtés et les contradictions du marxisme russe. En l'absence d'une autorité, la théorie politiqqe n'a jamais été une force assurant l'unité mais, au contraire, une source fertile de controverses. Lorsqu'on étudie l'histoire du communisme dans son ensemble, on constate que la théorie n'a jamais aidé à unifier et à discipliner le mouvement, sauf lorsqu'elle devenait l'instrument d'une puissante institution dominante. Dans le Biblioteca Gino Bianco. cas d'une pluralité de centres de pouvoir, que ce soit à la suite d'une scission dans le Parti ou de l'apparition de Pékin comme centre rival dans le mouvement international, la doctrine commu- .niste a pour effet de susciter des controverses plutôt que de renforcer l'unité. Premiers schismes du marxisme EN RÉALITÉ, le mouvement communiste est né d'un schisme parmi les marxistes, en admettant de faire remonter son existence à la rupture de 1903 entre bolchéviks et menchéviks. Les deux groupes avaient, à l'origine, une idéologie plus ou moins commune. La rupture fut consommée principalement en raison de différences de tactique et de tempérament, en raison des ambitions et prétentions personnelles d'un homme résolu - Lénine - que d'autres marxistes russes, tout aussi résolus, ne pouvaient tolérer. Les différences nettes de doctrine n'apparurent que beaucoup plus tard, quoique, dès 1902, Lénine ait modifié implicitement la philosophie du marxisme en soulignant le rôle capital de l'organisation du parti dans l'activité révolutionnaire. Il proposait, en fait, une nouvelle doctrine selon laquelle le prolétariat russe devait prendre la direction de la révolution « bourgeoise », tout en prétendant que ce n'était pas lui mais se.srivaux qui étaient en train de transfarmer, donc de « trahir » le . marxisme. Pareilles différences de tempérament existaient peu ou prou dans tous les grands partis marxistes d'Europe avant la première guerre mondiale et la révolution russe. La guerre et la prise du pouvoir en Russie par les bolchéviks eut pour effet d'étendre la scission entre bolchéviks et menchéviks à tous les partis de la IIe Internationale : dans chaque pays, l'aile extrémiste se prononça contre la guerre et en faveur de la révolution d'Octobre. De 1919 jusque dans les années 20, des luttes acrimonieuses se déroulèrent, dans de

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