154 moins « matérielles » et réelles. Malheureusement, Marx omet de les mentionner et de spécifier leur nature. Problématique de la société civile CE QUI l'a empêché d~ développ~r jusqu'au bout sa dialectique de 1 « auto~onusatton » de l'Etat et de sa transformation en « maître » de l'économie et de la société, tient à la fois à sa conception génét:11~de l'histoire et ,à sa ~onception « manchestenenne » de la separatton de l'Etat et de l'économie. Tout d'abord, il croyait que l'étatisation de l'économie correspond à un stad~ extrêmeme~t archaïque du développement social. Selon lui, les modes de production «antique », « féod~l », « bourgeois », etc., qui succèdent au « mode oriental de production », sont déterminés par le développement spont~é de ,.la société civile ~t les stratifications qu'ils entrament se sont formees en dehors de la sphère politique, indépendamment de l'action de l'Etat. La société civile est désormais « le véritable théâtre et le foyer de l'histoire, la base de l'Etat et de toute la superstructure ». Il est vrai qu'à certaines époques. l'EJat , s'est acquis « momentané~e~t ». une certam~,~depe~- dance « anormale » v1s-a-v1sde la soc1ete; qu Il a pu échapper au contrôle de la classe « économiquement dominante » et se placer au-des~us.de la société. Mais, selon Marx, cette autonormsat1on de l'Etat ne lui a nullement conféré la réalité substantielle et la puissance créatrice dont les classes de la société civile sont les ·seuls dépositaires. De « serviteur » de la société, l'Etat a pu en devenir le «maître», mais sa souveraineté n'a que superficiellement effleu~~le monde .écon~- mique : elle s'exerçait dans 1 e1;her~e la vie ~olitique sans entraîner une modification ess_entielle de la structure sociale. D'où le terme surprenant de cc supraterrestre » par lequel Marx caractérise l'Etat absolutiste de l'ancien régime : der alte überirdische Staat 18 • On retrouve la cc région nuageuse de la politique». Lorsque l'Etat s'élève au-de,ssus_de la société, il perd ses attaches _ave~le reel, il ce~se de participer à la véritable histo~~ ; son do_mame est le ciel fantastique de la politique tandis que l'histoire réelle se déroule, derrière son dos, sur la « terre » de la production et du commerce. Autrement dit, l'Etat ne crée rien : Les conditions réelles (...), la vie matérielle des ·-individus qui ne dépend nullement de leur volonté (...) ne sont nullement créées par le pouvoir d'Etat ; elles sont plutôt la force qui le crée 19 • Cela ne veut nullement dire que Marx n'ait pas été effleuré par quelques, dout~s qu~.t à la. so~- veraineté universelle et retroacttve qu il attnbuatt 18. K., III, p. 835. 19. D.I., p. 341 (VIII, 157). Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL à la société civile. Dans l'antiquité grecque, dit-il, « la société civile n'était que l'esclave de la société politique» 20 • Dans ses notes de 1857-58 (Grundrisse, etc., Dietz, 1953, pp. 378 sqq.), Marx a amplement développé ce thè~e, et cela d'une manière qui annonce les meille~res analys~s webériennes, mais il n'a nullement tué les consequences théoriques découlant de cet « esclava~e» de la société civile dans le « mode de production antique». De même, ses considérations sur l'origine militaire de la féodalité ne l'ont nullement incité à mettre en question le déterminisme économique que postule sa théorie générale. Nous l'avons dit, Marx distingue deux moments essentiels dans le processus de féodalisation : la structure interne de l'armée conquérante et les conditions économiques existant avant et après la conquête. La combinaison de .ces.deux facteurs a déterminé le « mode d' orgarusat1on de la ~onquête » 21 d'où découle le « mode de production» féodal. Il est évident, en effet, que le « mode ~e conquête» change radicalement, de, co~t~nu.so~1~l suivant qu'il s'agit d'une armee eqwl?ee IJ?-div1duellement, dressée pour le combat smguher et organisée suivant le système des suites personnelles (comme ~e fut le cas ?e l'armée homérique, des envahisseurs g~rmaruqu~se! d~ 1~ chevalerie occidentale) ou d une armee eqwpee par l'Etat, comprenant des unités tactiques et fondée sur la conscription ou le mercenariat (comme c'est le cas dans la quasi-totalit~ ~es Etats cen~r~sés et bureaucratisés) : ces diff erences qualitatives dans le mode d'équipement, dans le mode de combat et dans le mode de recrutement seront décisivespour l'organisation économique et sociale du pays conquis ou « unifié ». Quel fut, en regard, le poids. des « forc~s productives » dans la configuration concrete du « mode d'organisation de la conquê!e »? Lorsq~e Marx rappelle «l'échec des tentatives (centralisatrices, unificatrices) de Charlemagne » pour montrer « jusqu'à quel point la fo~e féodal~ était déterminée par les forces productives » 22 , il ne fait que surestimer démesurément l'importance «·négative» du facteur économique. S'il est certain que l'éparpillement des forc~s productives a été pour beaucoup dans l'effntement de l'empire carolingien, il n'est pas moins vrai que son destin eût été différent s'il avait disposé d'une armée et d'une administration centralisées. La reconstitution de l'Empire romain était vouée à l'échec non seulement par l'état extrêmement arriéré de l'économie, mais aussi et surtout par la structure interne de la force militaire qui assuma cette ,.tâche: une armée fortement individualisée, donc structurellement poussée vers la décentralisation et la féodalisation, est une . force par définition centrifuge, incapable d'ap20. Critique de la philosophie hégélienne de l'Etat, in Werke, I, p. 276. 21. D.I., p. 2~ (VI, 255). 22. D.-1., p. 64 (VI, 238).
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==