Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

DE LA « NEP » A LA COLLECTIVISATION par N. Valentinov DANS QUELLES CONDITIONS le P.C. soviétique a-t-il pu glisser de la nep, décrétée par Lénine « pour de bon et pollr longtemps », à l'abandon complet de cette politique, à l'anéantissement des moindres signes de capital privé, à l'intégration forcée des petits industriels et des artisans dans les coopératives d'Etat ? Quel ensemble d'idées a abouti à ce résultat ? Infirmons tout d'abord une opinion erronée fort répandue. On croit généralement que la nep, appliquée par Lénine en 1921, a duré huit ans et qu'elle a été brusquement supprimée en 1929 avec la mise en train du premier plan quinquennal. La nep n'a pas succombé subitement en 1929: elle a été battue en brèche, idéologiquement et pratiquement, aussitôt après la mort de son -promoteur. Déjà du vivant de Lénine, Trotski, .dans la préface de la deuxième édition de I905, parue en 1922, prit très nettement position contre l'idée fondamentale de la nep, à savoir _qu'il était possible d'instaurer le socialisme avec le concours volontaire de la classe ouvrière et du paysannat, sans grever celui-ci d'un impôt exorbitant, en lui fournissant en échange de ses produits des articles manufacturés, sans le contraindre à la collectivisation par la violence. Trotski estimait que le prolétariat doit entrer fatalement . -en conflit avec les grandes masses du paysannat dont l'appui l'a porté au pouvoir. Dans les conditions de l'Etat ouvrier, dans un pays arriéré où la population paysanne est en écrasante majorité, les antagonismes ne peuvent trouver leur solution qu'à l'échelle internationale et dans le champ clos de la révolution mondiale. Trotski n'était pas seul à penser ainsi. Cette doctrine marxiste était communément admise. Pour de nombreux membres du Parti, elle n'était pas conciliable avec la nep. L'accroissement des couches sociales aisées des campagnes, leur alliance avec le commerce et l'industrie privée en plein développement, inquiétaient les miliBiblioteca Gino Bianco tants. A très peu d'exceptions près, ils partageaient l'opinion de Trotski, pour qui le développement réel de l'économie socialiste de la Russie ne sera possible qu'après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d'Europe. 1 Le fait que la révolution mondiale tardait à venir désespérait beaucoup de communistes. Ceux-ci, niant la possibilité d'instaurer le socialisme dans un seul pays, prétendaient, comme Zinoviev en 1925, que cette idée « dégage un relent de nationalisme étroit». Nourrie de ces idées, une opposition contre la nep se forma dans le Parti. En dehors de Trotski, des communistes éminents comme Piatakov, Radek, Racovski, Smilga, Lachévitch, Mouralov, I. N. Smirnov et d'autres encore faisaient partie, dès 1923-24, de cette opposition. Son importance s'accrut sensiblement quand, .en 1925, de hauts dignitaires tels que Zinoviev et Kaménev rejoignirent ses rangs. Que voulait l'OJ?posi~on? Selon eµe, le Parti ne pourrait se mamterur au pouvoir qu'en dével9ppant la combativité du prolétariat, considéré comme classe dirigeante; pour cela, il fallait constamment augmenter ses salaires et améliorer ses conditi?~s d'existence. Lorsqu'on répondait à l' oppos1t1on que, dans l'industrie socialisée, la progression des salaires ne pouvait aller que de pair avec l'accroissement de la productivité du t~avail, elle rétorquait que c'était là cc une conception typiquement capitaliste de la rémunération du travail » 1 • Pour éviter que le peu nombreux prolétariat russe soit noyé dans « l'océan du paysannat hostile », l'opposition estimait nécessaire d'accroître considérablement les effectifs ouvriers en accélérant l'industrialisation. Revendiquant une augmentation des salaires et un accroissement concomitant des biens de consomI._ Cf. Tirzbanourt : L'Opposition unifiée et les problèmes du travail, p. 36. .

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