Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

QUELQQES LIVRES meilleur en français, moyen seulement aussi en anglais et en histoire. Agréable, vif, insouciant, mais peu brillant » : ainsi le décrivent ses professeurs. A vingt-huit ans, il avait un diplôme d'Université, savait nager, faire du bateau à voile, jouer au golf, était l'auteur d'un livre à succès, avait beaucoup voyagé (ses notes de voyage seraient, paraît-il, « saupoudrées de fautes d'orthographe, mais d'une grande objectivité»), il était le héros d'un beau fait d'armes, était catholique et, surtout, avait une fami11e- et un père : « What I am worried about in Jack Kennedy's case, it' s not the Pope, it's the Poppy », aurait dit Truman. McCarthy, à quatorze ans, élevait des poulets sur les terres de son père; il entre à l'Université," travaille pour être ingénieur, puis fait du droit. Il devient l'entraîneur de boxe du collège, il est nommé juge, tout en étant un « joueur de poker fanatique » ; il aborde la carrière politique, se refuse à prendre comme thème, pour sa campagne électorale, le projet de canalisation du SaintLaurent (« That has not enough sex »), choisit, presque par hasard, l'anticommunisme et part pour la « croisade » que l'on sait. Comment, dans une démocratie moderne, ces deux ascensions, d'une portée si différente, et, cependant, toutes deux si rapides, s'expliquentelles ? Le· sujet était, peut-être, encore trop ambitieux, mais valait la peine d'être traité. On pouvait attendre, en effet, que se dégagent, d'une analyse de la carrière de ces deux hommes si dissemblables, d'un approfondissement de leur psychologie, d'une peinture du milieu qui favorisa leur ascension, quelques vues pénétrantes. Les nombreux auteurs que M. de Molènes a consultés offraient la matière d'une telle étude. Que ne les a-t-il interrogés autrement ? Cette erreur de perspective est d'autant plus fâcheuse que, quant au reste, tout serait à reprendre, aussi bien le style que la méthode dont se sert ce jeune historien. _ « Un autre facteur pour lequel, traitant de la carrière de M. Kennedy, nous y avons associé une étude sur le maccarthisme, est que celui-ci a eu une part importante dans la vie politique de celui-là, et que, réciproquement, si l'on peut dire, la position énergique de l'actuel Président contre le néo-maccarthisme est l'un des éléments qui conditionnent l'avenir de ce courant » (p. 3). Voilà pour le style. Pourtant, ce ne sont pas les cautions morales qui ont manqué à l'auteur. Au fil des pages, Aristote, Jean Bodin, -Bossuet, Gœthe (sans Eckermann), Camille Jullian, Gas_ton Boissier, flanqué de Cicéron et de ses amis, Périclès et le pseudo-Xénophon sont convoqués pour émettre quelque sentence. Seul Esculape, hélas, manque au rendez-vous, tout son art étant sans doute impuissant à guérir la logorrhée dont ce style est atteint. Lorsque l'auteur écrit en « babélien », lorsqu'il évoque, par exemple, « cette attirance snob d'une nature unique - unique snob appeal» qu'exerBiblioteca Gino Bianco 121 çaient les Kennedy, « les premiers des brahmanes irlandais », on ne peut pas dire qu'il facilite à son lecteur l'approche - « approach » - de son sujet. Les défauts d'un style ne doivent pas, cependant, empêcher de juger un ouvrage au fond, et d'examiner de quelle façon l'auteur a conduit son étude. Quelle méthode a choisi l'historien ? Une méthode éprouvée: celle de l'abbé Trublet, qui, selon Voltaire, « compilait, compilait, compilait ». Avec une déférence empressée, l'huissier de Clio ouvre et referme les guillemets devant les « auteurs éminents et les plus divers par la génération et l'école de pensée». Ouvrent le cortège Montesquieu, Tocqueville (accablé, lui aussi, par une « montagne de notes » sur les Etats-Unis, mais sachant en faire un meilleur usage), « notre maître regretté André Siegfried », puis les professeurs dont M. de Molènes a été l'élève attentif, MM. Bastid, Burdeau, Duverger, Tune, Colliard et le reste des auteurs de la collection Thémis, enfin quelques publicistes étrangers, consciencieusement démarqués : Richard Rovere, Burns, le journaliste Joe McCarthy. M. André Maurois, lui-même, ferme dignement la marche, avec un article sur madame Kennedy paru dans un journal de modes (24 mars 1961). Dans ce tohu-bohu, on entend parfois, d'un chapitre à l'autre, des dépositions contradictoires : d'après un livre constamment_cité d'un M. Richard Rovere ( Senator Joe McCarthy), McCarthy est « le champion des menteurs ». Toujours d'après Rovere, il est un « démagogue de génie » - « jugement concis et, somme toute, pertinent » remarque M. de Molènes. Où est le vrai ? Doctus cum libris, l'auteur nous laisse le soin d'arbitrer les querelles pendant que, pour notre instruction, il s'affaire à élever de nouvelles pyramides avec les pierres qu'il trouve dans les carrières d'autrui. Véritable habit d'Arlequin, cette première étude est donc très décevante. Que vaudront les suivantes ? M. de Molènes a, de l'historien, le goût de l'érudition. Pour peu qu'il y joigne de la sagacité, un peu plus de méfiance à l'égard des ouvrages de seconde main, une certaine discipline intellectuelle, quelque rigueur, de la clarté dans l'exposé des faits, et aussi, peut-être, un peu de modestie, on est en droit d'espérer d'autres ouvrages, qui, pour être moins ambitieux, seront toutefois plus utiles au lecteur désireux de mieux connaître les événements contemporains. C. BASTIEN. A la recherche ... JEAN-PAULSAMSON: Boomerang. Récit d'une enfance. Zurich 1963, « Témoins », n° 34-35, automne-hiver 1963, 108 pp. CE PETITOUVRAGvEenait tout juste de paraître lorsque parvint l'annonce de la mort de son

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