Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

70 1919: on voit que le précédent l'obsède. Mais le malheureux voudrait à la fois singer Lénine qui a fondé l'Internationale communiste et plagier Staline qui l'a dissoute. Pour un expert en « contradictions », il n'a pas fini de s'embrouiller dans celle-ci, qui est de taille. D'autre part, Souslov annonce la réunion d'une conférence internationale, sans en prévoir la date, « afin de surmonter les difficultés du mouvement communiste », et les augures attitrés de la presse irresponsable se hâtent d'en inférer que les Chinois vont se faire exclure. Mais exclure de quoi ? On ne saurait les exclure d'une organisation internationale nominalement inexistante, encore moins les exclure du « mouvement » ( comme dit Souslov) auquel ils participent sans l'autorisation de personne : autant parler de les exclure de la planète. La future conférence, à supposer qu'elle puisse jamais se réunir, pourra leur jeter l'anathème, mais Mao ·et Cie s'en moquent, car les moyens ne leur manquent pas d'inonder le monde de leur propagande dont le tapage couvre et compense celle de leurs adversaires. Quant aux « difficultés » que Souslovmentionne sans cesse dans son penswn, elles sont véritablement une trouvaille. On savait par le New York Times, par }'Observer et par le Monde que Souslov est un théoricien, un idéologue de grande envergure (dont tout le monde ignore la moindre théorie personnelle et la moindre idée originale), mais on ne le croyait pas hwnoriste de ce calibre. Parmi ses 30.000 mots, cc difficultés » est en vérité le mot pour rire. Mao voue Khrouchtchev (et Souslov) aux « ordures de l'histoire» (ce qui se laisse traduire aussi par fumier ou poubelle), tandis que Khrouchtchev offre à Mao de lui envoyer le cadavre de Staline : ce ne sont que de petites difficultés. Trahison, aventurisme, nationalisme, racisme, chauvinisme, scissionisme,trotskisme : menues difficultés. Somme toute, des bagatelles. La seule difficulté que Souslov et sa brigade de rédacteurs aient passée sous silence en remplissant sept pages entières de la Pravda, c'est la « difficulté d'être », surtout d'être conséquent avec le marxisme-léninisme. Selon Mao, les conceptions de Khrouchtchev seraient « une simple reconstitution du révisionnisme de la 2e Internationale, une renaissance des vues de Bernstein et de Kautsky », révisionnisme et trotskisme étant « virtuellement une seule et même chose ». D'ailleurs Staline l'a dit, « le trotskisme n'est qu'une variété de menchévisme, de kautskisme, de social-démocratie, c'est-à-dire un détachement de la bourgeoisie contre-révolutionnaire ». Et ainsi de suite, jusqu'à la conclusion : Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL « L'étiquette de trotskiste convient donc beaucoup mieux à Khrouchtchev lui-même.» La force irrésistible de cette argwnentation réside dans une ineffable bêtise à laquelle il n'est pas de réplique possible. Il se trouve pourtant de doctes commentateurs pour consacrer leurs études ayant quelque apparence sérieuse à la « pensée » de cet olibrius en délire. Selon Souslov, les ex-camarades chinois menés par Mao font preuve « d'esprit révolutionnaire petit-bourgeois», de mentalité « du petit propriétaire qui devient facilement ultra-révolutionnaire » et versent dans une « déviation petitebourgeoise identifiable au trotskisme ». Lénine, écrit-il, a mené une lutte intransigeante contre « les communistes de gauche, l'opposition ouvrière, le trotskisme, les ultra-gauches ». Or les opinions théoriques et politiques des Chinois sont « sur bien des points la répétition du trotskisme». La guerre révolutionnaire, l'aiguillonnement de la révolution mondiale par les armes, « c'était précisément le vrai sens de la théorie trotskiste de la révolution permanente ».Pour Souslov, « la parenté avec le trotskisme ressort aussi en relief dans les thèses chinoises sur le danger de dégénérescence bourgeoise des pays socialistes », répétition de la cc calomnie trotskiste au sujet de la dégénérescence de !'U.R.S.S. en Etat thermidorien». Enfin, « à l'instar des trotskistes, les dirigeants chinois exigent la liberté des fractions et des groupements dans le mouvement communiste, ils y font leur travail de sape au moyen des mêmes méthodes ». Tout cela culmine en assimilant « l'aventurisme petit-bourgeois» au trotskisme. Un minimwn de raison permettrait de voir dans le petit bourgeois l'aspiration à une vie paisible, sans heurts et sans risques, la tendance au juste milieu, l'incarnation de la prudence économe. Souslov, à grand renfort de citations de Lénine, dissipe de telles illusions : le petit bourgeois est en réalité un aventurier, un guerrier, un ultra-révolutionnaire en permanence, bref un trotskiste. Il est piquant de rappeler que Trotski lui-même s'abaissait à polémiser de la sorte, traitant invariablement de petit bourgeois tout contradicteur. On épiloguera à loisir sur la parenté frappante de tous ces controversistes qui se réclament des mêmes principes et se disputent des étiquettes identiques. Mais décidément, un spectre hante Moscou et Pékin, ou plutôt hante le Kremlin et la Cité interdite, le spectre du trotskisme. B. Souv ARINE.

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