Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

128 De même que Staline avait extirpé plusieurs minorités ethniques, Tchetchènes, Ingouches, Tatars de Crimée, Allemands de la Volga, il s'apprêtait à régler le sort des Juifs par la déportation en masse, prélude à l'extermination par la mortalité dans les conditions pénitentiaires sibériennes. Il empêchait ses futures victimes de partir « tout en leur imposant un passeport intérieur marqué d'une formule qui signifie : bon à être déporté, l'heure venue » ( équivalant à l'étoile jaune). Ici vient une longue citation de Milovan Djilas, trop peu connue, d'après un de ses articles de Borba (14 décembre 1952) où il évoque ses souvenirs sur l'antisémitisme virulent dont il fut témoin lors de ses séjours en U.R.S.S. Ayant rapporté des faits précis qu'on regrette de ne pouvoir épingler, faute de place, Djilas écrivait, avant d'être exclu de son parti : « Les Juifs ont disparu de la vie publique en U.R.S.S. Ils sont considérés comme des citoyens de dernière zone. On réserve aujourd'hui le même sort en Europe orientale à une petite poignée d'hommes appartenant à ce peuple martyr qui a échappé à l'extermination fasciste. De telles méthodes ont été employées, sont et seront employées sans considération du fait que tel Juif est bourgeois ou socialiste. . « Le procès de Prague le prouve de façon indiscutable. Ce procès dévoile, comme c'est le cas d'habitude chez Staline, sous une forme camouflée, la réalité même : une politique antisémite organisée et consciente. Ici, l'antisémitisme se cache derrière la lutte contre le sionisme, l'américanisme, etc., et même derrière la lutte contre l'antisémitisme, tout à fait dans le style · des absurdités staliniennes qui, d'ailleurs, ne sont absurdes qu'aux yeux des démocrates honnêtes et libres, et tout à fait normales dans le monde despotique du capitalisme d'Etat et de la bureaucratie. Ce despotisme a réussi à soumettre la société sous un contrôle plus cruel et plus total que n'importe quel autre despotisme dans le passé, et cela non seulement grâce aux méthodes modernes d'asservissement, mais surtout en raison de son caractère et du rôle monopoliste qu'il joue dans l'économie. « ••• Staline ne peut qu'éclater d'un rire diabolique en voyant Rakoszi, Geroe et leurs autres comparses " juifs ", par leur propagande antisémitique, tresser la corde qu'on leur mettra au cou. Ilya Ehrenbourg a beau chanter la gloire de l'impérialisme russe aux congrès de la paix, au Kremlin on a de lui une opinion bien définie. J'ai entendu Staline le traiter de lâche, et cela pendant la guerre, lorsque Ehrenbourg était à l'apogée de sa gloire anti-allemande. Son esprit est beaucoup trop cosmopolite pour être aussi le leur. On a encore besoin de lui à cause des intellectuels cosmopolites français et autres. Mais ce sont là déjà ses derniers chants, les chants du cygne (mais seulement pour autant qu'ils sont les derniers); en réalité, ce n'est qu'un aboiement du chien qui ne peut plus servir et qui mendie ainsi une dernière bouchée de la main de son maître. · « L'antisémitisme souille et détruit tout ce qu'il y a d'humain dans l'homme, tous les sentiments démocratiques chez un peuple. Le stigmate de la honte, qu'il porte en lui, ne peut jamais être effacé devant l'histoire. · « Le degré que peut atteindre la fureur antisémite est le critère de l'asservissement ·d'un peuple par son régime réactionnaire. Mais l'antisémitisme nous montre BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL aussi que ceux qui s'en servent sont déjà entrés dans la phase du commencement de la fin, même si leurs forces augmentent encore. » Djilas appartenait au communisme titiste quand il publia cet article. Staline mourut trois mois plus tard et ses thuriféraires, en France comme en Russie soviétique, qui plaidaient pour le stalinisme, plaident aujourd'hui pour Khrouchtchev avec une égale mauvaise foi : il faut une complaisance infinie envers les nazis soviétiques pour interpréter le communiqué piteux et tardif de la « commission idéologique » comme un véritable désaveu du Judaïsme sans fard. Ergoter sur des nuances, regretter des « erreurs » infimes, balbutier de vagues réserves, ce n'est pas un désaveu, encore moins une condamnation, encore moins " une décision rendant la récidive impossible. Le sale petit ·livre n'est même pas retiré de la circulation. Le secrétariat du Parti ni le gouvernement n'ont soufflé mot. Et tout continue comme devant: les Juifs, ou simplement les gens ccd'origine juive », restent privés des droits dont jouissent toutes les autres minorités dans le pays de leur naissance, comme du droit d'aller vivre ailleurs; Par conséquent le· stalinisme. antisémite subsiste sous Khrouchtchev, adapté aux nouvelles drconstances. De Staline en Khro.uchtchev, il y a des change-- ments indéniables dans la vie soviétique, de degrés plus que de nature; d'aspects plus que de principe, de formes plus que de fond. Le racisme sansfard n'est plus tout à fait le même ru tout à fait un autre, mais toujours présent, adapté à la situation intérieure et à la politique extérieure. ~o~r conclure provisoirement, puisqu'~ faut se limiter, nous emprunterons la conclusion de la brochure mise ainsi à contribution et dont l'essentiel n'a pas vieilli malgré le temps écoulé : « Le procès de Prague équivaut à l'aveu que Moscou ne peut gagner les cœurs dans les Etats satellites et affirme sa détermination de les tenir par la terreur », écrit Salvador de Madariaga dans le New Leader (12 janvier 1953). Et le grand penseur libéral espagnol observe avec raison que les hommes de Moscou « achèvent l'évolution qui fait d'eux les héritiers des nazis. Même Etat policier impitoyable ; mêmes camps de concentration et d'extermination; mêmes occupation dominatrice et exploitation des pays voisins ; et maintenant même usage des Juifs pour faire des expériences, que ce soit pour de prétendues raisons scientifiques comme sous les nazis ou pour des raisons diplomatiques comme sous leurs imitateurs soviétiques. » S. de' Madariaga s'illusionne encore en prêtant à Staline des intentions expérimentales. Mais il est dans le vrai quand il dégage le sens foncièrement terroriste de la politique stalinienne. La terreur doit fatalement se substituer à la persuasion pour imposer la conception néo-raciste d'une nouvelle volonté de puissance qui tend à l'hégémonie universelle. L'histoire ne montre pas d'exemple de prétention aussi exorbitante qui n'ait fini très mal. L,.essentiel à quoi nous avons fait allusion, dans ce texte de Salvador .de Madariaga, c'est

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