Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

118 thème de son essai sur Cobden et la Ligue, et explique l'influence, avouée ou non, qu'eurent sur lui Les Principes d'économie politique (18371840) de !'Américain Henry Charles Carey. La formation que reçut F. Bastiat à l'école de Sorèze fait d'autant plus honneur à celle-ci qu'on peut dire que, par la suite, F. Bastiat ne fit pas à proprement parler d'études universitaires et que ses connaissances considérables furent le fruit des recherches et des réflexions d'un autodidacte. Pensant, si l'on en croit sa lettre du 29 avril 1821 à Calmètes, d'abord à « se fixer irrévocablement à la religion», F. Bastiat fut conduit par les circonstances à apprendre la comptabilité chez un de ses oncles, à Bayonne, et à se familiariser avec les ouvrages économiques de J.-B. Say, Franklin et Adam Smith. Ces débuts nous paraissent -contribuer à éclairer toute une partie de son œuvre, comme aussi la suite de son action. Il devint juge de paix en 1831, conseiller général des Landes en 1832, animateur de sociétés de pensée économique, membre correspondant de l'Institut - corps pour lequel il paraît avoir nourri une estime limitée - enfin parlementaire de renom, et participa au congrès pacifiste d'août 1849. M. Baudin insiste sur la relative brièveté des œuvres économiques de Frédéric Bastiat, qui ne commença sérieusement à publier que six ans avant sa mort et préparait un grand travail qui eût peut-être laissé de lui un souvenir plus durable que les opuscules qui avaient eu de son vivant un grand retentissement. Avec beaucoup de précision, M. Baudin traite de cette œuvre, telle qu'elle demeure en son inachèvement prometteur et affligeant. Selon lui, « le bilan est beau». L'auteur examine le schéma libéral dans la doctrine de F. Bastiat, puis envisage celui-ci en tant que théoricien, pamphlétaire - notamment dans ses controverses avec Proudhon sur l'intérêt du capital et avec Lamartine sur le droit au travail, - précurseur des théoriciens modernes. Il analyse enfin son influence, qui fut assez importante. Les traits dirigés par F. Bastiat contre ses « trois principales cibles » : monopole, protectionnisme, socialisme, ne furent pas sans effet. Son apologie de la concurrence, dont il n'était certes pas le seul propagandiste, marqua fortement son temps, et le traité de commerce franco-anglais de 1860 fut · à certains égards une victoîre posthume de -F. Bastiat. . . . · Nous ne saurions entrer ici dans le détail d'un exposé qui appellerait de nombreuses remarques. Soulignons néannioins le grand effort d'objectivité de M. Baudin qui, malgré son inclination -pour les· talents de F. Bastiat, ses « remarquables qualités de logique et de clarté de la pensée, de précision et d'élégance du style» (p. 18), n'en cache pas moins certaines faiblesses. Il critique son optimisme excessif, par exemple en ce qui touche -la solidarité entre les hommes : « Le libéralisme de· Bastiat diffère ptofon~ément sur Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ce point du néo-libéralisme moderne qui donne· à l'Etat un rôle très important en lui confiant le soin de réviser les données de l'économie de manière à permettre le jeu du mécanisme des prix et de corriger après coup les résultats défectueux du système, notamment en venant en aide aux déshérités » (p. 33). M. Baudin relève « qu'il se laissait aller parfois à l'exagération, qu'il manquait de mesure et de nuances dans bien des cas » (pp. 33-34) ; il déplore également l'absence d' « une théorie des élites» dont M. Baudin est, précisément, l'un des doctrinaires à notre époque. Il estime encore que chez F. Bastiat - au moins, ajoutons-le, dans la partie de son œuvre qu'il eut le temps de mettre en forme - le théoricien n'était pas à la hauteur du pamphlé- ~ taire, du polémiste dont la méthode consistait souvent à pousser à l'absurde le raisonnement de l'adversaire. Des deux grandes théories de F. Bastiat, l'opinion de M. Baudin est que l'une, celle de la valeur, est inexacte, et que l'autre, celle du progrès, mieux fondée, est empruntée à Carey, qui s'en plaignit. M. Baudin écrit sans ambages: « Bastiat a eu grand tort de ne pas citer Carey, ce qui lui aurait évité d'être accusé de plagiat. » D'autre part, le professeur Hugo Hegeland (Money, Growth and Methodology, Lund 1961, ouvrage collectif) ayant vu dans le texte célèbre de F. Bastiat sur « la vitre cassée » une amorcé de la théorie contemporaine du multiplicateur (si importante par exemple chez Keynes), M. Bau~ din, grand spécialiste de Quesnay et auteur d'un Précis d'histoire des doctrines économiques, estime que c'est antérieurement à Bastiat, et même à Quesnay, mentionné par M. Hegeland, que deux économistes français, Boisguilbert dans le Détail de la France ( 1697) et Cantillon dans son essai : De la nature du commerce en général (1755), « ont exposé le mécanisme du multiplicateur ». En bref, pour M. Baudin, F. Bastiat « avait les qualités d'un apôtre plus que celles d'un théoricien » (p. 33). On observera qu'il a du reste exercé le métier de journaliste et d'homme politique et non celui de professeur. Foncièrement libéral, l'auteur de Ce qu'on voit et ce qu'on ne vo-it pas eût sans doute fait siennes ces affirmations anti-étatiques et anticollectivistes de son collègue parlementaire Tocqueville : « Le pouvoir ne détruit pas, il empêche de naître, il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux dont le gouvernement est le berger », et encore : « La démocratie tend à l'égalité dans la liberté ; le socialisme désire l'égalité dans la contrainte et la servitude. » · M. Baudin rappelle l'appréciation portée sur Frédéric Bastiat par deux économistes renommés et de générations différentes : Charles Gide et M. Daniel Villey, dans sa Petite histoire des - grandes doctrines. Le premie~ se demandait « si les Harmonies et les Pamphlets ne sont pas encore

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