Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

N. V:ALENTINOV mation, elle réclamait en même temps une accumulation maximale du capital pour développer l'industrie. Dans le Bolchévik (n° 18, 1926), D. Maretski, un des plus proches collaborateurs de Boukharine, écrivait : L'opposition réclame une surindustrialisation accélérée et attaque le Comité central parce que les investissements sont « honteusement dérisoires ». D'autre part, elle ne cesse de hurler que le niveau de vie du prolétariat progresse trop lentement, car la production des biens de consommation est trop faible. D'un côté, elle crie que l'accumulation avance « à pas de tortue », que l'industrialisation est en retard et qu'elle crée une menace pour la dictature du prolétariat; de l'autre, que « la toile de coton et le pétrole manquent et qu'il y a disette de marchandises». L'opposition avait les yeux fixés sur les campagnes. La moindre amélioration des conditions de la vie rurale était pour elle la preuve que les paysans aisés se transformaient en koulaks, suivant ~Ile, les pires ennemis dul régime soviétique. Le fait caractéristique, selon la juste remarque de Rykov, était que l'opposition ignorait systématiquement la différence entre le paysan aisé et le koulak. Dès 1922, c'est-à-dire du vivant de Lénine, dans la deuxième année de la nep, E. Préobrajenski, futur opposant notoire, parlait du danger que . des rangs de la masse des paysans moyens une couche de paysans économiquement forts ne cherchent de plu~ en plus [quelle abomination ! N. V.] à améliorer la ~turc agricole et à accroître le rendement par un effort intensif de l'entreprise individuelle. Voyant dans le village la couveuse d'où sortaient les futurs koulaks, l'opposition s'acharn~t à aggraver la lutte de classe à la campagne et à « dépouiller le koulak». Staline qui, à l'époque, défendait la nep et reprenait docilement les arguments de Rykovet de Boukharine, laissa échapper, au XIV° Congrès, des propos qui ne manquent pas de franchise : · Si l'on demande aux communistes à quoi le Parti est le plus enclin, à dépouiller le koulak ou, pour éviter cela, à s'allier avec le paysan moyen, je crois que sur 100 communistes, 99 diraient que le Parti est plus que tout préparé au mot d'ordre : « Sus au koulak 1» Qu'on lance ce mot d'ordre et en un clin d'œil le koulak n'aura plus rien sur le dos. Quant à ne plus « dékoulakiser » et à mener une politique plus subtile, la chose n'est pas facile à digérer. Avec ses idées, ajoutait Staline, l'opposition mène à l'exaspération de la lutte de classe au village, au· retour à la politique de dékoulakisation des comités de paysans pauvres, par conséquent à la guerre civile. Trois ans et demi plus tard, Staline, reprenant les thèses de l'opposition, allait proclamer la liquidation des koulaks en tant que classe. Quand on demandait à l'opposition où prendre les moyens de financer la surindustrialisation, elle répondait : il faut, pour l'accumulation[ du capital, relever les prix de vente de l'industrie 1;3ibliotecaGino Bianco 73 socialiste, toutefois de telle façon que ce ne soit pas le prolétariat qui ait à en pâtir, mais les autres secteurs de la population, et surtout le paysannat ; il faut se procurer les ressources nécessaires en imposant au maximum le commerce privé [quitte à le rendre impossible...] ; collectiviser les petites entreprises paysannes et en faire le support matériel de l'Etat prolétarien. Dans cette revendication perçait déjà l'intention de faire du paysannat une masse réduite à l'esclavage pour alimenter l'industrie socialiste. E. Préobrajenski soutenait, avec un cynisme incroyable, la nécessité d'exploiter les masses paysannes. Staline, quelque temps plus tard, reprit cette théorie pour lancer ses plans quinquennaux. Dès 1923, Préobrajenski avait commencé à motiver sa. position dans un article du Messager de l'Académie communiste (huitième livraison) : «De la loi de l'accumulation primitive». En 1925, il écrivit une suite : «De la loi de la valeur dans l'économie soviétique », article qui, joint au précédent, forma la matière de La Nouvelle Economie. Prenant le contre-pied de la nep, Préobrajenski n'admettait pas l'existence, parallèlement à l'entreprise socialisée, d'entreprises paysannes, industrielles ou commerciales : «Un système doit dévorer l'autre. » L'entreprise socialiste devait «dévorer» l'entreprise privée et disposer de ses ressources. Il était impossible, avec les moyens de la seule entreprise nationalisée, d'organiser le socialisme. Celui-ci devait tirer ses ressources des «formes non socialistes de l'économie », ou, comme l'écrivait Préobrajenski en 1923, exploiter les formes présocialistes de l'économie (•..). L'idée que l'entreprise socialiste peut se développer d'elle-même sans toucher aux ressources de l'entreprise petite-bourgeoise, y compris l'entreprise paysanne, est une utopie réactionnaire (sic) petite-bourgeoise. Exploiter les ressources de l'entreprise paysanne et petite-bourgeoise, les adjoindre au capital socialiste, Préobrajenski appelait cela la loi de l'accumulation socialiste primitive (...). La loi fondamentale de l'économie soviétique est précisément la loi de l'accumulation socialiste primitive. Développant son idée, il écrivait : ·Plus un pays qui passe à l'organisation socialiste est économiquement arriéré, petit-bourgeois, plus réduit sera l'héritage que recevra, dans le fonds' de son accumulation socialiste, le prolétariat de ce pays au moment de la révolution sociale, et aussi plus l'accumulation socialiste devra être fondée sur l'aliénation du produit [ « sur l'exploitation », écrivait Préobrajenski en 1923] des formes présocialistes de l'économie. Le livre de Préobrajenski (fusillé en 1936 sur l'ordre de Staline), est certes éloquent. Toute l'odieuse philosophie qui devait ensuite imprégner les quinquennats staliniens y est condensée en termes volontairement cyniques. Le livre de

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