Le Contrat Social - anno VIII - n. 2 - mar.-apr. 1964

106 significative que les chiffres qui traduisent, noir sur blanc, ce qu'il est advenu des habitudes de langage des minorités. En examinant ces chiffres, il faut avoir présent à l'esprit que la période qui s'est écoulée entre les recensements de 1926 et de 1959 a coïncidé avec l'effort de russification le plus intense de l'histoire de la Russie moderne; ce qui se présente à nous est le fruit de cet effort gigantesque et impitoyable. Que découvronsnous? Tendances linguistiques EN 1?26, les Russes représentaient 54 % de la population de !'U.R.S.S. quant à la nationalité, alors que la langue russe était parlée par 58,5 % des gens. _End'a?t~e~ termes, en 1926, 4,5 % de la population avait ete, quant à la langue, russifiée. En _1959, les chiffres correspondants étaient de 54,5. e~ 59,3 %, ~e qui élevait la pr~portion des russifies quant a la langue à 4,8 °fo. Ce gain net de 0,3 % représente quelque 600.000 citoyens. Or ce gain minuscule se réduit à rien lorsqu'on sait qu'entre-temps les nazis ont massacré 2 millions de Juifs parlant yiddish sur le territoire soviétique, réduisant ainsi de 1,8 million (en 1926) à moins d'un demi-million (en 1959) le nombre des citoyens soviétiques juifs considérant le yiddish comme leur langue maternelle. En réalité, la proportion des non-Russes russifiés quant à la langue a quelque peu diminué. En chiffres absolus, naturellement, le nombre de citoyens qui ont conservé leur idiome national s'est accru bien davantage que le nombre des assimilés par la langue : alors que le nombre de personnes ayant abandonné leur langue maternelle au profit du russe est passé de 6,5 millions en 1926 à 10 millions en 1959, le nombre de celles qui ont conservé leur langue maternelle est passé de 60 à 85 millions. Tel est, en gros, l'effet de trente années d'une russification mise en œuvre avec tous les instruments dont dispose un Etat totalitaire. Si l'on s'enfo~ce dans les statistiques en répartissant les chiffres globaux de l'assimilation linguistique entre les différents groupes nationaux et, à l'intérieur de ceux-ci, entre les différents groupes d'âge, on découvre des faits plus surprenants encore. L'assimilation linguistique a toujours été - et continue d'être - très rapide parmi les groupes ethniques jouissant d'un haut niveau de culture .mais dont la souche historique, et souvent les centres ethniques, sont situés à l'extérieur de l'Union soviétique. A cette catégorie appartienne!}t tout d'abor~ des Européens tels que Polonais, Allemands ou Grecs qui, dans la proporde 1926 sont tirées en grande partie de l'ouvrage de F. Lorimer : The Population of the Soviet Union : History and Prospects, G~nève 1~46, et de ~elui· de R. Pipes : Formation of the S0V1.et Union, Cambridge 1954, Harvard University Press, pp. 289-90. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE tion de 25 à 50 %, sont dénationalisés quant à la langue 4 • Elle comprend également les groupes représentant d'anciennes cultures orientales : Co-· réens, Chinois ou Persans. La raison de cette · rapide russification linguistique n'est pas difficile à déceler: les gens qui appartiennent à ces natio-· nalités se considèrent comme des éléments isolés d~leur nation et, en conséquence, ne voient aucune raison de préserver leur nationalité. Mutatis mutandis, on peut en dire autant des Juifs, dont les quatre cinquièmes reconnaissent le russe comme leur langue maternelle, du moins devant le recenseur. Plus du quart de l'ensemble des non-Russes russifiés appartiennent à cette catégorie. L7s n~tionalités ayanJ un « indice moyen de russificatton » peuvent egalement se répartir en deux groupes. L'un comprend les deux minorités les plus nombreuses, Ukrainiens et Biélorusses, toutes deux étroitement apparentées aux qr~ds-Russes quant à l'origine et à la culture. Si 1 on compare les données relatives au langage pour ces deux nationalités d'après les recensements ~e 1926 et de 1959, on découvre que la proportion de ceux qui considèrent l'ukrainien e! le biél~russe comme leur langue maternelle s ~st, en fai~,accrue: en 1926, 87,1 % des Ukrai- ~e~s parlaient leur langue maternelle; en 1959, ils etaient 87,7 %-Dans le cas des Biélorusses l'augmentation a été encore plus importante~ l~s c~~res sont passés de 71,9 à 84,2 °/4~ La repartttton p~. groupes d'â~e révèle, de plus, que les Ukrauuens et les Bielorusses de moins de v~gt ml:s (c'est-à-dire ceux qui ont reçu leur mstructton entre la fin de la guerre et la mort de Staline) sont plus fidèles à leur langue maternelle 9ue les _gensd'âge mûr (ceux qui ont reçu leur mstructton entre 1920 et 1940): il n'y ~ donc pas eu dénationalisation progressive des Jeunes. L'autre groupe de cette catégorie se _compose de gens appartenant à des nationalités habitant la région Volga-Oural : turco-tatars musulmans (Tatars· et Bachkirs) et chrétiens finnois (Mordves, ~~houvaches, etc.)~ qui sont depuis plusieurs s1eclessous la dommation russe. En fait ils ont été les premières minorités conquises 'par les Russes au cours des xvie et xvne siècles. Maintenant entourés de centres peuplés de Russes séparés du gros de leurs parents turco-tatars e; !inno!s~ il leur est. difficile de préserver leur./ identJ.te. La proportion de ceux qui optent pour 4· I~ ne faut pas croire, cependant, que toute dénationalisation due au changement de langue se fait au bénéfice de la russification. Parmi les Polonais soviétiques par exemple plus d~ la ~oitié (75~.000) ,avaient abando~é l'usage d~ l'.!olon~~, mais de~ tiers d entre eux avaient opté pour 1ukrairuen et le biélorusse et seulement un tiers pour le russe. (Un grand nombre de ces Polonais préféraient sans do~t~ renoncer à leur langue maternelle pour des raisons politiques.) Des 377.000 Bachkirs ayant renoncé à leur langue, 350.000 avaient adopté le tatar. Parmi les 94 ooo Ouzbe~ dén!?onalisés quant à la langue, deux tiers déclarèrent le tadJik comme leur langue maternelle et un tiers seulement, le russe. ,, ...

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