Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

LB CO]+{TRAT SOCIAL Pologne provoqua un exode instinctif vers l'Est : environ 6oo.ooo Juifs se trouvèrent englobés en zone soviétique ou brusquement soviétisée· par l'Armée rouge qui accourait pour poignarder dans le dos le petit pays voisin déjà chancelant. · Sous le prétexte incroyable que les fugitifs avaient traversé la frontière sans passeport, une frontière dont le tracé venait de changer et que personne ne connais- .sait, dont nul ne pouvait s'informer dans le chaos et la panique, la police de Staline se mit à les déporter en masse, sans distinction d'âge ni de sexe. Sous le prétexte monstrueux qu'un grand nombre refusaient _d'adopter ex abrupto la nationalité soviétique, ce qui les eût séparés à tout jamais de leurs familles restées de l'autre côté des lignes, ils subirent le même sort. « En deux jours et deux nuits., écrit le rabbin A. Petcheruk, près d'un million de Juifs furent entassés dans· des wagons à bestiaux dans les plus horribles conditions et déportés vers l'Oural et la Sibérie. Le voyage, sous de telles épreuves., dura de quatre à six semaines. Quand ils arrivèrent à destination, ils durent subsister de pain et d'eau après d'exténuantes journées de travail dans les forêts» (Zionism and Judaism in Soviet Russia., New York 1943). Le gouvernement polonais estima à 1.500.000 le nombre de Polonais déportés sur l'ordre de Staline, dont 40 % de Juifs., c'est-à-dire 600.000. Le statisticien connu J. Koulischer avait, mais en juin 1940., abouti à un total d'environ 530.000. La supputation de M. Petchemk., prématurée ou portant sur de plus vastes catégories numériques (pays Baltes, Bessarabie, etc.)., a donc été mise au point, par la suite. Les spécialistes s'accordent en fin de compte sur le nombre de 600.000 Juifs polonais déportés, ad majorem gloriam Stalini. · Le bulletin du « Joint. Distribution Committee », organisation philanthropique non politique, décrivait dans son numéro de juin 1943 le sort de ces déportés : « Entre le tiers et le cinquième des réfugiés sont morts ..• Quiconque n'a pas vu les milliers de tombes., surtout des enfants, ne peut pas comprendre. » Les survivants, à cette date., étaient dans un état pitoyable. Ils périrent en majorité avant la fin de guerre. Quand le gouvernement soviétique, en 1946, permit aux Polonais de rentrer chez eux, environ 150.000 seulement de ces Juifs subsistaient, qui se hâtèrent éperdument vers l'Ouest où tout était ruine et deuil. Encore dans ce nombre entre-t-il une certaine quantité de Juifs russes camouflés polonais pour quitter le paradis infernal. (Voir à ce sujet la brochure de Gregor Aronson : Soviet Russia and the Jews, New York 1949.) On ne peut pas tout citer. Pour les lecteurs qui auraient besoin de références sur les conditions où tant de vies humaines ont été sacrifiées, relevons : La Condition inhumaine, de Jules Margoline (1949), Echappé de Russie, d'Antoni Ekart (1949), Déportée en Sibérie, de Margarete BuberNeumann (1949), Onze ans dans les bagnes soviétiques, d'Elinor Lipper (1950). G. Haganov enregistre encore le récit de Jacques Pat, secrétaire du Comité ouvrier juif d'Amérique, qui a interviewé en Pologne des survivants de la chiourme communiste, récit publié dans le Daily Forward des 30 juin et 7 juillet 1946, condensé dans Plain Talk d'octobre 1946. Tous ces témoignages, dont l'authenticité est confirmée de sources soviétiques pour discréditer Staline de nos jours, avaient en leur temps une autre valeur que les plaidoyers des apologistes du stalinisme : Biblioteca Gino Bianco 125 Cependant il se trouve en Occident des avocats de cette politique cynique, de ce régime atroce. Il se trouve en France notamment des Marcel Willard, des André Blumel, des Joë Nordmann., pour nier l'évidence et plaider en faveur de Staline et de ses auxiliaires ou serviteurs. Il se trouve des Wurmser, des Pozner · et des Crémieux pour approuver tout ceque disent ou font les bolchéviks, leurs sbires et leurs bourreaux. Des gens que rien n'y oblige se permettent, en France et ailleurs, d'outrager les victimes., les témoins, les martyrs. Sur les réalités essentielles de la condition humaine en U.R.S.S., une propagande intéressée a pu donner le change pendant des années à la faveur du silence complaisant d'une presse indigne, voire de complicités politiciennes à courte vue. Aussi a-t-on le devoir d'en appeler, d'une opinion mal informée, à une opinion mieux informée, et pour cela de recourir aux publications irrécusables d'outre-mer. G. Haganov résume ensuite l'histoire d'un héros de l'Armée rouge, Joseph Sigelbaum, trois fois décoré pour bravoure au front (ordre de !'Etoile rouge, médaille de Moscou, médaille de Partisan dans la guerre pour la patrie), promu capitaine, et qui consigna son expérience tragique dans La Terre qui saigne, dont Plain Talk de mai 194 7 a donné divers fragments : L'auteur se trouva en septembre 1939.,· raconte-t-il, parmi les quelque 600.000 Juifs de Pologne qui refluaient devant les blindés allemands. Quand les Russes, de leur côté, traversèrent la frontière., « quel choc ce fut d'apprendre que nazis et communistes pénétraient en Pologne comme agresseurs ! ». Le 19 septembre, dans Brest-Litovsk pavoisée de drapeaux rouges et de swastikas., officiers nazis et bolchévistes côte à côte passèrent en revue leurs troupes., aux sons du Horst Wessel et de l'Internationale. Les Juifs en étaient abasourdis. - Peu après la police (N.K.V.D.) se mit à rafler les Juifs, tant réfugiés qu'indigènes, à commencer par les socialistes. Parmi eux H. Ehrlich, leader du Bund., exécuté plus tard en même temps que V. Alter., sans l'ombre d'un motif. . En 1941, Sigelbaum s'engagea dans la résistance ; sa femme et son enfant furent tués par les nazis ; il réussit à rallier l' Armée rouge, remplit les missions les plus périlleuses dans· les pires conditions, fut parachuté en Yougoslavie, participa à la guérilla derrière les lignes allemandes et, à la fin de la guerre, écœuré de l'antisémitisme soviétique, partit sans esprit de retour : •Il a vu, lui aussi, des colonnes de fugitifs sortant comme u d'un autre monde », retournant de Russie en Pologne, survivants hagards et en haillons des hordes dép~rtées cinq ans auparavant :vers le travail forcé des camps soviétiques : « Quatre cent mille avaient péri non dans les chambres à gaz et les crématoires, mais dans les forêts de Sibérie et les friches de l'Asie centrale, morts en construisant le " socialisme " à la soviétique, en créant la " vie heureuse " selon Staline. » G. Haganov traite ensuite du Birobidjan, ce ghetto insalubre de Sibérie orientale où Staline et ses successeurs ont entrepris de parquer les Juifs, sinistre expérience qui tourna au fiasco et aboutit à un immense pogrome. Pour abréger

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